Le FBI a arrêté à son domicile de Watertown dans le Massachusetts le scientifique de 63 ans d’origine iranienne Kaveh Lotfolah Afrasiabi le 18 janvier à deux jours de l’investiture du président Joe Biden. Il a comparu devant la cour de Boston le lendemain pour le chef d’accusation de « non-déclaration d’être un agent étranger » au profit de l’Iran.
Arrivé aux USA en 1973, soit six ans avant la révolution qui a amené au pouvoir l’Ayatollah Rouhollah Moussavi Khomeini, il est devenu résident permanent en 1984.
Diplômé de l’Université du Massachusetts, il a ensuite obtenu un Master puis un Doctorat en sciences politiques à l’Université de Boston.
Il enseigne cette discipline au sein des universités de Téhéran, de Boston et de Bentley College tout en étant intervenant invité par Harvard, Berkeley, etc. Il a publié plusieurs livres sur l’Iran, l’Islam, le Moyen-Orient et les réformes des Nations Unies.
Mais selon le FBI, au moins depuis 2007, il se serait rapproché de la mission permanente de la République Islamique d’Iran auprès de l’ONU – IMUN – (New York). Le procureur général l’accuse d’avoir été rémunéré de 2007 à 2020 par Téhéran (265.000 $ versé sur un compte d’une banque utilisée par lMUN) pour se livrer à des actions d’influence au profit de l’Iran. Ses cibles seraient les cercles politiques et universitaires américains. Il intervient régulièrement dans la presse écrite et à la télévision pour défendre la position du régime en place à Téhéran.
Plus précisément, il aurait aussi conseillé des responsables politiques iraniens dont des diplomates sur la politique américaine leur écrivant même des discours « adaptés » à la situation. À partir de 2009, il serait intervenu régulièrement dans le cadre des négociations portant sur l’effort nucléaire iranien rédigeant même pour un membre du Congrès américain (non désigné dans l’acte d’accusation) une lettre destinée au Président Obama qui venait de prendre ses fonctions. En 2016, il aurait reçu pour consigne de dépeindre la capture de dix marins de l’US Navy dans le Golfe persique de la manière la plus favorable pour l’Iran lors d’une interview donnée sur la chaîne de télévision Russia Today… En 2020, il aurait adressé un mail au ministre des Affaires étrangère iranien (Mohammad Djavad Zarif) et à un haut responsable de l’ONU proposant que Téhéran arrête les inspections des activités nucléaires sur son sol en réponse à la liquidation du major-général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020. Il aurait même précisé « cela frappera de terreur nos ennemis […] affaiblira Trump et renforcera ses opposants »…
En clair, il se serait fait passer durant des années pour un expert indépendant alors qu’il était un « agent iranien non déclaré » qui avait volontairement omis de préciser ce fait auprès du Département de la Justice comme l’exige le l’Acte d’enregistrement des Agents étrangers. Mariia Valeryevna Butina, l’« espionne » russe arrêtée en 2018 et revenue en Russie en octobre 2019 avait été condamnée à 18 mois de prison pour les mêmes charges.
Cette affaire est étonnante à plusieurs titres et pose de nombreuses questions :
. Pourquoi sort-elle maintenant alors que le cas semblait connu depuis des mois … ou même des années ?
. Tous les éléments sont-ils prouvés ? En effet, le phrase qui lui est attribuée : « cela frappera de terreur nos ennemis » ne correspond au discours habituellement employé par un professeur de haut niveau intervenant dans les plus prestigieuses universités américaines. La suite est aussi intéressante : « (cela) affaiblira Trump et renforcera ses opposants ». Voila un extrait qui sort au plus mauvais moment pour Joe Biden alors qu’il est dans les fastes de son intronisation.
. La somme versée à l’ « Agent extérieur » est importante mais sur 17 ans, cela fait environ 1.000 €/mois or il est déclaré comme enseignant auprès de l’Université de Téhéran. Serait-ce un salaire qu’il aurait « oublié » de déclarer au fisc américain ?
. Ce professeur iranien qui avait accès aux universités US, aux medias, qui devait se rendre de temps en temps en Iran, qui avait des contacts avec la mission iranienne auprès de l’ONU, etc. a certainement été placé sous surveillance par le FBI à de nombreuses reprises. S’il s’était livré à des activités clandestines, il est quasi certain que cela aurait été découvert (peut-être va-t’on en apprendre plus dans les semaines à venir). Le chef d’inculpation retenu est le plus « faible » de la législation fédérale US pour faits d’espionnage.
Cette arrestation va permettre de placer immédiatement le nouveau président élu face à sa promesse de renouer avec les négociations portant sur l’accord JCOPA (Joint Comprehensive Plan of Action signé en 2015 par les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU – plus l’Allemagne – avec l’Iran) que le président Donald Trump a quitté en 2018. Ne serait-ce pas une des premières mines laissées derrière lui par l’ancien locataire de la Maison-Blanche ? Si cela ne vient pas de lui, les regards se tournent résolument vers les néoconservateurs qui veulent reprendre la main sur la nouvelle administration et qui souhaitent toujours désigner l’Iran comme l’ennemi principal des États-Unis (dans cette qualification, Téhéran fait la course avec Moscou et Pékin)…
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