Environ 140.000 militaires russes (sur les 180.000 déployés autour de l’Ukraine) renforcés par 2.000 à 5.000 miliciens tchétchènes, peut-être des Daghestanais et la 38è brigade d’assaut par air biélorusse poursuivent quatre offensives destinées à faire tomber le pouvoir politique à Kiev et à couper les forces ukrainiennes en deux pour ensuite les réduire.

La Russie a annoncé le 27 février avoir obtenu la suprématie aérienne (il est vrai que plus aucun avion ukrainien ne prend l’air) mais les défenses sol-air légères entravent les vols à basse altitude et les forces aérospatiales présentent des défauts majeurs de coordination qui entraînent une relative inefficacité sur le terrain. Elles ne parviennent pas à assurer le soutien air-sol qui conditionne le succès d’opérations offensives.

De leur côté, les forces ukrainiennes qui avaient été prévenues à l’avance de la date d’invasion par les services de renseignement ont eu le temps de desserrer un certain nombre d’unités et de matériels. Les bombardements initiaux n’ont donc pas eu l’efficacité espérée. Les forces ukrainiennes livrent actuellement des combats défensifs des agglomérations et harcèlent l’adversaire qui adopte une posture quasi statique peu protégée (la fameuse « colonne de chars » de 60 km au nord de Kiev relève plus d’un embouteillage géant que d’une savante manœuvre de blindés.

Des pertes sérieuses sont infligée à l’envahisseur lors d’embuscades au cours desquelles des missiles anti-chars Javelin et NLAW fournis par l’Occident montrent leur efficacité et en mettant en œuvre les drones Bayraktar TB-2 fournis par la Turquie. Les Ukrainiens continuent à délivrer des feux d’artillerie parfois en les guidant avec des drones d’observation civils.

Les deux camps sont soumis à d’importants problèmes logistiques, notamment dans le domaine des carburants et des munitions.

Les offensives russes

L’offensive la plus marquante est celle dont l’objectif est le contrôle de la capitale, Kiev.

Pour ce faire, des forces blindées encerclent peu à peu la ville, la 36è armée à l’Ouest, la 41è armées au Nord et à l’Est. La 20è armée qui devait rejoindre la zone en suivant l’autoroute 67 pour compléter le dispositif (au Sud ?) n’est toujours pas présente ayant subi des pertes significatives. Des « commandos » auraient été infiltrés dans la ville pour tenter de neutraliser le gouvernement. La rumeur fait état d’éléments du groupe Wagner ou de Tchétchènes mais il peut très bien s’agir de membres des forces spéciales ou de spetsnaz.

Cela dit, les armes individuelles distribuées aux « volontaires » seraient parfois tombées dans des mains peu recommandables. Cela expliquerait un certain nombre de violences d’origine inexpliquée au coeur de la ville (des règlements de comptes entre groupes criminels ?).

Les forces russes qui, juste là limitaient la puissance de leurs feux de manière à préserver le centre historique de la ville et limiter les pertes civiles pour respecter leur leitmotiv de « libération du peuple ukrainien des nazis » paraissent intensifier leurs bombardements en employant parfois des bombes (ou obus) à sous-munitions. À noter que l’armée ukrainienne fait de même et il convient de rappeler que ces armes ne sont pas interdites par les USA, la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, etc.

L’aéroport logistique de Gostomel qui était le premier objectif terrestre visé au départ ne parait pas totalement sécurisé ce qui empêcherait l’établissement d’un pont aérien soutenu. Une unité tchétchène se serait fait rudement étriller par l’artillerie ukrainienne dans cette zone.
Le 3 mars à l’aube, la situation sur zone semble figée.

La deuxième offensive est partie de Crimée, la 58e Armée (qui y est habituellement stationnée) appuyée par la 76e division d’assaut aérien ayant franchi l’isthme de Perekop puis s’était emparée le 2 mars de la ville de Kherson sur le Dniepr. Mais des combats ont toujours lieu autour de cette localité. La position russe à Mikolayev plus à l’Est serait en difficulté.

Des forces navales russes seraient présentes devant Odessa mais ne semblent pas avoir lancé de débarquement.
À l’Est, une autre partie de la 58è armée se serait emparée du port de Berdiansk (Ouest de Marioupol qui a été contourné par le Nord) et la liaison aurait été établie avec la 49e armée qui soutient les milices des « Républiques indépendantes » du Donbass. Il y a maintenant une continuité de terrain entre Crimée et Donbass même si Marioupol est toujours assiégée. Cet important port a été l’objet d’intenses bombardements dans la nuit du 2 au 3 février.

La troisième offensive lancée par la 1è armée de chars de la Garde a visé la ville de Kharkiv qui résiste toujours. Une division aurait contourné la ville pour atteindre Kupiansk située au Sud-Est Kharkiv.

