Les conflits récents ont remis au goût du jour l’éternelle question du char de bataille avec en idée subliminale : est-il encore utile ?

Certes les Retex des derniers théâtres d’engagements ont été désastreux pour les blindés en général et pour les chars de bataille en particulier.

En effet, les dix dernière années ont vu les drones omniprésents sur les champs de bataille attaquant les chars par là où leur blindage est généralement le plus faible – le dessus.

Ajouter à cela la prolifération généralisée des missiles antichars guidés sur les différents théâtres, le désastre était prévisible.

Les combats entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie autour de l’enclave du Haut-Karabagh avaient déjà démontré la vulnérabilité du char, tout comme l’ont fait divers autres conflits.

Ainsi, les missiles antichars (anti-tank guided missile, ATGM) houthis ont neutralisé des chars MIA2 saoudiens au Yémen en 2016.

Daech a détruit sept Léopard 2A4 des forces armées turques en Syrie lors de la bataille d’al-Bab en 2017.

Les images disponibles montrent les chars fixes et exposés, sans soutien d’infanterie, ce qui en faisaient des cibles faciles pour les ATGM.

Enfin, le Hamas a détruit les chars israéliens Merkava lors de son attaque surprise contre ce pays le 7 octobre 2023 alors que les équipages n’étaient pas en alerte.

Dans une vidéo, un drone du Hamas a largué une ogive PG-7VR, endommageant une Merkava. L’arme à charge creuse est montée en tandem derrière un explosif destiné à neutraliser le blindage réactif.

Dans une autre vidéo, une équipe antichar du Hamas marque un succès direct sur une Merkava avec un Yassin, un PG-7VR fabriqué localement.

 

Il convient de souligner qu’a de nombreuses occasions, une mauvaise tactique d’emploi des blindés a ajouté à ces pertes des résultats très mitigés sur le terrain. Pour leurs adversaires, les blindés semblaient plus constituer des cibles attractives que des dangers potentiels. À croire que les chaînes hiérarchiques avaient oublié qu’une unité blindée n’est redoutable que dans le mouvement et avec un minimum de masse qui lui permet d’appliquer des feux directs pour submerger l’adversaire. Les chars embossés en défensive ne sont que des canons immobiles donc vulnérables.

En ce qui concerne la guerre en Ukraine, l’Institut international d’études stratégiques (International Institute for Strategic Studies, IISS) estime que la Russie a vraisemblablement perdu plus de 8.000 véhicules blindés au cours des 24 premiers mois de la guerre. Parmi eux, plus de 3.000 chars de bataille soit à priori le chiffre de blindés alignés par les Russes au début de l’invasion en février 2022. Les vides créés ont été comblés en partie par des matériels anciens puisés sur les stocks de l’URSS…

La contre-offensive ukrainienne de 2023 soutenue par des équipements occidentaux dont des chars M1A1 Abrams des États-Unis et des Léopard 2 allemands a été, au mieux, « décevante » prouvant une fois de plus que les « armes miracle » n’existent que dans les commentaires des propagandistes. À ce propos, personne n’a vu les chars Challenger livrés par les Britanniques…

Les blindés reçus de l’Occident ont également subi quelques pertes conséquentes en raison des drones et des missiles antichars mais aussi par l’engagement d’hélicoptères d’attaque russes Ka-52 Alligator. Là également, la hiérarchie semble avoir oublié le fait qu’une offensive blindée d’envergue doit être accompagnée d’une couverture aérienne robuste. Si la supériorité aérienne n’est pas acquise – ce qui est le cas en Ukraine – , il convient d’avoir une défense sol-air qui manœuvre au niveau des premières lignes – ce qui est beaucoup plus difficile à réaliser qu’une défense sol-air fixe -.

Toutefois, il semble que les ingénieurs – mais aussi les bricoleurs de génie – se sont remis à l’ouvrage pour pallier aux nouvelles menaces ; l’éternel combat entre l’épée et la cuirasse.

Aujourd’hui, le char n’est pas en train de mourir mais de s’adapter.

Si l’attaque du Hamas contre l’État hébreu présentait des vulnérabilités des chars, la réponse des Forces de défense israéliennes (FDI) a montré à quel point ces systèmes peuvent encore être efficaces lorsqu’ils sont correctement employés.

Au début de novembre 2023, les FDI ont mené leur attaque contre Gaza. Des chars ont été frappés à de nombreuses reprises à courte portée mais n’ont subi que peu de pertes malgré l’environnement conflictuel d’un espace de bataille urbain restreint avec des véhicules de combat Merkava, Eitan ou Namer groupés faisant des cibles de grande valeur pour les équipes antichar du Hamas.

Les images de combat de la ville de Gaza et de Khan Younès montrent que ces blindés peuvent résister à des projectiles qui auraient les auraient auparavant neutralisés ou détruits.

En outre, les pertes au sein des équipages de chars de batailles ont été très limitées mais historiquement, c’est loin d’être une nouveauté. Durant la Seconde Guerre mondiale, nombre d’équipages de chars ont survécu à des tirs directs.

Protection modulable

Pour suivre la réalité du champ de bataille qui a entraîné des pertes douloureuses en Ukraine et ailleurs, le char est en cours d’adaptation.

