Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe terroriste (1) a revendiqué l'attentat suicide commis le 1er octobre matin contre l’entrée du ministère de l’Intérieur à Ankara. Deux policiers de faction ont été blessés, l'un ayant reçu une balle dans la poitrine et l’autre ayant été touché aux jambes et à un œil. Lors de cette action, les deux assaillants ont trouvé la mort.

Le ministre de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, a précisé devant la presse que l’un des deux attaquants s’était fait exploser et que l’autre a été abattu « d’une balle dans la tête ».

Le siège de la police visé, situé dans l’enceinte du ministère de l’Intérieur, se trouve à proximité du parlement.

Une vidéo d’une caméra de surveillance montre un utilitaire Renault gris qui se gare lentement devant le siège de la police. Le passager avant en sort et s’avance arme à la main, tire et se fait exploser devant la guérite du poste de garde. Un deuxième homme s’élance à son tour mais disparaît de l’image avant d’être tué par la police.

La police a sécurisé la zone à la recherche d’engins explosifs. Elle a découvert dans le véhicule des pains de plastic, des grenades à main et un lance-roquettes.

Le véhicule avait été dérobé à Kayseri, une ville située à environ 260 km au sud-est d’Ankara. Le ministère de l’Intérieur a révélé qu’il appartenait à un vétérinaire qui a été tué, vraisemblablement alors que les terroristes s’emparaient de son véhicule.

Les images des caméras de vidéo-protection de Kayseri jusqu’à la frontière syrienne sont en cours d’examen pour déterminer d’où venaient les suspects.

Quelques heures après, le PKK a fait la revendication suivante via l’agence de presse Firat News Agency(ANF) proche du mouvement kurde : « Aujourd’hui vers 9h30, une unité de notre ‘Brigade des Immortels’ a mené une action sacrificielle devant le ministère turc de l’Intérieur. Cette action était explicitement prévue pour l’ouverture du Parlement et à proximité du bâtiment, qui est considéré comme un centre de massacres et de torture. Elle a été réalisée conformément au plan et sans aucun obstacle. Nos camarades qui ont mis en œuvre cette action sacrificielle ont surmonté le poste de garde et pénétré à l’intérieur de la zone de sécurité. Ils ont réussi et ont atteint leur objectif ».

Dans la foulée, les forces de l’ordre ont appréhendé 20 personnes lors de descentes menées à Istanbul et dans la province voisine de Kırklareli (à l’ouest du Bosphore).

Ces opérations visaient des individus qui auraient été impliqués dans « la collecte d’aide pour des membres du PKK détenus ou condamnés et la création de refuges pour eux ». Il est vraisemblable qu’aucune des personnes arrêtées n’ait de liens avec cet attentat. Elles avaient juste le tort d’être sur des listes de police (une procédure classique en Turquie).

Parmi les personnes arrêtées figuraient des responsables du Parti démocratique des peuples (HDP) qui fait actuellement l’objet d’une procédure d’interdiction en raison de relations présumées avec le PKK (les principaux dirigeants du HDP sont emprisonnés depuis 2016. Des milliers de membres sont également sous les verrous).

Quelques heures après l’attentat, le président Recep Tayyip Erdoğan a mis en garde les « terroristes » affirmant que « les scélérats qui menacent la paix et la sécurité des citoyens n’ont pas atteint leurs objectifs et ne les atteindront jamais ».

Lors de la séance inaugurale de la reprise des travaux du parlement qui a suivi de peu l’attentat, le chef de l’État qui s’adressait aux députés a étendu sa colère à l’Europe déclarant : « la Turquie n’attend plus rien de l’Union européenne […]. Nous avons tenu toutes les promesses que nous avons faites à l’UE mais eux, ils n’ont tenu presque aucune des leurs […] il ne tolèrera pas de nouvelles exigences ou conditions au processus d’adhésion [de la Turquie] S’ils ont l’intention de mettre fin au processus d’adhésion qui n’existe que sur le papier, c’est leur décision ».

La colère du président contre l’UE découle d’un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a épinglé cette semaine la Turquie pour avoir condamné un homme pour terrorisme sur la seule base de son utilisation de l’application de messagerie cryptée ByLock. Dans l’affaire jugée par la CEDH, l’enseignant, Yuksel Yalcinkaya, arrêté en 2016 soupçonné d’appartenir au réseau Gülen, a été reconnu coupable et condamné à six ans et trois mois de prison sur le simple fait qu’il utilisait ByLock.

Opérations de représailles

Dès le 1er octobre après-midi, la Turquie a mené en représailles plusieurs frappes aériennes contre les rebelles kurdes dans le nord de l’Irak et dans la région de Qamisli dans le nord-est de la Syrie. Le gouvernement a déclaré que 20 cibles avaient été détruites et que de nombreux militants du PKK avaient été neutralisés. Selon le ministère turc de la Défense, elles ont ciblé des grottes, des dépôts et des bunkers utilisés par le PKK.

