Une terrible guerre civile a eu lieu au Sri Lanka de 1972 à 2009 opposant le gouvernement à majorité cinghalaise bouddhiste et les Tigres de libération de l’Îlam tamoul (LTTE) luttant pour la création d’un État indépendant dans l'Est et le Nord du pays majoritairement peuplé de Tamouls de religion hindoue, chrétienne et musulmane. Selon l’ONU, cette guerre avait fait de 80 000 à 100 000 morts (sur 22 millions d’habitants). Depuis des semaines, des troubles sociaux dus à la situation économique catastrophique du pays tournent à l’insurrection.

Cette crise est d’abord le résultat de la mauvaise gestion des finances du pays par les autorités politiques mais la pandémie Covid-19 a asséné un coup très dur à l’industrie touristique qui était la principale source de rentrées de devises étrangères.
Ensuite, le Sri Lanka qui avait souhaité devenir le premier producteur mondial d’aliments 100 % biologiques a dû abandonner cette vision chimérique le 21 novembre 2021. Il a alors levé l’interdiction d’importer des pesticides et d’autres intrants agricoles. Cette politique avait en effet fait doubler les prix du riz et du thé tout en obligeant des agriculteurs à abandonner leur exploitation jugée plus rentable… Le riz avait été rationné, ce qui est un comble pour un pays producteur. Il est beaucoup trop tôt pour voir si la production a repris correctement.
Enfin, la guerre en Ukraine a donné le dernier coup fatal au pays, le prix des carburants et de biens de première nécessité connaissant une inflation endémique poussant les nombreuses familles déjà miséreuses dans le dénuement le plus complet voire bientôt dans la famine. Ce qui arrive aujourd’hui au Sri Lanka est la première conséquence logique de l’invasion de l’Ukraine (qui ne peut plus exporter son blé) et des sanctions imposées à la Russie par les Occidentaux.

Ces derniers jours, suite à l’attaque de manifestants qui défilaient pacifiquement depuis des semaines par des partisans du pouvoir, huit personnes ont été tuées lors des heurts qui se sont étendus à de nombreuses grandes villes du pays et en particulier dans la capitale Colombo où le président Gotabaya Rajapaksa vit retranché dans son palais. Les forces de sécurité ont reçu l’ordre de tirer sans sommations sur tout individu qui s’attaque aux propriétés de l’État, constitue une menace pour la sécurité ou s’aventure durant les heures du couvre-feu décrété le 9 mai.
Les manifestants accusent le clan Rajapaksa d’être responsable de la crise économique majeure que rencontre le pays qui amène des restrictions de fournitures de carburant, de gaz et de biens essentiels comme la nourriture.
La maison ancestrale de la famille Rajapaksa à Hambantota dans le sud du pays et un hôtel de luxe lui appartenant ont été incendiés par les émeutiers au début de la semaine. Une cinquantaine de domiciles de notables politiques ont aussi été détruits.
Le frère ainé du président, Mahinda Rajapaksa, a démissionné lundi de son poste de Premier-ministre sans que cela ne parvienne à calmer les choses. L’armée l’a exfiltré lui et sa famille de sa résidence qui était assiégée par la foule après l’annonce de sa démission.

Le président a appelé ses compatriotes à se garder « des tentatives subversives de les pousser à une mésentente raciale et religieuse ». Pour lui, « promouvoir la modération, la tolérance et la coexistence est vitale ».
Selon les autorités, il ne s’agit plus de « manifestations spontanées mais de violence organisée […] si la situation n’est pas placée sous contrôle, cela peut tourner à l’anarchie généralisée ».
Une partie de la famille du président (dont son frère ainé) a été mise à l’abri dans la base navale de Trincomalae sur la côte nord-est de l’ile.

Réactions internationales

L’Inde apporte 3,5 milliards de dollars au Sri Lanka pour l’aider à faire face à la crise. Elle a aussi envoyé une aide alimentaire et sanitaire de première urgence. Des négociations seraient en cours avec le FMI aider Colombo à importer les biens de première nécessité.
La Chine qui a considérablement investi au Sri Lanka, en particulier dans les infrastructures portuaires, agît dans l’ombre pour que Colombo puisse restructurer sa dette abyssale.

Le clan Rajapaksa

La pression est mise sur le président Gotabaya Rajapaksa pour qu’il désigne un Premier-ministre consensuel, transmette la majorité de ses pouvoirs au parlement et démissionne. Pour le moment, le Sri Lanka se trouve sans gouvernement. Mais en tant que chef suprême des armées, la tentation d’un putsch militaire doit aussi être grande, surtout si les violences perdurent.
S’il démissionne à son tour, c’est le président du parlement qui doit assurer l’intérim pendant un mois maximum. C’est à ce dernier que la désignation d’un nouveau président reviendra alors jusqu’à ce que des élections puissent avoir lieu.

C’est un retournement stupéfiant de la situation pour Mahinda et Gotabaya Rajapaksa qui étaient considérés comme des héros en 2009 par la majorité bouddhiste-singhalaise pour être parvenus à arrêter la guerre qui durait depuis une trentaine d’années contre les Tamouls. Mahinda qui était alors président (2005-2015) avait la réputation d’être un fin stratège militaire mais extrêmement brutal. La famille avait ensuite connu un échec électoral avant de revenir au pouvoir en 2019 avec Gotabaya comme président et Mahinda comme Premier-ministre. Trois autres membres de la famille faisaient partie du gouvernement mais avaient dû démissionner en avril 2022 en raison des manifestations qui prenaient de l’ampleur.

À noter que le Sri Lanka est resté neutre quant au conflit russo-ukrainien. De plus, Les investissements chinois très importants dans l’ile, le Sri Lanka se trouvant sur l’une des routes clé de l’initiative chinoise « nouvelle route de la soie » en Asie du Sud, irritent au plus haut point les Américains. La chute de la « maison Rajapaksa » ne devrait pas trop les chagriner.

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

DR