Peu à peu, le salafisme-jihadisme tisse sa toile en Afrique, et où cela devient très inquiétant, même là où les musulmans ne sont pas majoritaires. Cela correspond à la conquête de terres définies comme « Dar al-Harb » (le « domaine de la guerre ») par opposition aux Dar al-Islam (territoires où les cinq prières journalières imposées par l’Islam sont récitées). Les recrues sont nombreuses car c’est le meilleur moyen pour les révoltés de toutes natures de faire entendre leur voix. Depuis la fin du communisme, le jihad est aujourd’hui la seule idéologie vraiment « révolutionnaire ». Daech est à la pointe du combat ayant développé plusieurs wilayats (provinces) sur le continent africain. La moins connue est la « wilayat Wasat Ifriqiyah » (province d’Afrique Centrale) qui est présente en République Démocratique du Congo et au Mozambique.

 

Mozambique

Depuis le printemps 2018, la province pétrolifère de Cabo Delgado située au nord-est du pays est le théâtre de violences perpétrées par des combattants se revendiquant du salafisme-jihadisme. Le premier groupe islamique radical organisé au sein de l’ethnie mwani (aussi appelé kimani) est officiellement apparu en 2014. Il s’agit du Al Sunnah wa Jama’ah (les fidèles de la tradition du prophète). Il a par la suite aussi adopté les noms d’Ansar al-Charia, de Shebabs (ce qui les a fait confondre avec leurs homonymes somaliens avec lesquels ils n’auraient aucune relations), d’Ahl al-Sunna, etc. . À noter que de nombreux responsables politiques et militaires dont le président Filipe Nyusi appartiennent à l’ethnie makondé.

Les violences n’ont vraiment débuté qu’en octobre 2017. Trois postes de police et une caserne de la ville de Mocímboa da Praia située au nord-est du pays (dont sont originaires la plupart des membres de ce mouvement) ont été attaqués par les salafistes-jihadistes causant la mort d’au moins 16 personnes. Cette première offensive marqua le début d’une campagne de terreur dirigée contre les populations du nord du pays. Les activistes s’en sont surtout pris aux chefs tribaux locaux, aux instituteurs et représentants de l’État de manière à mettre en avant leur autorité. Leur base idéologique consistait à établir la charia sur le modèle de Daech (et pas d’Al-Qaida qui est derrière les Shebabs somaliens).

Mais ce n’est qu’en juin 2019 que le commandement de Daech revendiqua officiellement une attaque commise dans la localité de Metubi. Les forces de sécurité répliquèrent en lançant des opérations de contre-guérilla. Les combats firent alors quelques 1.500 morts – dont de nombreux civils –  et provoqua le déplacement de plus de 200.000 personnes vers le sud. Un des plus importants massacres eu lieu le 7 avril 2020 quand 52 civils du village de Xitaxi qui refusaient de rejoindre les rebelles islamistes ont été assassinés.

Le 23 mars 2020, des combattants islamiques s’emparaient brièvement de Mocímboa da Praia au cours d’une opération coordonnée lancée depuis la terre et la mer. Ils ont incendié des installations officielles ainsi que le port. Mais, à la différence des autres fois, au lieu de massacrer les habitants (il y a tout de même eu deux tués), ils ont distribué des vivres et des biens de première nécessité. Ils ont évacué la ville dès le lendemain. Ansar al-Sunna a alors revendiqué l’opération mais le 25 mars, c’est Daech qui a émis via son agence Amaq sa propre revendication.

Le 12 août, les activistes salafistes-jihadistes ont déclenché une nouvelle offensive autour de Mocímboa da Praia et, après cinq jours d’affrontements, les forces de l’ordre se sont repliées à court de munitions. La ville a été reprise par un millier de combattants. Un patrouilleur de la marine HV32 fourni par le constructeur français CMN (Constructions Mécaniques de Normandie) aurait été touché par une roquette. Au moment où sont écrites ces lignes, la ville est toujours aux mains des rebelles. Une grande offensive est en préparation pour la récupérer à moins que les islamistes s’évanouissent dans la nature comme habituellement.

Devant l’incompétence de ses forces armées qui auraient subi de lourdes pertes, Maputo a fait appel à des sociétés militaires privées [SMP] dont l’incontournable groupe Wagner russe mais aussi aux services spéciaux sud-africains qui ont dépêché des membres des forces spéciales qui feraient du « conseil » (des SMP sud-africaines seraient aussi sollicitées).

La communauté musulmane au Mozambique forte de 17% de la population (mais principalement présente dans le nord du pays) est peu à peu poussée dans les bras des salafistes d’autant que des prêcheurs venus de l’extérieur seraient particulièrement écoutés par les jeunes marginalisés qui souffrent de la situation socio-économique difficile du pays.

Deux hommes sont supposés être derrière ces opérations : Nuro Adremane et Jafar Alawi qui auraient reçu une formation religieuse en Arabie saoudite, au Soudan et en Tanzanie. Parallèlement, ils auraient suivi un entraînement militaire.

République Démocratique du Congo

Une interrogation demeure : quelle est la réalité de « l’État Islamique en Afrique Centrale » qui s’est d’abord fait connaître en République Démocratique du Congo. Après une première vidéo parue en octobre 2017 montrant une poignée de militants se revendiquant de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi a évoqué une « province en Afrique Centrale » en août 2018. Une première opération menée dans le Nord-Kivu le 16 avril 2019 a été revendiquée le 18 du même mois en ces termes : « des membre de l’armée congolaise ont été tués et blessés lors d’une attaque du village de Kamango à la frontière entre le Congo et l’Ouganda ». En fait, cette action qui a tué deux militaires aurait été menée sous les hospices du mouvement des Forces démocratiques alliées (ADF selon le sigle en anglais) actif dans la région depuis deux décennies. Toutefois, les ADF se sont renommées en février 2018 le « Madinat al Tawhid wal Muwahedeen » (la cité du monothéisme et des monothéistes -MTM-), le mouvement étant aujourd’hui désigné sous l’acronyme ADF/MTM. Il s’alignerait sur la doctrine salafiste-jihadiste qui réclame l’établissement du califat régi par la charia sur la RDC et l’Ouganda, deux pays majoritairement catholiques où les musulmans restent minoritaires (respectivement 10 et 12%). Parallèlement, dans une autre vidéo de Daech, un prêcheur vraisemblablement tanzanien appelle tous les volontaires à rejoindre l’État Islamique en Afrique Centrale. Les déclarations transmises par Amaq ne parlent pas explicitement de liens organiques pouvant exister entre le ADF/MTM et Daech mais elles nomment la province d’Afrique Centrale.

 

Il semble qu’il s’agisse pour l’instant de petits groupes insurrectionnels qui existent depuis des années et qui ont rejoint Daech pour obtenir plus de visibilité. Il n’empêche que cette formation a considérablement augmenté de nombre de ses interventions en RDC à partir du printemps 2020 n’hésitant pas à s’attaquer aux forces de la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo) près de Beni. Ce qui est certain, c’est que cette wilayat a présenté son allégeance au nouveau chef de Daech (Abou Ibrahim al-Hashimi al-Qurachi) le 7 novembre 2019.

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Texte

Alain RODIER

Photos

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