Globalement, la situation sécuritaire sur le continent africain et en particulier au Sahel se détériore lentement mais sûrement. C’est la suite logique de l’évolution de la situation depuis l’intervention militaire française au Mali de 2013 pour contrer l’expansionniste des mouvements salafistes-jihadistes.

Les combattants de tous bords avaient afflué depuis la Libye voisine déstabilisée par la disparition du dictateur Mouammar Kadhafi. Les « volontaires » – et en particulier maliens – étrangers qui servaient dans l’armée libyenne avaient quitté le pays où ils n’avaient plus d’avenir.

Après la très réussie opération Serval déclenchée en janvier 2013, l’auteur écrivait déjà que, contrairement à ce qu’avait déclaré le président François Hollande, la « guerre allait durer … des années ». La seule manière de s’en sortir consistait à impliquer les gouvernements et les armées locales pour qu’ils prennent le plus rapidement possible le relai.La tentative a bien été lancée, de nombreux pays occidentaux rejoignant la France dans cette vision des choses. Le problème a résidé dans le fait que les pouvoirs politiques locaux, en particulier celui du Mali, non seulement ont été dans l’incapacité de remplir la mission régalienne qui est la leur, mais qu’en plus, ils se sont déchirés en une suite de coups d’États les plus calamiteux les uns que les autres.

Sur le plan tactique, la mission confiée aux armées françaises, même appuyées – parfois un peu tardivement – par leurs alliés, était impossible à remplir étant données les complexités des influences tribales, les ambitions personnelles, les distances à couvrir avec un nombre de personnels totalement insuffisant.

Le spectre de Moscou.

Est venue sur le tard se greffer l’influence russe via les accords conclus par Moscou avec différentes capitales africaines et la désormais célèbre société de mercenaires Wagner arrivée au Mali il y a un an. Une partie des populations locales a peu à peu assimilé les « forces libératrices » occidentales et surtout françaises, à des « forces occupantes ». C’est un grand classique dans l’Histoire. Les pouvoirs politiques concernés ont mis en avant les « sauveurs russes ». Il faut dire que ces derniers ont mené des actions de propagande effrénées passant par la diabolisation des « anciens colonisateurs » français.

Moscou paraît oublier un peu vite l’Histoire de la tentative de pénétration du continent africain par feu l’URSS. Cela a été une véritable catastrophe, même les Cubains envoyés par Moscou car plus « adaptés » se sont complètement englués dans le guêpier africain.
Il faudra peu de temps aux populations pour s’apercevoir que les Russes ne sont pas la panacée et la suite est prévisible, le retrait de la SMP Wagner, une succession ininterrompue de désordres (et le mot est faible) et de nouveaux coups d’État sans lendemains. Comme d’habitude, ce sont les populations qui vont en être les premières victimes.

Mais les Russes en Afrique – tout en restant redoutables par leur désinformation violemment anti-française – ne représentent pas le défi majeur à moyen terme.

La menace la plus importante : le salafisme-jihadisme.

Le principal danger réside dans le fait que les seules forces qui ont un peu de crédibilité auprès des populations locales en Afrique et plus particulièrement au Sahel sont aujourd’hui les salafistes-jihadistes. En plus de leur application rigoriste de la charia, ils apportent un semblant d’ordre – via les tribunaux islamiques – et un minimum vital en délivrant une aide alimentaire auprès des populations qui se sentent totalement abandonnées par les pouvoirs centraux. Il n’est pas exclu qu’un nouvel « Afghanistan taléb » apparaisse dans certaines zones du continent noir.

Le seul problème pour les salafistes-jihadistes réside dans l’opposition viscérale qui existe entre les deux plus grandes factions qui se livrent à une lutte sans merci.
D’un côté la branche d’Al-Qaida et « associés » au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et de l’autre Daech.

Les « provinces » de Daech sur le continent africain.

L’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) a changé d’appellation car maintenant, il est connu comme la « province (wilaya) Sahel de l’État Islamique » (ISSP). Le symbole est fort car c’est l’affirmation de son allégeance directe à un « pouvoir central » qui se trouverait toujours basé dans le noyau central de Daech situé entre la Syrie et l’Irak, les franchises extérieures n’étant que des « provinces aux ordres ».

Il y en a plusieurs sur le continent africain : la ISSP citée précédemment, la province de l’État Islamique pour l’Afrique de l’Ouest – ISWAP -, la province de l’État Islamique pour l’Afrique centrale – ISCAP -, au moins trois en Libye (Fezzan, Cyrénaïque et Tripolitaine), une dans la Corne de l’Afrique et une en Égypte (wilaya Sinaï car aussi présente à l’ouest du canal de Suez). Cette liste n’est pas exhaustive car les frontières entre ces wilayas restent floues, certains activistes « itinérants » pouvant appartenir à plusieurs d’entre-elles et d’autres pouvant apparaître ou disparaître à tout moment. On est très loin d’une logique cartésienne.

