Scandale, l’Autriche a accueilli le brigadier général Khaled al-Halabi, chef de la sûreté de l’État (la branche 335 du General Intelligence Directorate – GID -) à Raqqa de 2009 à 2013 accusé (mais non jugé et donc pas condamné) d’être un criminel de guerre. Ce dernier aurait fui la Syrie via la Turquie puis la Jordanie en 2013 après la prise de Raqqa par les salafistes-jihadistes pour curieusement se retrouver un premier temps en France au printemps 1994. Selon ses propres déclarations, il aurait payé son périple 12.000$ et se présentait comme un opposant à Bachar el-Assad… Mais Paris n’aurait pas souhaité lui accorder le statut de réfugié politique en raison des accusations de crimes, contre l’humanité, viols, etc. formulées à son encontre par des – vrais – opposants au régime d’el-Assad qui affirment avoir été torturé par des individus placés sous son autorité. L’ONG « Commission for International Justice and Accountability » (Cija) assure détenir les preuves permettant de le poursuivre devant des juridictions internationales. Une autre version consiste à dire qu’il n’était pas en sécurité en France, ce qui est possible quand on connaît le nombre de réfugiés assassinés dans le passé sur le sol hexagonal.
Heureusement pour lui, les services israéliens plus compréhensifs lui ont trouvé une porte de sortie vers l’Autriche le 13 juin 2015 en menant une exfiltration (ce n’était pas très compliqué à faire en Europe occidentale) baptisée « Opération Lait Blanc ». Vienne l’aurait accepté comme réfugié politique le 2 décembre de la même année sous la pression des services de renseignement autrichiens (BVT) poussés par le Mossad. Halabi aurait ainsi obtenu un logement à Vienne ainsi qu’une rente mensuelle de 5.000 euros versée par les Israéliens. Pour leur part, les Américains affirment que ce brigadier général est le plus haut gradé syrien présent en Europe ce qui est faux (mais il est vrai que très peu de hauts gradés syriens ont abandonné le régime).
À la base de toute l’affaire, il s’agit donc de l’exfiltration d’un responsable du régime syrien pour lui soutirer des renseignements estimés intéressants ou/et pour l’utiliser lors d’une hypothétique chute du régime de Bachar el-Assad.
En effet, au moment de son exfiltration, le pouvoir en place à Damas était extrêmement fragilisé et toutes les chancelleries pariaient sur son effondrement rapide. Il aurait alors fallu mettre en place une nouvelle administration avec des responsables compétents. Halabi s’est donc retrouvé en France, mais, pas de chance pour lui, les Russes sont intervenus à la fin septembre 2015 éloignant les espérances d’effondrement du régime.
De plus, un déflecteur a un défaut rédhibitoire : la validité de ce qu’il sait est courte, car son pays d’origine change rapidement les procédures auxquelles il a eu accès. S’il ne représente aucune opportunité politique dans le cadre d’un renversement du pouvoir, il n’est plus utile pour le pays hôte d’autant que son séjour coûte extrêmement cher dans la durée.
C’est vraisemblablement cette raison qui l’a fait lâcher par les Français qui, une fois le « jus tiré », l’ont « jeté » (en fait, le refus de son dossier de réfugié politique a été notifié en 2017 et a été suivi en 2018 par une demande de recherche par la police française via Europol qui a été transmise à Vienne. Ce n’est pas très élégant, mais, comme le disent les Britanniques, « l’espionnage, c’est comme le rugby, c’est un métier de voyous pratiqué par des gentlemen ».
Il serait intéressant de savoir ce qui a poussé les Israéliens à poursuivre la manipulation de ce général et les termes de l’accord qu’ils ont conclu avec les Autrichiens pour l’installer chez eux au chaud. Toutefois, la situation a vraiment tourné au vinaigre quand l’affaire est sortie dans la presse. En réponse, les services autrichiens ont déclaré : « Le BVT n’a aucune information selon laquelle Khaled H … a été impliqué dans des crimes de guerre ou d’autres infractions pénales en Syrie. Rien n’indique non plus que la présence de H en Autriche mettrait en danger la sécurité publique ».
La police autrichienne a tout de même ouvert une enquête à son égard et a effectué une perquisition à son domicile de Vienne le 27 novembre 2018. La coopération sur cette affaire entre le Mossad et le BVT s’était terminée le mois précédent, ce dernier étant averti par ses homologues israéliens que l’ « Opération Lait Blanc » allait se poursuivre ailleurs… Bien sûr, l’appartement était vide de tout occupant et saccagé – sans doute le résultat d’une mise en scène -.
La presse internationale a repris cette affaire deux ans après qu’elle se soit terminée en Autriche. En effet, aujourd’hui, personne, en dehors du Mossad, ne sait où Halabi se trouve. La rumeur coure qu’il voyagerait en l’Europe (la Suisse est citée) ce qui semble pour le moins curieux dans cette période (à la fois de pandémie et de risque terroriste) où tous les déplacements sont placés sous surveillance.
Il est possible qu’il ait été mis en réserve par un grand service ami très riche(1) qui aime bien garder sous la main des « pièces de rechange » pour des pouvoirs ennemis si ces derniers venaient à s’effondrer. Plus improbable, mais possible, car cela s’est déjà passé avec des informateurs devenus inutiles et encombrants : leur disparition définitive pure et simple.
Pour revenir à la technique, un futur déflecteur – qu’il soit un politique ou un mafieux(2) – doit recevoir en échange des renseignements qu’il apporte des compensations dont la première est sa mise en sécurité de sa personne et souvent de sa famille proche. Cela vaut pour les services adverses qui vont tenter de le retrouver pour le punir pour sa trahison, mais aussi contre toute juridiction du (ou des) pays d’accueil : en gros, le déflecteur exige l’impunité.
Les services savent très bien qu’un déflecteur provenant d’une dictature n’est jamais un « enfant de cœur », car sinon, il ne détiendrait aucune information présentant le moindre intérêt. Il faut donc parfois savoir faire des entorses à des principes moraux pour obtenir des résultats. La Seconde Guerre mondiale a révélé le prix qu’a coûté la victoire sur les Nazis et leurs alliés nippons, parfois au mépris de la morale commune (bombardements de civils – dont deux atomiques -, opération Fortitude avec le sacrifice volontaire – par les donneurs d’ordres – de réseaux de résistants, etc.), mais le résultat a été au rendez-vous : les Nazis et leurs alliés ont été vaincus.
1. Les Américains se sont fait une spécialité depuis la Guerre froide d’avoir de telles possibilités techniques comme des résidences sécurisées. Les Russes font la même chose avec leurs agents de haut niveau qui, de plus, sont rentabilisés en venant intervenir dans leurs écoles d’espionnage.
2. La méthode est similaire pour obtenir des « témoins de justice » aussi dits « repentis » sauf que ces derniers sont généralement tout de même condamnés à des peines de prison, certes diminuées. Cela permet de les mettre un certain temps à l’abri au propre comme au figuré.
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