Alors que l’attention occidentale est polarisée sur le déroulement de la guerre en Ukraine, la situation sécuritaire se dégrade progressivement en Afrique de l’Ouest dans l’indifférence générale.

NIGERIA

Dimanche 5 juin, des hommes armés ont attaqué une église bondée dans la ville d’Owo dans l’État d’Ondo situé au sud-ouest du Nigeria à plus de 1.000 kilomètres des régions où sévissent habituellement les jihadistes de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP Islamic State West Africa Province) et Boko Haram. Les assaillants dont certains s’étaient mêlés aux fidèles ont pris pour cible l’église catholique Saint Francis à la fin de la messe de Pentecôte. Les autorités ont décompté plus de quarante personnes dont des femmes et des enfants. 61 personnes ont été blessées et certaine pourraient ne pas survivre à leurs blessures.

Le ministre de l’Intérieur, Rauf Aregbesola, soupçonne l’ISWAP d’être impliqué dans cette tuerie de masse…

Le Nord-est du Nigéria est le théâtre habituel de l’insurrection jihadiste menée par Boko Haram et l’ISWAP mais depuis plusieurs mois, l’ISWAP a lancé des attaques meurtrières en dehors de cette zone touchant en particulier les régions voisines de Taraba et Yobe.

Le 10 juin, les autorités de la région de Kaduna (centre du pays) ont fait état d’une attaque au cours de laquelle des assaillants ont tué 32 personnes et détruit des dizaines de maisons. Malam Nasir el-Rufai, le gouverneur de cet État a tiré un triste bilan pour les trois premiers mois de l’année 2022 affirmant que 360 personnes avaient été assassinées et 1.399 autres enlevées durant cette période. Par ailleurs, des milliers de têtes de bétail auraient été volées.

Si le jihadisme est l’une des causes de l’insécurité qui prévaut au Nigeria, elle est loin d’en être la seule. Dans tout le pays, la criminalité organisée ( la plus puissante du continent africain ) se livre à tous les trafics : drogues, pétrole, piraterie, êtres humains, racket, armes, etc. avec une spécialité, la fraude internet « 419 » qui est le numéro de l’article de loi qui sanctionne cette activité.
Elle s’appuie sur des gangs de rues les « Agberos » et à un niveau supérieur des confraternités étudiantes qui servent de paravent à des organisations de type mafieux. Cette criminalité a même des représentants en Europe et sur le Continent américain où elle a noué des « relations d’affaires » avec ses homologues locales. Cette toute puissance fait qu’à domicile, se déroule une « guerre des gangs » permanente pour acquérir des territoires et lutter contre les autorités – dont une partie est corrompue -.
D’aucuns soupçonnent une certaine « perméabilité » entre les criminels et les jihadistes.

BURKINA FASO

Parallèlement, le Burkina Faso connait une hausse des attaques attribuées à l’ISWAP. Le 9 juin, le village de Seytenga situé à la frontière nigérienne avait été attaqué par un commando qui avait tué onze gendarmes. Une opération de poursuite avait été engagée, le porte-parole du gouvernement, Lionel Bilgo, annonçant alors la neutralisation d’une quarantaine d’activistes. En représailles, les terroristes sont revenus dans la nuit du 11 au 12 juin à Seytenga et ont massacré au moins 79 civils (plus d’une centaine selon l’Union européenne). Cela constitue l’attaque jihadiste la plus meurtrière depuis la prise de pouvoir par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba lors du coup d’État fin janvier. Après une brève période d’accalmie, les attaques jihadistes mais elles ont repris et tué près de 300 civils et militaires ces trois derniers mois. Auparavant, deux attaques avaient notamment marqué les esprits: la plus meurtrière de l’histoire du pays, contre le village de Solhan (nord-est du pays) en juin 2021, qui avait fait 132 victimes et celle d’Inata (nord) en novembre de la même année. 57 gendarmes avaient été tués.

NIGER

Le ministère de la Défense nigérien a déclaré le 14 juin : « ce jour, mardi 14 juin 2022 aux environs de 05H30 locales , le détachement de la gendarmerie nationale de Waraou (…) a fait l’objet d’une attaque par des groupes armés terroristes aux guidons de plusieurs dizaines de motos et de véhicules ». Huit gendarmes ont été tués et trente-trois ont été blessés dont six gravement. Six véhicules des forces nigériennes ont été détruits lors des combats. Cette attaque a pris pour cible des éléments de la gendarmerie « en mission de sécurisation des villages environnants » de Waraou à proximité de la frontière du Burkina Faso.
Waraou dépend du département de Gothèye qui est situé dans la région de Tillabéri qui fait partie de la zone des « trois frontières » située entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali, devenue un repaire des jihadistes sahéliens.

Depuis le début de l’année dans la zone des « trois frontières », les jihadistes s’évertuent à couper les communications téléphoniques (en détruisant les relais) et les lignes électriques tout en contrôlant les principaux axes routiers de la zone. Nombre de villages sont ainsi passés sous leur contrôle. Les forces de sécurité effectuent bien des opérations de nettoyage annonçant des bilans avantageux mais, une fois parties, les jihadistes reprennent la place.
À noter que comme cela a été expliqué plus avant pour le Nigeria, les liaisons entre les jihadistes et les criminels de droit commun sont peu connues mais jouent certainement un rôle pour que les groupes terroristes puissent survivre sur le terrain.

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Texte

Alain Rodier

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