Les blindés israéliens et russes, par exemple, portent souvent des cages pour réduire l’efficacité des munitions rôdeuses.

Il y a des années, les États-Unis, a adopté des systèmes de protection active (activ protective systems, APS) pour intercepter des roquettes et d’autres projectiles avant qu’ils n’atteignent le blindage (lui-même doté d’un système réactif.)

Ces dispositifs utilisent des radars pour détecter une menace entrante et lancer des contre-mesures face au missile qui s’approche pour le détruire en amont. Le plus connu est le système « Trophy ».

Ce type de contre-mesure est employé dans les marines de guerre depuis des décennies.

L’entreprise israélienne d’armement Rafael affirme que le taux de réussite d’interception de son système « Trophy » est maintenant à plus de 90 % en raison des progrès dans l’informatique, des capteurs et de la vitesse de traitement de l’information.

Les nouvelles versions du Merkava (Mk. 3, 4 et Barak) utilisent l’APS « Trophy » de Rafael.

Les véhicules blindés de combat Namer et Eitan emploient également le système « iron fist » (IMI) similaire au Trophy.

Non seulement l’APS augmente la capacité de survie des véhicules de combat, mais cela provoque des changements de doctrine pour l’emploi des unités blindées.

Les chars équipés d’APS redeviennent de véritables atouts même dans la guerre urbaine, agissant comme des forteresses qui peuvent, non seulement s’auto protéger mais également le faire pour les véhicules situés à proximité.

Un équipement très intéressant est le système de casque « IronVision » qui fournit aux chefs de chars une capacité de vision jour/nuit à 360 degrés.

Les informations recueillies peuvent être partagées en temps réel avec d’autres véhicules, des drones et des centres de commandement.

Pour l’instant, ce sont principalement les chars de bataille et les VCI qui peuvent être dotés de ces capteurs, radars et systèmes électroniques lourds qui gèrent l’ensemble de ces équipements.

Ainsi, les premiers essais de l’armée américaine indiquent que le système « Trophy » ajoute environ 3,2 tonnes à un Abrams M1A2.

Les VCI Bradley A4 devraient recevoir des systèmes « iron fist » dans les années à venir.

Par contre, les nouveaux chars Abrams M1E3 et les VCI XM30 qui remplaceront le Bradley auront un APS installé d’origine.

Le nouveau Leopard 2A8 allemand comportera le système « Trophy » et sera probablement vendu à la République tchèque, à l’Italie et à la Norvège.

Le Royaume-Uni teste le « Trophy » sur ses chars Challenger 3 et certains de matériels sont en cours d’adaptation pour permettre aux véhicules d’intercepter les drones.

 

Les pays de l’OTAN continuent donc à montrer un grand intérêt pour les chars de bataille.

La Pologne s’est lancée dans une vaste frénésie d’achat et la France et l’Allemagne ont récemment accepté de procéder au développement conjoint d’un nouveau char…

L’Allemagne, plutôt que de supprimer progressivement ses chars, investit dans de nouveaux véhicules blindés de défense aérienne pour les protéger.

La manœuvre blindée-mécanisée est l’une des plus difficile à réaliser. Il faut que le commandement articule des éléments divers engageant simultanément des armes très diverses : infanterie, cavalerie, artillerie, défense sol-air, reconnaissance, génie sans parler de l’appui aérien quand il est possible. Rien ne peut la remplacer dans le combat terrestre sachant que l’objectif est de détruire les forces vives de l’adversaire. Mais pour avoir une chance de succès, il convient qu’elle engage un minimum de forces, le niveau de base étant la division. Au milieu de la Guerre froide, une division blindée française était composée au moins de deux régiments mécanisés, deux blindés, un d’artillerie, un du génie, une compagnie anti-chars, un escadron d’éclairage et un régiment de commandement et de soutien. Et cette Division fort de 8.000 hommes pouvait prendre à sa charge un front d’une dizaine de kilomètres de large… Il y avait alors huit divisions. Cela évoluera à partir de 1984.

Cela dit, les perspectives d’une guerre d’invasion en Europe sont limitées. Le seul intérêt que pourrait viser Moscou est d’élargir son accès à l’enclave de Kaliningrad que la Russie considère comme un point vital pour sa sécurité comme le port de Vladivostok. Cela déclencherait une guerre avec la Lituanie et la Pologne qui entourent le corridor de Suwalki.

Ces deux pays appartenant à l’OTAN, ils seraient en droit de demander l’application de l’Article 5. Ce dernier stipule que si un pays de l’Alliance est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’organisation considèrera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué.

Le déroulement des opérations militaires se déroulerait automatiquement dans un cadre multilatéral qui engagerait les corps de bataille blindés-mécanisés des pays dont les gouvernements auraient décidé d’intervenir militairement au sol. Il convient que cette « dissuasion conventionnelle » (sans l’emploi d’armes de destructions massives) soit suffisamment crédible pour empêcher l’agresseur éventuel de passer à l’action. A noter que du temps de la Guerre froide, il était interdit dans les armées française lors des exercices de désigner l’« ennemi conventionnel » comme « rouge ». C’était l’ennemi « carmin ». Ces pudeurs linguistiques ont disparu aujourd’hui.

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Texte

ALain Rodier