L’entrée dans l’OTAN, surtout pour les pays qui jusque là étaient neutres, a un prix car un nouvel adhérent doit obtenir l’assentiment de l’ensemble des membres. Et c’est là que surviennent parfois d’importantes difficultés dues aux relations entretenues entre le postulant et un pays membre, surtout quand ce dernier a un certain poids au sein de l’Alliance.

L’exemple suédois (et dans une bien moindre mesure finlandais) est intéressant. Ce pays nordique très à cheval sur les principes d’une démocratie ouverte accueille depuis des décennies de nombreux réfugiés politiques de toutes nationalités En particulier des Kurdes qui s’estiment persécutés dans leurs pays d’origine. Ceux originaires de Turquie sont souvent accusés par Ankara d’est être des terroristes du PKK, mouvement effectivement reconnu comme tel par la communauté internationale.
Il y a également les opposants au président Reccep Tayip Erdoğan qui sont désignés comme membres de « la confrérie Gülen », la dernière accusation en vogue en Turquie qui permet d’incarcérer à peu près n’importe qui sur la base de suspicions souvent fumeuses. Pour rappel, ce sont les réseaux Gülen qui ont permis à Erdoğan de parvenir démocratiquement au pouvoir puis de mater l’armée qui, au début des années 2000, était encore considérée comme dangereuse. Un classique dans la politique révolutionnaire qui avait amené les islamistes au pouvoir, les gagnants se débarrassent de leurs plus proches fidèles devenus encombrants…

En conséquence, Ankara conditionne son acceptation des candidatures de la Suède (et de la Finlande – mais là, il y a moins de cas « litigieux -) à une coopération bilatérale renforcée dans le domaine de la lutte anti-terroriste. Cela oblige la Suède à exclure le PKK et à renvoyer en Turquie les personnes suspectées d’y appartenir. Une liste de noms a été fournie à Stockholm par Ankara.
Le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, avait bien fait le 8 novembre le déplacement d’Ankara pour demander au président Erdoğan de lever son opposition à l’adhésion de son pays à l’Alliance. Mais, cela a été un déplacement pour rien.

Erdoğan joue sur du velours. Il sait qu’il est en position de force au sein de l’OTAN. La position géographique de la Turquie qui couvre le flanc sud-est de l’Alliance lui donnant accès au Proche et Moyen-Orient et au Caucase est irremplaçable. De plus, l’armée turque est – en nombre – la deuxième de l’OTAN derrière les États-Unis.
Enfin, les États-Unis n’interviendront pas dans des discussions entre un pays candidat et la Turquie car ils ne veulent pas contrarier Ankara étant donnés leurs intérêts sur zone qui sont considérés comme vitaux.

Donc contraint et forcé, Stockholm a procédé à la première extradition d’un Kurde turc demandeur d’asile en Suède. Mahmut Tat qui avait rejoint la Suède en 2015 après avoir été condamné à près de sept années d’emprisonnement par le tribunal de Mersin a été arrêté le 22 novembre et détenu à Mölndal. Le 2 décembre, il a été transféré à l’aéroport d’Arlanda à Stockholm et expulsé vers Istanbul. Arrêté dès son arrivée, il a été incarcéré à la prison de Metris dans cette même ville. Il devrait rester en prison pendant près de sept ans pour « appartenance à une organisation terroristes [PKK] ».

Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, s’est félicité de cette extradition : « l’extradition de la personne que vous avez nommée est importante pour la Turquie. Cette personne est la nôtre mais elle n’était pas sur notre liste. Cependant, les personnes inscrites sur la liste devront également être renvoyées ». Chose curieuse, il semble que l’extradé n’était pas explicitement demandé par Ankara… mais que rien n’est réglé car la Turquie attend bien d’autres extraditions…

Ankara a également conditionné son accord à la candidature de la Suède et de la Finlande à l’OTAN à la fin de l’embargo de ces deux pays sur les armes. Il avait été mis en place en 2019 après des offensives turques déclenchées contre le PKK dans le nord de l’Irak et de la Syrie en 2019. Cet embargo a été levé fin septembre par la Suède mais pas encore par la Finlande. À noter que si le commerce des armes entre la Finlande et la Turquie est très limité, ce n’est pas le cas avec la Suède dont, par exemple, la gamme des canons Bofor équipe les forces armées turques.

Cerise sur le gâteau, le président Erdoğan s’était permis en juillet 2022 de demander la tête du ministre de la Défense suédois, Peter Hullqvist, qui avait participé il y a dix ans à une manifestation exigeant la libération d’Abdullah Öcalan, le fondateur du PKK incarcéré à vie sur l’île-prion d’Imrali. Il est toujours en poste…

L’élection présidentielle turque va se tenir le 18 juin 2023. Il est possible que la Suède et la Finlande devront attendre cette date avant d’espérer pouvoir enfin intégrer l’OTAN, Erdoğan donnant à cette affaire un enjeu politique qui lui permet de se présenter comme le meilleurs défenseur du nationalisme turc hérité de Mustafa Kemal Atatürk. Le centenaire de la proclamation de la République turque aura lieu le 29 octobre 2023 et Erdoğan a effectué depuis 2015 un virage nationaliste que l’on n’attendait pas.

Publié le