Après la disparition de ses principaux responsables, la Société Militaire Privée « Groupe Wagner » serait en voie de démantèlement.

Déjà, le haut commandement russe a fait savoir que cette SMP ne serait plus tolérée sur le sol ukrainien.

Au Mali, des sources locales ont fait savoir que les mercenaires de Wagner auraient quitté les localités de Mopti, Ber et Sévaré. Quelques éléments seraient encore présents aux côtés des FAMa dans des postes isolés situés entre Douentza et Gao.

Les volontaires de la SMP rencontreraient de plus en plus de difficultés pour se faire payer et, plus dramatique, certains blessés convalescents auraient été expulsés des établissements médicaux où ils sont soignés sous le prétexte que ces derniers ne recevraient plus les émoluments financiers dus.

L’ensemble des mercenaires se voit proposer deux solution :

– réintégrer la vie civile (où des rumeurs font état de l’engagement de certains dans d’autres SMP) ;

– rejoindre les forces armées russes mais ils doivent alors prêter serment et les soldes sont nettement inférieures. Enfin, les forces armées sont libres de refuser toute candidature pour des raisons qui leur sont propres (médicales, âge, passé criminel, etc.).

Cela ne veut pas dire que la Russie quitte la scène internationale, bien au contraire. Elle s’engage désormais directement via les Spetsnaz, les unités de renseignement et reconnaissance militaires de la direction générale des renseignements (GRU) (rebaptisée en 2010 « direction principale de l’état-major général des forces armées russes » GU) qui prennent la place de la SMP.

Quoiqu’il en soit, il y a longtemps que plus personne n’était dupe sachant que la SMP représentait les intérêts du Kremlin. Le seul changement réside dans les financements acquis sur le terrain (pétrole, pierres précieuses, or, etc.) qui iront directement dans les caisses de l’État russe sans trop de ponctionnements par les « intermédiaires ». Par contre, le Kremlin sera désormais engagé en première ligne sans pouvoir se servir de l’excuse bien pratique : ce n’était pas la Russie…

Le colonel-général Andrei Averyanov, l’ancien chef de l’Unité 29 155 chargée des opérations clandestines au sein du GRU, serait chargé de la mise en place de la relève sous la houlette du vice-ministre de la défense, le colonel-général Iounous-bek Evkourov. Ce dernier vient d’effectuer une visite « officielle » auprès du maréchal Haftar en Libye(1). Ce dernier a été prévenu de n’accepter que des aides « officielles » de la Russie et plus celles de « privés ».

La tournée de Iounous-Bek Evkourov l’a emmené  en Syrie, en Centrafrique, au Burkina-Faso et au Mali. De religion musulmane, ancien président d’Ingouchie, issu des troupes aéroportées et ancien camarade de régiment de feu Outkine (le chef opérationnel de Wagner – enterré dans un cimetière militaire à la fin août), il présente toutes les caractéristiques pour emporter l’adhésion de ses interlocuteurs.

Il avait été filmé dans la cour de l’état-major de la région militaire sud à Rostov le 24 juin tentant de convaincre Evgueni Prigojine d’arrêter son coup d’État.

 

Pour mémoire

L’avion d’affaires appartenant à Evgueni Prigojine s’est écrasé le 23 août dans la région russe de Tver. Cet Embraer Legacy (appareil très sûr car un seul accident a été répertorié en plus de vingt ans d’exploitation) était en route de Moscou vers Saint-Pétersbourg lorsqu’il s’est écrasé près du village de Kuzhenkino, dans la région de Tver.

Pavel Aksyonov du service russe de la BBC, estime que des « évènements » survenus à bord de l’appareil qui pourraient avoir conduit à l’« accident », soulignant que le transpondeur de l’avion a cessé de fonctionner alors qu’il était encore en l’air.

Les Américains disent de leur côté que leurs systèmes de surveillance permanents du territoire russe n’ont détecté aucun départ de missile sol-air ni un tir air-air.

La commission d’enquête russe a ouvert une enquête pénale sur l’accident. On ne connaîtra vraisemblablement jamais la vérité sur ce crash.

Les passagers de l’avion

–  Evgueni Prigozhin, 62 ans, est devenu célèbre après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. S’il était déjà connu comme le propriétaire de la SMP Groupe Wagner apparue en Syrie en 2016, il s’est aussi affirmé comme le véritable « patron » militaire. Il en a profité pour accuser les hauts gradés de l’armée russe (dont le chef d’état-major, le général Valery Gerasimov et le ministre de la défense Sergueï Choïgou) d’incompétence, voire de trahison. Cela l’a conduit à se mutiner en juin, le président Poutine l’ayant « ramené à la raison » au bout de deux jours.

