Le président Vladimir Poutine n’a pas prononcé son discours annuel traditionnel de fin d’année devant l’Assemblée Fédérale de Russie. À l’évidence, il a souhaité éviter d’avoir à répondre à des questions qui auraient pu être embarrassantes à propos de l’Ukraine et des conséquences du conflit.

Par contre, il a organisé à la mi-décembre un briefing médiatisé au milieu de ses chefs militaires. À cette occasion, il a déclaré : « Je voudrais dire que l’opération militaire spéciale se déroule strictement selon le calendrier, selon le plan. Toutes les tâches assignées sont résolues avec succès. »

Bref historique

La guerre en Ukraine a débuté le 24 février par la tentative de la prise de la capitale Kiev avec l’espoir que le gouvernement de Volodymyr Zelensky s’effondrerait de lui-même ou qu’il s’enfuirait vers l’ouest ou même à l’étranger – solution qui a d’ailleurs été proposée par les Américains qui, après avoir justement prévu l’invasion russe, pensaient qu’elle allait être couronnée de succès -.
Cette manœuvre comprenait un assaut aéroporté sur l’aéroport de Hostomel situé à l’ouest de la capitale et une offensive blindée-mécanisée venue de Biélorussie au nord. Or, troupes aéroportées russes ne sont pas parvenues à tenir l’aéroport d’Hostomel pour y établir un pont aérien qui aurait amené les forces nécessaires pour attaquer Kiev par l’ouest. Quand à l’offensive blindée-mécanisée, elle a rapidement piétiné car toute manœuvre était impossible car seules les routes asphaltées étant praticables en raison du dégel.
D’autres offensives ont été lancées conjointement vers Kharkiv, le Donbass, Zaporijjia et la région de Kherson. Elles ont permis aux Russes de s’emparer de territoires ukrainiens mais avec beaucoup de difficultés et de lenteur, les défenseurs faisant preuve d’une défense héroïque. Les difficultés initiales rencontrées par l’armée russe ont été l’incapacité de mener des opérations terrestres soutenues par les airs, les mauvaises transmissions et surtout, une logistique totalement défaillante. La supériorité aérienne n’a jamais été acquise et les troupes au sol n’ont jamais été assez importantes pour espérer l’emporter (le ratio était localement au maximum de deux Russe pour un Ukrainien alors qu’il aurait dû tourner à trois contre un au minimum).

En septembre, ce sont les forces ukrainiennes qui ont lancé des contre-offensives dans les régions de Kharkiv au nord puis de Kherson au sud. Les Russes ont été obligés de reculer tout en annonçant l’annexion officielle des provinces de Louhansk et de Donetsk (qui forment le Donbass) ainsi que celles de Zaporijjia et de Kherson.
Sentant le vent de la défaite, Poutine a décrété une mobilisation partielle, afin de recruter 300.000 hommes ; Le problème a été qu’il a fallu équiper puis entraîner ces revues – même si, théoriquement – elles avaient un « passé militaire » -.
Parallèlement, en octobre il a nommé le général Sergueï Sourovikine, le commandant du front sud, le seul à avoir remporté des succès, à la tête des opérations russes en Ukraine(1). Ce n’était pas le premier désigné à ce poste mais ses deux prédécesseurs n’ont tenu que quelques semaines tant leur inefficacité était patente.
Le général Sourovikine qui curieusement est, à l’origine un officier de l’armée de terre et l’ancien chef des forces aérospatiales russes (armée de l’air), a fait déclencher d’importantes frappes aériennes contre les installations énergétiques dans l’ensemble de l’Ukraine de manière à casser l’effort de guerre ennemi ainsi que le moral des populations. Il a réadapté le dispositif du corps expéditionnaire, particulièrement en abandonnant Kherson sans combats et en adoptent une structure défensive de manière à passer l’hiver.
Il n’y a que la ville de la ville de Bakhmut dans le Donetsk qui fait l’objet d’une offensive avec des hommes de la SMP Wagner en première ligne.

Que va-t’il se passer en 2023 ?

Il convient de rester modeste sur tout pronostic portant sur l’avenir de la guerre, la majorité des analystes s’étant trompés par le passé (dont l’auteur). La guerre est loin d’être une science exacte…
Par contre, il est utile de plus écouter les acteurs tout en se gardant de faire des conclusions hâtives sachant le rôle joué par la désinformation pratiquée par les deux camps.