L’agence de presse kurde Rudaw a déclaré que les frappes visaient le mont Qandil, près de la frontière iranienne, considéré comme le bastion du PKK. En Syrie, ce seraient des drones qui auraient procédé à des bombardements ponctuels.

Mais la réalité semble plus mesurée. Les bombardements turcs sont fréquents en Irak du Nord et servent surtout la propagande intérieure. Sur le plan tactique, il y a longtemps que les militants du PKK – et leurs familles – ont appris à s’en protéger d’autant que les forces turques utilisent très majoritairement des bombes lisses peu précises. Les pertes du PKK restent donc quasi insignifiantes.

Rappel historique

Le PKK, aux racines marxistes-léninistes, a été formé à la fin des années 1970 et a lancé une lutte armée contre le gouvernement turc en 1984, appelant à un État kurde indépendant au sein de la Turquie. Dans les années 1990, le PKK a renoncé à ses revendications en faveur d’un État indépendant, appelant plutôt à plus d’autonomie pour les Kurdes. Plus de 45.000 personnes ont été tués lors de ce conflit. Les combats ont repris après la fin d’un énième cessez-le-feu de deux ans en juillet 2015.

Ankara a été le théâtre de très nombreux attentats au cours des années 2015-2016 revendiqués par le PKK et par le groupe État islamique (Daech). Lors du dernier en date, en mars 2016, une voiture piégée avait fait 38 morts et 125 blessés dans le quartier central de Kizilay de la capitale turque. L’attaque avait été attribuée au TAK (les Faucons de la liberté), un groupuscule radical proche du PKK. En octobre 2015, un attentat devant la gare centrale d’Ankara attribué à Daech avait fait 109 morts. Le dernier attentat enregistré sur le territoire turc le 13 novembre 2022, dans une artère commerçante d’Istanbul (six morts, 81 blessés), n’a pas été revendiqué mais a été attribué au PKK par les autorités.

L’attentat du 1er octobre est le premier dans la capitale turque depuis celui de mars 2016. Il a vraisemblablement pour but de rappeler aux autorités turques que le mouvement est toujours actif.

Il est vrai qu’il est solidement retranché depuis des années au Kurdistan irakien et dans la partie est du Rojava syrien située à l’est de l’Euphrate.

Par contre, il est devenu difficile au PKK de se livrer à des activités de guérilla dans les campagnes de Turquie car le terrain est quadrillé par les forces de sécurité qui ont vu leurs moyens de surveillance considérablement augmentés grâce à de nouveaux moyens techniques dont les drones. Il est donc logique que le PKK soit tenté de conduire des actions de terrorisme urbain. L’avenir dira si cette stratégie devient d’actualité.

Erdoğan renouvelle régulièrement ses accusations de « cousinage » entre le PKK et le Parti de l’union démocratique (PYD) syrien (et ses deux composantes militaires YPG pour les hommes et YPJ pour les femmes) qui domine le Rojava.

Raqqa, 2017. Des activistes du YPG et YPJ posent en 2017 devant un poster d’Abdullah Öcalan, le leader historique du PKK.

Ce mouvement constitue l’épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par 900 hommes des forces spéciales US – à l’origine pour lutter contre Daech, aujourd’hui surtout pour empêcher Damas et ses alliés iraniens de reprendre le contrôle de la région.

Si l’enquête venait à démontrer que les deux kamikazes venaient de cette zone, cela mettrait en difficulté la position de Washington qui officiellement ne fait pas d’amalgame entre PYD et PKK.

C’est pour cette raison que les États-Unis ont multiplié les déclarations affirmant par la voix du porte-parole du département d’État, Matthew Miller, qu’ils se tiennent « fermement aux côtés de leur allié de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), la Turquie, et du peuple turc dans la lutte contre l’organisation terroriste PKK ».

Il a aussi précisé pour l’Irak du Nord : « nous reconnaissons la menace légitime que le PKK fait peser sur la sécurité de la Turquie et nous demandons instamment à la Ankara de poursuivre sa coopération avec l’Irak en matière de lutte contre le terrorisme, d’une manière qui soutienne et respecte la souveraineté irakienne »…

Il n’en reste pas moins que la nébuleuse activiste kurde – même si elle est loin d’être unifiée – est bien présente en Turquie, en Syrie en Irak et en Iran. Si les Américains quittaient le Rojava et l’Irak du Nord, les cartes seraient complètement redistribuées et des risques d’affrontements multipliés.

1.   Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est considéré comme un groupe terroriste en Turquie, dans l’UE, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

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Texte

Alain Rodier