–  Dmitri Outkine, 53 ans (en bas à droite sur la photo en tête de ce paragraphe) était le bras droit de Prigojine, co-fondateur de Wagner et chef opérationnel du groupe. Son indicatif d’appel était « Wagner ». Après qu’un accord ait mis fin à la mutinerie, Outkine a déclaré dans un discours aux combattants de Wagner : « ce n’est pas la fin. C’est juste le début du plus grand travail au monde qui sera réalisé très prochainement » ajoutant en anglais : «  Bienvenue en enfer! ». Il a combattu pour Wagner en Syrie et en Ukraine et était auparavant officier des forces spéciales du service de renseignement militaire russe GRU. C’est là qu’il a côtoyé  Iounous-Bek Evkourov.

–  Valery Tchekalov, 47 ans, (à gauche de Outkine) dont l’indicatif était « Rover » était l’adjoint « logistique » de Prigojine. Jusqu’en 2022, Tchekalov a également dirigé le cabinet de conseil Neva, lié à Prigojine.

On en sait moins sur les quatre autres hommes de Wagner qui sont morts dans l’accident. Ils constituaient vraisemblablement la garde rapprochée de Prigojine.

–  Sergei Progustin, 44 ans, dont l’indicatif d’appel était « Cedar ».

–  Alexander Totmin, 30 ans, faisait partie des rares mercenaires de Wagner actifs sur les réseaux sociaux, avec des photos de diverses villes russes dont Saint-Pétersbourg où il vivait. Il aurait servi dans les forces Wagner au Soudan.

–  Makaryan Evgeniy qui a rejoint Wagner en 2016 aurait combattu en Syrie.

 – Nikolai Matuseev serait le quatrième garde du corps.

Les membres d’équipage : Levshin Aleksei, pilote ; Karimov Rustam, co-pilote ; Raspopova Kristina, hôtesse de l’air.

 

Et la suite ?

La plupart des commentateurs occidentaux parlant de la disparition de Progojine se sont concentrés sur la crainte de Poutine que cette dernière ne révèle la fragilité du régime russe.

Même si cela est en partie est vrai, cela laisse de côté plusieurs craintes répandues au sein de l’establishment russe – et même dans la population dans son ensemble – qui influenceront la manière dont les évènements se dérouleront dans l’avenir : la peur de la défaite, du chaos et la méfiance interne.

Ce qui inquiétait vraiment l’élite russe, c’était l’incapacité de Poutine à agir pour mettre fin à la querelle publique entre Prigojine et les autorités militaires russes et le fait que la rébellion de Wagner risquait de provoquer à terme une scission interne en Russie qui pouvait provoquer une défaite en Ukraine.

À en juger par les récents échecs des opérations offensives ukrainiennes, si le régime et l’État russes restent unis, l’armée russe a de bonnes chances de conserver ses positions.

Une grande majorité des Russes accepteraient un cessez-le-feu le long du front si Poutine le présentait comme une « victoire suffisante ».

Les nationalistes radicaux seraient profondément irrités mais ils ont été affaiblis par la disparition de Prigojine suivie part les mesures prises par Poutine pour limiter leur influence, notamment le limogeage des généraux Ivan Popov et Sergueï Surovikine puis par l’arrestation du leader ultranationaliste Igor Guirkine.

Cependant, Poutine a visiblement encore peur de leur influence et de leur admiration pour Prigojine ; c’est sans doute pour cela qu’il a veillé à ce que ses funérailles restent strictement privées.

L’aversion générale des élites russes à l’idée de rechercher une victoire totale en Ukraine n’est cependant pas la même chose qu’une volonté d’accepter une défaite, ce qui est tout ce que proposent actuellement les gouvernements ukrainien, américain et certains pays européens (Pologne, États baltes, etc.).

Les Russes dans leur majorité estiment que la Russie doit conserver les territoires dont elle s’est emparée depuis le début de l’« opération spéciale » pour maintenir un glacis interdisant de futures attaques ukrainiennes contre la Crimée et le Donbass, régions qu’ils considèrent comme « russes ».

Rien n’indiquait à l’origine que la population russe souhaitait que l’invasion de l’Ukraine soit déclenchée. Cette décision a été prise par Poutine et son entourage immédiat. Mais il existe une immense réticence à accepter une Russie vaincue et humiliée en Ukraine.

Les craintes des élites et de la population russes face à une éventuelle défaite sont liées à la peur ultime de l’anarchie qui en découlerait.

En effet, une défaite complète en Ukraine entraînerait la chute du régime de Poutine et cela marquerait le début d’une période de chaos qui affaiblirait gravement le pays pouvant même mener à l’explosion de la Fédération de Russie.

La plupart des hommes d’affaires sont toujours fidèles à Poutine parce qu’il a mis fin aux rackets des mafias durant les années 1990.

En résumé, il semble que les élites d’aujourd’hui croient que sans un leader fort pour maintenir l’ordre, elles seraient incapables d’arbitrer leurs différends et de maintenir l’unité de l’État.

1. Voir : « La fin de Wagner en Afrique ? » du 25 août 2023.

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Texte

Alain Rodier