La lutte entre le GSIM et la ISSP est rude pour le contrôle des populations, particulièrement dans la région des trois frontières qui séparent le Mali du Niger et du Burkina Faso. Et depuis le retrait français du Mali, les pertes dans l’un ou l’autre camp sont essentiellement dues à leur adversaire direct. En dehors de quelques analystes compétents comme Wassim Nasr, personne ne parle plus des véritables massacres qui se déroulement actuellement comme celui du 19 novembre : un affrontement à la frontière entre le Burkina Faso et le Mali aurait fait plus de 80 morts, les forces de la WSEI l’ayant remporté sur des hommes du GSIM.

Mais parfois, Daech connaît quelques revers. Ainsi, Illiassou Djibo alias « Petit Chapore », un des principaux cadres de Daech dans la région a été tué lors d’affrontements avec le GSIM qui se seraient tenus lieu du 28 au 31 octobre entre Inekar et Tamalet au Mali à proximité de la frontière nigérienne. Illiassou Djibo était surtout connu pour avoir attaqué des militaires américains et nigériens à Tongo Tongo. Cette action qui a eu lieu le 4 octobre 2017 causé la mort de quatre militaires US et quatre de leurs homologues nigériens. Dans la foulée, les États-Unis avait mis à prix sa tête mais aussi celles de cadres de Daech au Sahel.

C’est suite à cette attaque que « Petit Chapore » avait pris de l’importance dans la sphère jihadiste devenant un des principaux lieutenants d’Abou Walid Al Saharaoui (lui-même neutralisé le 17 aout 2021 par l’armée française lors d’une frappe de drone non loin de Menaka).

Plus à l’Est au Mozambique, la représentation de Daech, la province de l’État islamique pour Afrique centrale propose un choix aux chrétiens et aux juifs : se convertir et payer la jizia ou faire face à une guerre sans fin…

En République Démocratique du Congo et en Ouganda, la situation est tragique animée par la remontée puissance du M23, pour une fois un mouvement qui ne se sert pas de la religion comme prétexte. Cela pourrait changer…

Plus anecdotique, la direction d’Al-Qaida appelle à boycotter la coupe du monde de football au Qatar en raison « de la campagne pornographique contre la péninsule de Mohamed ». La nébuleuse accuse les pays du Golfe de « travailler à la solde des croisés pour éloigner les musulmans de la péninsule de leur foi musulmane »… Il est symptomatique de constater que les salafistes-jihadistes rejoignent les activistes occidentaux dans la condamnation du Qatar, mais pour des raisons (morales) inversées. Cela étant, la coupe du monde de football ne va pas durer longtemps et les médias passeront à autre chose.

Les cadres salafistes-jihadistes neutralisés sont rapidementremplacés

De nombreux cadres d’Al-Qaida et de Daech – dont leurs leaders historiques – sont régulièrement tués par les forces spéciales américaines et en Afrique, françaises. Mais cela ne semble affecter en rien leurs mouvements qui génèrent de nouveaux « guides » même si ces derniers prennent plus de précautions pour leur sécurité.
Il ne faut pas se faire d’illusions, ces formations continueront à prospérer tant qu’elles trouveront au sein des populations locales une audience positive. Elles sont les dernières « révolutionnaires », l’islam radical ayant pris le relai idéologique du marxisme-léninisme en proposant aux miséreux des « solutions », même si elles sont souvent fatales.

Conclusion

Sur le continent africain, les mouvements salafistes-jihadistes ont l’initiative partout et progressent vers le Golfe de Guinée, se renforcent dans la région du lac Tchad où où une garnison de l’armée a été attaquée à Ngouboua le 21 novembre faisant 35 tués dont le commandant, le Nigéria (Province de l’État Islamique pour l’Ouest africain – ISWAP – et Boko Haram) sous pression tandis que la Somalie est de plus en plus à la dérive.
Quant à la Libye, à l’Algérie, au Maroc, à la Tunisie et à l’Égypte, les mouvements salafistes-jihadistes sont toujours bien implantés même, si pour des raisons purement tactiques, ils ne tiennent pas à faire la « une » de l’actualité.
Les salafistes-jihadistes ont le temps pour eux car ils raisonnent en « générations » et pas en « futures élections »…

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