Le chef des armées s’est rendu, le 1er mars, dans les camps de l’armée de terre à Mourmelon et à Suippes. Il y a rencontré les troupes en mise en condition avant projection, qui seront déployées au Sahel à l’automne. Le Président a aussi examiné les tout nouveaux équipements. Et a annoncé un de ses objectifs : faire de notre armée de terre la première d’Europe.

L’armée de terre a obtenu une victoire dont peu de ses chefs d’état-major auraient pu rêver : casser l’image d’une armée peu technologique et, donc, n’ayant pas besoin d’une grande fraction du budget de la Défense. Le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT), sans doute soutenu par des élus, des industriels, bref, ce qu’on appelle un réseau efficace, mais aussi par une vision présidentielle d’aligner la première armée de terre d’Europe, obtient un volume budgétaire inédit dans la loi de programmation militaire.

C’est aussi ce qu’est venu rappeler le chef des armées, en mode reconquête depuis la brouille avec le général de Villiers. Et c’est ce qu’il est venu visualiser, dans la préparation au combat des militaires de l’armée de terre, à Suippes et à Mourmelon. Certes, il y avait un côté « village Potemkine » dans ce qui lui a été montré ce jour-là, sans le début d’une moindre fausse note. Une armée au bon moral, malgré les énormes trous qui persistent dans la raquette, comme le démontre le quotidien des hommes de Barkhane qui, par exemple, n’ont pas assez de véhicules protégés contre les mines. Mais l’état-major des armées (EMA) rappelle, de son côté, qu’il n’est pas resté les bras croisés, sur ce sujet, depuis 2013. La problématique des hélicoptères est aussi bien connue, et dans ce registre, l’armée de terre avait prudemment doublé tous les hélicoptères présents ce jour-là pour transporter ou agrémenter la vue du président de la République.

Pour l’armée de terre, il fallait faire passer quelques messages sur la transformation déjà effectuée, et ce qu’il peut être fait grâce aux enveloppes budgétaires non affectées. Il reste encore des euros pour accélérer de « petits programmes » : la tenue sportive, mais aussi, plus prosaïquement pour les combattants, les nouveaux casques encore en expérimentation, les gilets pare-balles. Les nouvelles protections doteront en effet dès cet été tous les combattants de Barkhane et, dans la foulée, tous les combattants en opex. Mais il restera le territoire national (plus important encore) et il faudra attendre la fin de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 pour que tout personnel soit doté. Ainsi, un jeune EVAT (engagé volontaire de l’armée de terre) qui s’engage aujourd’hui ne la portera pas forcément selon sa spécialité, ou s’il ne resigne pas, ou encore si son contrat n’est pas reconduit.

Le CEMAT l’admet, c’est un des risques de cette LPM qui, si elle avantage clairement l’armée de terre, peut générer l’impression dans la troupe que tout ne va pas assez vite. Alors que le gouvernement a claironné les progressions budgétaires, que le personnel ne verrait pas arriver assez vite sur le terrain.

La force opérationnelle terrestre (FOT, soit 77 000 hommes et femmes) représente un peu plus de la moitié de l’armée de terre, mais il faut aussi s’occuper des autres : les ressources sont donc dispersées entre plusieurs priorités. Et il faudra commencer à payer les augmentations de soldes qui n’ont pas été prises en compte comme l’avait promis le précédent président, dès le 1er janvier ; une source de mécontentement, sourd, mais réel.

Le CEMAT doit aussi achever toutes les conséquences de son plan « Au contact ». Ce doit être le cas dans la cynotechnie, par exemple, dans l’aérocombat, la zone urbaine, le franchissement. C’est ainsi qu’il faut lire le retour d’un programme qui avait sombré faute de priorité budgétaire : SYFRAL (système de franchissement léger) sera finalement remis dans la programmation, alors que l’armée de terre avait déjà obtenu la modernisation de ses ponts flottants motorisés (PFM) et du SPRAT, deux programmes menés par CNIM, leur fabricant d’origine. Le CEMAT s’appuie, pour cela, sur les retex du Mali où un manque de barges aurait pu être très contraignant pour passer le fleuve Niger (en l’absence théorique de ponts, qui, en fait, n’ont jamais manqué), et sur les retex de l’Irak (deux fleuves majeurs) ou sur des déploiements à l’est de l’Europe dans le cadre de la mission Lynx. Là, ce n’est plus un fleuve majeur à franchir, contrairement à ce qui était le cas durant la guerre froide (le Rhin, entre autres), mais une multitude de petites rivières. Cette composante est aussi nécessaire, et c’est désormais sa première destination, en cas d’inondations massives sur le théâtre intérieur (plan Neptune). Les évolutions de ces différents moyens (PFM, SPRAT et désormais SYFRAL) doivent prendre en compte la « projectabilité » par voie aérienne (car la voie maritime n’est pas vraiment concernée par le hors gabarit…). Le PFM a dû ainsi bénéficier d’une nouvelle rampe d’accès permettant de le projeter plus facilement par voie aérienne sans avoir recours forcément à un Antonov 124.