Ainsi, le commandant des forces armées ukrainiennes, le général Valéry Zaluzhnyi a déclaré le 14 décembres dans à l’hebdomadaire britannique « The Economist » que les Russes préparent une nouvelle offensive qui devrait avoir lieu au pire à la fin janvier et au mieux en mars. Pour lui, elle « ne commencera peut-être pas dans le Donbass mais peut-être depuis la Biélorussie, en direction de Kiev. Je n’exclus pas non plus le sud […] je n’ai aucun doute qu’ils tenteront un autre essai à Kiev ». En résumé, il sait à peu près quand mais pas vraiment où.
Il précise : « la Russie peut compter sur une réserve de 1,2 à 1,5 millions d’hommes […] les Russes préparent quelque 200.000 nouveaux soldats [NdA : il fait référence à la mobilisation partielle de 300.000 hommes décrétée par Poutine] cette mobilisation a fonctionné. Ce n’est pas vrai que leurs problèmes sont si graves, que ces gens ne se battront pas. Ils se battront. Un tsar leur dit d’aller à la guerre et ils vont à la guerre. J’ai étudié l’histoire des deux guerres de Tchétchénie. Ils ne sont peut-être pas si bien équipés mais ils nous poseront toujours un problème »…
Évoquant les frappes russes dirigées contre les infrastructures énergétiques du pays, il estime que si la Russie parvient à ses fins, « alors les femmes et les enfants des soldats commenceront à se geler. Un tel scénario est possible. Dans quel état d’esprit seront les combattants? Sans eau, lumière et chaleur, pouvons-nous préparer nos réserves pour de nouveaux combats? ».

Ces déclarations qui sont celles d’un soldat semblent avoir jeté un certain trouble dans les instances politiques à Kiev mais, pour le moment, ce chef de guerre victorieux est difficile à remplacer d’autant qu’il semble très populaire au sein des forces.
Cela dit, ces déclarations sont vraisemblablement destinées aux alliés de l’Ukraine pour qu’ils poursuivent, voir intensifient, leur aide en fournissant, selon le général, 300 chars de bataille, de 600 à 700 véhicules de combat d’infanterie, 500 canons d’artillerie…
Il paraît actuellement plus soucieux d’assurer une solide position défensive que de se lancer immédiatement dans une nouvelle offensive. À titre d’exemple, rien que la défense anti-aérienne dans la profondeur lui absorbe des milliers des combattants qui ne sont pas disponible pour aller au front.
Enfin, il craint que les Russes soient en train de se reconstituer derrière l’Oural comme durant la Seconde Guerre mondiale pour repartir à l’assaut dans les mois à venir.

Le général Zaluzhnyi a reçu le soutien mesuré du ministre de la Défense, Oleksii Reznikov, qui, de son côté a déclaré dans le quotidien « The Guardian » qu’il existait des indices laissant à penser que le Kremlin préparerait une « offensive de grande envergure ». Cependant, pour lui : « des troupes entraînées dans un certain nombre de pays occidentaux, les tactiques hybrides des forces ukrainiennes et les armes que Kiev espère obtenir auprès de ses partenaires permettraient de résister à de nouvelles attaques ».

Du côté russe

Malgré les revers enregistrés sur le terrain, Poutine persiste et signe dans son idéologie affichée depuis des mois : « je n’abandonnerai jamais ma conviction que Russes et Ukrainiens forment un seul peuple. Des formations nationalistes et néonazies, dont des mercenaires étrangers, y compris du Moyen-Orient, se cachent derrière des civils, comme bouclier humain […] l’Ukraine n’a jamais été une vraie nation. […] l’Ukraine est une colonie américaine avec un ‘régime fantoche’ ». Il continue de prétendre que « Kiev détient des armes de destruction massive » ce qui rappelle des souvenir d’Irak en 2022-2003.

Les deux principaux responsables militaires russes, le ministre de la défense Sergueï Choïgu et le chef d’état-major général, le général Valeri Gerassimov, paraissent toujours aussi incompétents et la question qui se pose est : pourquoi Poutine ne les a pas remplacé ? Les rumeurs courent de temps sur la disparition de l’un ou de l’autre (ils se seraient rendus séparément mi-décembre en Ukraine et Gerassimov aurait fait l’objet d’une tentative de neutralisation par les forces ukrainiennes ; il s’en serait sorti indemne).

Il est tout à fait vraisemblable que l’armée russe soit en cours de réorganisation et que ses réserves de guerre soient en cours de recomplètements en particulier grâce à des coopérations extérieures est en cours dont la plus connue est celle avec l’Iran.

Il n’y a pour l’instant aucun espoir de négociations car les deux partis sont relativement équilibrés. Sauf surprise extraordinaire, le conflit devrait durer dans le temps jusqu’à ce que la balance penche dans un sens ou dans l’autre. En dehors des champs de bataille eux-mêmes, il va être intéressant de suivre les actions spéciales que va mener Kiev dans la profondeur du dispositif russe – et en Russie même -. Si les résultats d’opérations asymétriques de ce type n’a pas de grand impact tactique, il n’en n’est pas de même sur le plan psychologique.

1. Voir : « Nomination officielle d’un commandant pour l’ ‘opération spéciale’ russe en Ukraine » du 10 octobre 2022
2. Voir : « Ukraine : duel entre deux chefs de guerre » du 14 avril 2022.
3. Voir : « Guerre en Ukraine : la Russie va manquer de munitions ? » du 15 décembre 2022.

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Texte

Alain Rodier

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