Le but ultérieur de cette armée sera de faire la jonction avec la 58è armée qui viendra du Sud et avec la 8è armée en provenance de l’Est. Cette dernière devait contourner Lougansk par le nord mais il semble que ce mouvement soit pour le moment stoppé.
Les actions de la 8è armée et de la 49è armée depuis l’Est sont qualifiées de « quatrième offensive ». Cela dit, elles n’ont bougé que de quelques kilomètres.

Les forces de réserve russes

La 35è armée et la 38e brigade d’assaut aérien sont présentes à l’extrême Ouest Biélorussie dans la région de Stoline (Biélorussie) prêtes à intervenir vers le sud pour couper l’Ukraine de la Pologne selon un axe Rivne-Ternopol. par où transitent armements, approvisionnements et réfugiés.
Il semble que la 6è armée est pour le moment aussi gardée en réserve en Biélorussie mais devrait intervenir sur Kharkiv.
Enfin, la 22è armée est toujours immobile en Crimée. Elle aurait été rejointe par une unité tchétchène.

Les négociations

Quant aux négociations qui ont eu lieu en Biélorussie le 28 février, elles s’avèrent difficiles car les exigences du Kremlin sont exorbitantes :
. reconnaissance de la souveraineté de la Russie sur la Crimée ;
. démilitarisation et « dénazification » de l’État ukrainien ;
. la garantie de sa neutralité.

Un deuxième round devrait avoir lieu aujourd’hui, toujours en Biélorussie mais à la frontière polonaise.

Il est encore beaucoup trop tôt pour tirer les leçons tactiques de cette invasion. Toutefois quelques points sont à noter et seront à confirmer.
. Il semble que par mesure de sécurité, peu de responsables militaires russes savaient qu’ils allaient entrer en guerre en Ukraine. Au niveau de la troupe, elle avait été maintenue dans l’ignorance de nombreux soldats étant persuadés qu’ils allaient rentrer dans leurs garnisons après les dernières manœuvres.
. L’état-major russe a pêché par excès de confiance pensant que les troupes russes motivées allaient être accueillies en « libératrices ». Il semblait négliger le sentiment très anti-Russes des Ukrainiens (non russes). La force morale est surtout présente chez les Ukrainiens.
. L’expérience de six années de guerre en Syrie semble avoir servi de leurre. En effet, les rebelles et jihadistes constituaient un « plastron » assez facile pour l’aviation et les hélicoptères d’attaque russes. Les cadres ont tout simplement oublié l’expérience afghane lorsque leurs aéronefs devaient échapper aux Manpads fournis par les Américains.
. En ce qui concerne l’armée de terre, elle n’a même pas « manœuvré » n’appliquant aucune des règles qui ont fait la force de l’Armée rouge. L’infanterie trop peu nombreuse et surtout peu motivée n’a pas joué son rôle.
. Enfin, et comme toujours, la logistique considérée comme « secondaire » par nombre de généraux a fait cruellement défaut ce qui explique le relatif immobilisme actuel. Plus surprenant, les transmissions auraient aussi été défectueuses obligeant des unités à communiquer par téléphones civils non cryptés (un régal pour les écoutes).

Aucun bilan crédible des pertes de par et d’autre ne peut être fait pour l’instant même si le ministre de la défense russe a annoncé 498 militaires morts et 1.600 blessés au 2 mars (les autorités ukrainiennes font état de militaires 5.840 Russes et de 325 civils tués). Quand on voit le nombre de véhicules carbonisés sur les photos, il est aisé d’en déduire que les pertes russes doivent être importantes. Moscou estime les pertes de l’adversaire à 2.870 tués et environ 3.700 blessés…

Par contre, l’UNHCR tient un compte précis des réfugiés quittant l’Ukraine (voir carte ci-après). La crise humanitaire ne fait que commencer : 6.77.043 le 2 février à 16 h 30. Le 3 février matin, l’ONU annonçait que plus d’un million de réfugiés avaient quitté le pays. Le ministère russe de la Défense a annoncé pour sa part la mise en place de « couloirs humanitaires » pour permettre la sortie des civils des villes ukrainiennes les plus exposées, notamment Kiev, Kharkiv et Marioupol.

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté mercredi une résolution exigeant « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine » lors d’un vote approuvé par 141 pays, 5 s’y opposant, et 35 s’abstenant (dont la Chine).
Enfin, la Cour pénale internationale a annoncé « l’ouverture immédiate » d’une enquête concernant la situation en Ukraine où seraient perpétrés des crimes de guerre.

RAPPEL : dans une allocution télévisée le 2 mars à 20 H 00, le président Manuel Macron a déclaré : « cette guerre n’est pas un conflit entre l’OTAN et l’Occident d’une part, et la Russie d’autre part. La Russie n’est pas l’agressée, elle est l’agresseur » mais aussi que « la France n’est pas en guerre contre la Russie ».

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Texte

Alain Rodier

Photos

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