L’armée de terre va également devoir, en peu de temps, s’approprier plus de véhicules que prévu, bien plus complexes que ceux qu’ils remplacent. Et ceci, avec des pièces qui seront peut-être plus chères : sur ce point, Nexter KNDS s’est engagé sur des objectifs de disponibilité de ses nouveaux véhicules. L’armée de terre va devoir disposer d’infrastructures et de moyens de simulation adaptés à ces véhicules ; or on sait que cela ne figure pas toujours en priorité de ces programmes, et qu’en cas d’aléas budgétaires, c’est la première enveloppe qui peut être sabrée.

L’entourage du CEMAT explique aussi qu’il faut tirer les conséquences en matière de ressources humaines pour les officiers, après les augmentations d’effectifs dans la force opérationnelle, qui a connu 11 000 postes créés en quelques mois seulement dans les unités élémentaires (au niveau des compagnies) mais pas forcément dans les autres niveaux des régiments. Donc, il va falloir ventiler des postes d’officiers entre les régiments, les états-majors de brigade, de force et de division, et même l’état-major central et éventuellement les écoles. Toute cette manœuvre doit être gérée sans que l’effectif ne change.

Revue de petits programmes

On connaît les augmentations de cibles pour le Griffon, le VBMR léger et le Jaguar, prévues dans la loi de programmation militaire (voir tableau p. 34), et les achats de Caesar sont enfin décidés. Face au début d’inquiétudes de plusieurs parlementaires, Stéphane Mayer, le PDG de Nexter KNDS, a rassuré la commission de Défense, expliquant que son groupe était bien conscient des responsabilités que lui donnait la LPM en termes de calendrier et de quantités à livrer. La principale garantie semble reposer sur des embauches et sur la surface technique et financière de Nexter KNDS.

Un des prototypes du Griffon était d’ailleurs présent à Mourmelon pour marquer symboliquement le coup. Cette exposition permettait de constater la disparition de deux petites fenêtres à l’arrière, afin de ne pas surexposer le personnel placé derrière ces surfaces vitrées. La configuration de série est quasiment atteinte, avec le brouilleur Barrage, le système de détection périphérique, le détecteur PILAR de départ de coups, le coupe-câbles protégeant toutes les antennes présentes sur le toit, mais pas encore le tourelleau téléopéré ou les chargeurs de batterie intérieurs pour les systèmes Félin. Selon la DGA, des finitions restent à revoir, dans le revêtement thermique par exemple, qui bâillait dans l’exemplaire présenté au président de la République. Des essais doivent aussi être menés par la DGA en matière de compatibilité électromagnétique et dans les caractéristiques générales du véhicule.

Les premiers exemplaires vont être remis à l’armée de terre cette année, permettant de lancer l’expérimentation sur trois exemplaires au printemps 2019, et le 3e régiment d’infanterie de marine de Vannes sera le premier doté, fin 2019.  

Mais l’armée de terre est aussi équipée d’une multitude de petits programmes qui ne sont pas tous dans les têtes de gondole de la LPM. Devenu très populaire – pour ne pas dire emblématique – du changement, le triptyque protection balistique-uniforme-casque était présenté au président de la République. Les lecteurs de RAIDS connaissent bien ce triptyque, exposé à plusieurs reprises l’an dernier, mais la LPM apporte quelques nouvelles précisions, comme un équipement rapide en treillis T3 ignifugés, et la dotation dès cet été de tous les personnels en opex de la protection balistique allégée (et de toute la force opérationnelle terrestre sous deux ans) ; un dossier lancé en fait il y a déjà plusieurs années et financé dès le budget 2017. L’officier spécialiste de la STAT présent répond, à RAIDS qui l’interroge sur le sujet, que la morphologie des femmes va être mieux prise en compte dans la conception des protections balistiques. 

Enfin, le casque présente quelques nouveautés, en restant sur la base du modèle Félin (fourni par MSA Gallet). Des scratchs sont notamment appliqués sur le haut du casque permettant de le rendre plus polyvalent encore. En matière de matériel du soldat, plusieurs expérimentations sont en cours avec un K-way pour équipage de cavalerie et d’hélicoptère, et un treillis qui reste portable quand il est rincé par la pluie, comme c’est le cas très souvent en Guyane.

Des « urgences opérations » sont également en cours au profit des forces terrestres. L’une concerne la mise en place de ballons de surveillance, comme celui qui a été déployé à Tessalit, et des minidrones quadricoptères doivent aussi être acquis pour Barkhane.

Suite à l’expérimentation réussie de nanodrones Black Hornet au profit du 2e régiment de hussards, du Train, et des forces spéciales, 584 exemplaires doivent être commandés en avril. Une fiche d’expression de besoins pour un minidrone de 1 kg est aussi en cours de rédaction finale pour envoi à l’état-major des armées. 

