Le 13 novembre, une bombe a explosé sur l'artère commerçante très fréquentée d’Istiqlal à Istanbul. Elle a fait six morts et 81 blessés (dont deux dont le pronostic vital est engagé). Les autorités turques ont rapidement attribué la responsabilité du carnage au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Dans la nuit qui a suivi, la police turque a arrêté 46 personnes soupçonnées être liées à cette action terroriste. Le ministre de l’Intérieur turc, Souleyman Soylu, a précisé que les « suspects » avait effectué les interpellations dans la banlieue d’Istanbul, dont une partie à Kucukcekmece.
Parmi les personnes interpelées figure Ahlam Albashir, une femme de nationalité syrienne de 23 ans qui aurait reconnu avoir posé la bombe. Elle aurait précisé avoir agi sur ordre du PKK et reçu ses directives à Kobané dans le nord-est de la Syrie.
Les photos présentées par la police montrent clairement sa face tuméfiée.
Les caméras de vidéo-protection de la ville d’Istanbul avaient déjà permis au ministre de la Justice, Bekir Bozdag, de rapporter qu’une « femme s’est assise sur un banc pendant 40 à 45 minutes et, une ou deux minutes après, il y a eu une explosion ».
La chaine de télévision privée NTV a partagé l’image tirée d’une de ces caméras de surveillance sur Istiqlal. On y voit une jeune femme en pantalon de treillis qui s’enfuit en courant. Ce serait elle qui a été désignée comme la poseuse de bombe.
La police affirme avoir découvert dans l’appartement où résidaient plusieurs suspects (dont la jeune femme) une importante somme en euros et des pièces d’or dans un sac mais aussi un pistolet semi-automatique et des cartouches. Il semble qu’il s’agissait d’une arme d’alarme « Ekol Aras Magnum » ne pouvant tirer que des balles à blanc.
La jeune femme serait arrivée en Turquie avec un autre Syrien il y a quatre mois. Pour assurer leur couverture, ils travaillaient dans la confection. Selon la police, elle devait ensuite rejoindre la Grèce où il était prévu qu’elle soit assassinée par un de ses complices.
L’attentat, n’a pas été revendiqué, ce qui est assez courant en Turquie.
Lors de sa formation en 1978, le PKK était une organisation marxiste-léniniste séparatiste. Il est aujourd’hui « apoïste » du surnom de son créateur emprisonné à vie Abdulah Öcalan « Apo », c’est-à-dire toujours marxiste-léniniste – fédéraliste – mais avec un zeste d’écologie, d’autogestion et de féminisme. Il est considéré comme un mouvement terroriste par Ankara mais aussi par les États-Unis et l’Union européenne.
La différence réside dans le fait que la Turquie considère également les mouvements kurdes syriens PYD ( Parti de l’union démocratique) et ses branches armées YPG ( Unités de protection du peuple ) pour les hommes et YPJ ( Unités de protection de la femme ) pour les femmes, comme « terroristes » car se sont les « cousins » du PKK. Il est vrai que leur idéologie est très proche. Or, c’est là le point de friction entre la Turquie et les États-Unis car ces derniers utilisent le PYD comme colonne vertébrale des Forces démocratiques syriennes (FDS) qu’ils ont créé en 2015 pour combattre Daech et, ensuite pour empêcher Damas de reprendre le contrôle du territoire syrien situé à l’est de l’Euphrate.
D’ailleurs, Ankara a « rejeté » les condoléances de Washington présentées après l’attentat de dimanche affirmant que les USA « soutiennent les terroristes » en référence aux relations maintenues avec le PYD.
Quant-à la ville de Kobané où aurait été « ourdi » le complot, elle est célèbre pour la bataille de 2015 qui a permis au PYD de repousser Daech.
Le PKK qui est entré dans la lutte armée contre le gouvernement turc au milieu des années 1980 a été souvent été rendu responsable d’attentats sanglants sur le sol turc.
Un des plus marquants a été celui de décembre 2016 près du stade de foot de Besiktas (Istanbul) qui a fait 47 morts dont 39 policiers et 160 blessés. Il avait été revendiqué par les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), une émanation du PKK. Le TAK fondé en 2004 a été dirigé par le Kurde syrien Bahoz Erdal, un activiste membre dirigeant du PKK bien connu des spécialistes.
Depuis les années 1990, le PKK est également régulièrement ciblé par des opérations militaires turques contre ses bases établies dans le Nord de l’Irak et depuis 2015 en Syrie.
D’ailleurs, en octobre, de nombreuses accusations (démenties par les autorités) ont évoqué l’emploi d’armes chimiques par l’armée turque contre des combattants du PKK en Irak du Nord. Une liste de 17 « martyrs » a été présentée comme ayant été tués des gaz toxiques.
Une vidéo a été diffusée montrant un groupe de soldats turcs dans une région montagneuse irakienne quittant rapidement les abords d’une grotte d’où s’échappait une fumée grisâtre. Un homme a aussi été filmé suffoquant et sujet à des convulsions. La présidente de l’Union des médecins de Turquie (TTB), Sebnem Korur Fincanci, a affirmé avoir « regardé et examiné les images sur les réseaux sociaux ». Pour elle : « de toute évidence, l’un des gaz toxiques, un poison ou un gaz chimique, qui affecte directement le système nerveux, a été utilisé». Elle a réclamé une « enquête indépendante afin d’établir la responsabilité des États qui utilisent ce genre d’armes ». Conséquence classique en Turquie : le bureau du procureur général d’Ankara l’a inculpé et placé sous mandat de dépôt à la fin octobre tout en mettant fin à ses fonctions.
Le PKK est également au cœur d’un bras de fer entre la Suède et la Turquie qui bloque depuis mai l’entrée de Stockholm dans l’OTAN. La Suède est accusée d’accueillir des « terroristes » du PKK. Ankara a en effet réclamé l’extradition de plusieurs membres reconnus du PKK dans un mémorandum d’accord signé en juin avec la Suède et la Finlande, autre pays nordique désireux de rejoindre l’Alliance atlantique.
La Turquie est très prompte à accuser le PKK et fait systématiquement l’amalgame avec les Kurdes syriens du PYD. Les « aveux » des suspects et les pièces à conviction présentées par la police turque sont aussi sujet à caution. Il n’empêche que cet attentat sanglant qui visait directement des civils très nombreux Istiqlal caddesi est l’œuvre d’un mouvement terroriste. Ils sont tellement nombreux en Turquie (sans même parler des mafias turco-kurdes) qu’il est difficile de savoir qui est vraiment celui qui est derrière cette ténébreuse affaire. Même une piste iranienne a été évoquée mais elle semble peu crédible. Il convient d’attendre une éventuelle revendication…
Maintenant, que les autorités turques aient désigné Kobané comme une « base du PKK » donne le prétexte rêvé au président Recep Tayyip Erdoğan pour y déclencher une opération militaire qui permettra à l’armée turque de quasi fermer la frontière syrienne en étendant sa « zone de sécurité » de Jarabulus à l’ouest à Tel Abyad à l’est (c/f carte ci-après). Washington devrait apprécier…
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