Si sur le terrain la situation tactique semble peu évoluer (c/f carte war mapper renseignée par le colonel (er) Michel Goya), les forces russes continuent toutefois à grappiller du terrain. Par contre, un certain nombre de « signaux faibles » envoyés, certains volontairement, sont inquiétants.

Des mouvements de vols gouvernementaux depuis Moscou vers l’Oural à l’Est dans des zones qui sont connues pour leurs abris réservés aux autorités russes et leurs familles laissent à penser qu’un mouvement de desserrement des cadres est prévu. Comme les transpondeurs des avions ont été laissés actifs, il est évident que ces mouvements ont eu lieu pour être détectés. Il ne s’agit peut-être que d’un exercice car en cas du déclenchement réel de ces mouvements qui signifierait une escalade militaire importante, les transpondeurs des avions seront certainement éteints.

L’avion qui emmenait le ministre russe des Affaires étrangère, Sergueï Lavrov, le 16 mars à Pékin pour une visite de travail a brusquement fait demi-tour pour revenir à Moscou. Or le président Joe Biden doit s’entretenir aujourd’hui avec son homologue Chinois, Xi Jinping, afin de lui répéter qu’il devrait assumer les conséquences de ses décisions s’il livrait des armes et des munitions à la Russie. Des discussions ont certainement déjà eu lieu entre Moscou et Pékin à ce propos et on devrait connaître le résultat dans les heures qui viennent lorsque la Maison-Blanche communiquera sur le sujet.

Le président américain Joe Biden a encore haussé le ton vis-à-vis du président Vladimir Poutine le qualifiant de « dictateur meurtrier […] pur voyou […].criminel de guerre » qui un jour devra rendre des comptes (sans doute devant la justice internationale). Cela a été très mal perçu à Moscou qui a affirmé que ces déclarations ne seraient jamais « oubliées » dans l’avenir. Il est vrai que les États-Unis, grands donneurs de leçons de « légalité internationale » (suivis par leurs alliées européens) semblent avoir oublié qu’ils sont intervenus en Irak en 2003 sans aucune autorisation de l’ONU sans parler du Kosovo et de la Serbie en 1999. Certes pour la Libye en 2011, cela a été seulement considéré comme un « dépassement » du mandat de l’ONU qui était passé de la « protection des populations » à la chute du régime du colonel Kadhafi. À noter aussi que depuis les attentats de 2001 et la « guerre contre le terrorisme », Washington est passé maître dans les « exécutions extra-judiciaires » via l’emploi de drones armés sur des pays « souverains ». La dernière qui a marqué à été l’opération homo qui a tué le major général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020 à Bagdad.

Un cargo civil estonien « Helt » aurait été coulé. Selon les données de suivi du trafic maritime, ce dernier n’a plus communiqué sa position depuis deux semaines alors qu’il avait quitté le port ukrainien de Chornomosk le 20 février. La marine russe qui est suspectée d’être à l’origine de cette affaire bloque pour le moment toutes les sorties de la mer Noire vers le Bosphore (elle-même ne peut plus emprunter les détroits interdits par les autorités turques).

Enfin, dans le cadre de la politique habituelle de Washington de fourniture d’armes, une nouvelle aide de 800 millions de dollars a été attribuée à l’Ukraine.

Cette assistance militaire comprend (entre autres) :
. 800 missiles anti-aériens portables Stinger ;
. 2.000 missiles antichars Javelin, 1.000 armes anti-chars légères et 6.000 systèmes Anti-chars AT-4;
. 100 drones « suicide »;
. 100 lance grenades, 5.000 fusils, 1.000 armes de poing, 400 mitrailleuses and 400 fusils anti-émeutes;
. quelques 20 millions de munitions de petit calibre, grenades et obus de mortiers;
. 25.000 gilets pare-balles;
. 25.000 casques.

Les États-Unis auraient précédemment livré :
. plus de 600 missiles Stinger;
. environ 2.600 missiles Javelin;
. cinq hélicoptère Mi-17;
. trois navires de patrouille maritime;
. environ 40 millions de munitions de petit calibre et un million de grenades et de munitions pour mortiers et d’artillerie;
. 70 véhicules à roues à haute mobilité (High Mobility Multipurpose Wheeled Vehicles, HMMWVs) et d’autres véhicules;
. etc.

Ils apportent également une aide importante en matière de renseignements, en particuliers ceux reçus par des moyens aéroportés donnant aux Ukrainiens le positionnement détaillé des forces russes sur le terrain.
Environ trente autres pays donnent de leur côté une aide directe ou indirecte à Kiev. 14 d’entre eux ont reçu l’autorisation de transférer des technologies américaines aux Ukrainiens (selon les fameux certificats de destination finale).

Il y a peu de chance que le Kremlin ne laisse passer toutes ces mesures (qui viennent s’ajouter aux sanctions internationales) sans réagir d’une manière où d’une autre que personne n’est capable d’imaginer tant Poutine est devenu imprévisible (dixit la CIA).

La ligne d’urgence dite de « déconfliction » entre l’OTAN et la Russie a été testée en milieu de semaine. Moscou n’a pas répondu…
Celle qui existe entre les États-Unis et la Russie fonctionne mais n’a jamais été utilisée.

À noter que trois sous-marins nucléaires lance engins (SNLE) français sur quatre seraient actuellement en « patrouille » ce qui est tout à fait exceptionnel.

Les négociations

Heureusement, le dernier round de négociations menées entre les Russes et le Ukrainiens aurait permis de faire quelques avancées. La Russie conditionnerait un cessez-le-feu et le retrait de ses troupes à l’acceptation de la « neutralité » de l’Ukraine (sur le modèle suédois ou autrichien) tout en restant hors de l’OTAN. Point nouveau, elle pourrait conserver son armée mais ne devrait pas accueillir de bases étrangères sur son sol. Enfin, elle devrait accepter le statut proposé par Moscou pour la Crimée et les « Républiques » du Donbass.
Selon des négociateurs, le Premier ministre israélien Naftali Bennett aurait joué un grand rôle dans ces avancées ayant été le principal médiateur entre Moscou et Kiev. Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan aurait également été « écouté » par les deux parties. Le président Macron n’est pas cité alors qu’il a eu de nombreux entretiens téléphoniques avec les deux présidents…

Le problème c’est que les Ukrainiens ne croient pas dans la sincérité des Russes pensant que les négociations sont juste destinées à leur faire gagner du temps pour réarticuler leur dispositif militaire en vue d’une poursuite de la campagne militaire qui s’avère beaucoup plus longue et difficile que prévu à l’origine.

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Texte

Alain Rodier

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