Innovations

L’armée de terre avait prévu de « vendre » Scorpion au chef des armées, mais la vidéo de cette séquence ne semble pas captiver Emmanuel Macron, qui a par contre été bien plus intéressé par des innovations portées par les personnels de l’armée de terre. La première d’entre elles est Auxylium, dont RAIDS a déjà largement vanté les mérites. Ce dispositif résilient de communication et de géolocalisation a été conçu par un capitaine désormais en poste à l’EMA, en charge de la numérisation (après avoir servi à la Section technique de l’armée de terre). Le projet a été lancé en 2013 et déployé en 2016 en six mois, après avoir été classé en « urgence opération ».

Une telle application pourrait demain se retrouver sur le champ de bataille. Une version évoluée, plus intégrée que la V1 développée en urgence, est déjà en conception pour le territoire national. Cette version allégée et plus aboutie, Helium, intéresse déjà des clients export.

Le même capitaine a présenté au Président une autre innovation française, même si elle est industrialisée par FN Herstal… pour être intégrée désormais sur les HK416 et FAMAS. Pourvu d’accéléromètre et de gyroscopes, ce compteur de coups raccordé en Bluetooth à un téléphone portable permet d’améliorer grandement la qualité de la maintenance des armes en donnant notamment l’usure du canon ou de l’extracteur, simplement par la détection de vibration. Un scénario évoque même déjà la livraison de munitions par drones terrestres, voire aériens, puisque le tireur sera géolocalisé par son téléphone.

Autre réflexion sur les montres connectées, dont un simple modèle du commerce livre déjà d’impressionnantes informations basiques, qui, moulinées dans un réseau tactique (et, là encore, grâce à un téléphone utilisé pour la transmission), pourraient transmettre l’état du tireur en fonction de ses pulsations cardiaques (mort, blessé, fatigué, stressé…). Des montres connectées permettent aussi de déclencher des alarmes silencieuses, ou de recevoir des SMS en discrétion.

Le 54e RT et la STAT ont développé un intercepteur tactique qui permet d’optimiser la détection et la localisation (par triangulation) des communications adverses. C’est donc un « primo-orienteur », comme le définissait le capitaine qui l’a présenté au Président. Entre l’expression de besoins et le déploiement, il ne s’est écoulé que huit mois. Huit modèles ont été déployés par le 54e RT à Barkhane et trois autres au Moyen-Orient. Avantage, cet intercepteur peut être utilisé aussi bien embarqué (à bord d’un véhicule, et l’intégration hélicoptère est en cours de validation) que débarqué.

Le Président s’est fait aussi présenter une série de brouilleurs directionnels, qui saturent le drone entre 700 et 2 000 m, selon les modèles. Trois exemplaires d’un premier modèle formé de trois antennes Yagi ont été acquis auprès d’une société domiciliée à Monaco qui pourrait être JCPX Development. Le « Nightmare » a été déployé par la STAT en urgence opérations il y a trois mois à Tessalit, Kidal et Gao pour Barkhane, mais également dans les mains des commandos de Sabre (dans un nombre non défini d’exemplaires). On ignore s’ils ont eu à servir. Les reproches les plus directs reposent sur le poids : avec pas moins de 12 kg de batterie, 5 kg de fusil, 17 kg pour la protection balistique équipée avec ses munitions, le soldat qui porte le tout doit être en bonne forme, et ne pas avoir de musette de combat…

Un autre modèle, embarqué à bord de véhicules, aurait été conçu par une PME « française », explique la STAT, sans détailler les performances. Selon d’autres sources, ce brouilleur aurait une capacité d’environ 2 000 m et une couverture bien plus large du fait de l’orientation de ses antennes, permettant de protéger tout un convoi pour autant qu’il est bien placé dans ce dernier. Il aurait servi en opérations avec le COS.

Deux modèles de la société australienne DroneShield étaient aussi présentés par la STAT. Le DroneGun, qui se présente sous la forme d’un fusil de 8 kg et d’un sac portant la batterie, a apparemment aussi été utilisé par le COS. Le DroneGun MkII peut frapper jusqu’à 2 km et fonctionne jusqu’à deux heures en continu. Les bandes de brouillage sont de 2,38-2,483 GHz et de 5,725-5,825 GHz, et, en option, le GPS et le GNSS (GPS russe). Il fonctionne à des températures de -10°C à + 55°C. Il était présenté avec un viseur Vector Optics.

Les utilisateurs ont évoqué une charge trop importante, donc DroneShield a tout intégré dans un fusil unique. Le Dronegun Tactical ne porte qu’à 1 km : il interrompt d’abord la transmission d’images, et fait poser le drone. Il peut brouiller en option les signaux GPS et GNSS (GPS russe), ainsi que, simultanément, plusieurs bandes de fréquences (433 MHz, 915 MHz, 2,4 GHz et 5,8 GHz) utilisées pour la liaison de données du drone. Son principal avantage réside dans son poids de 6,8 kg : la masse du sac de batteries a donc été épargnée dans cette version, qui peut opérer jusqu’à 55°C, une capacité pas inutile vu les zones où opèrent les forces françaises. 

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