Malgré leur petite taille, les Émirat Arabes Unis jouent depuis des années un rôle central au Proche-Orient et en Afrique du Nord tout en respectant une certaine discrétion, gage d’efficacité.

Cet État fédéral qui compte dix millions d’âmes (dont, selon n’ONU, 90% d’étrangers) est composé de sept émirats : Abou Dhabi, Ajman, Charjah, Dubaï, Furaïjah, Ras el Khaïmah et Oumm al Qaïwaïn. La capitale de la fédération est la ville d’Abu Dhabi mais son coeur économique est Dubaï. Ses forces armées suréquipées(1) sont évaluées à 65.000 personnels d’active et 90.000 de réserve.

Depuis 2014, le prince héritier Mohammed ben Zayed Al Nahyane (MBZ) est l’homme fort des EAU. Il a suivi globalement la politique des États-Unis sous l’administration Trump et de l’Arabie saoudite dirigée par le prince Mohammed ben Salmane (MBS).

Abou Dhabi et Riyad excluent les Frères musulmans et le régime des mollahs en place à Téhéran. Ils s’opposent à l’Iran en sous-main au Liban, en Libye, en Irak, en Syrie(2), en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. Là, depuis le déclenchement en mars 2015 de l’opération « Tempête décisive », ces deux pays participent directement à la guerre ouverte déclenchée suite à l’insurrection des Houthis soutenus discrètement par Téhéran. Mais une fissure est apparue lorsque les EAU ont retiré leurs forces en 2019 tout en soutenant les rebelles sudistes d’Aden et de l’île de Socotra (le « Conseil de transition du sud » – CTS -). Les Saoudiens pour leur part continuent à soutenir le président régulièrement élu réfugié à Riyad, Abd Rabbo Mansour Hadi.

Le recours aux sanctions unilatérales est aussi un moyen qui a été employé contre le Qatar jugé trop proche des Frères musulmans et surtout, trop entreprenant sur le terrain (soutien indirect aux taliban, aux Palestiniens, au président égyptien Morsi, au gouvernement de Tripoli en Libye, aux Iraniens, à la Turquie, etc.). Ainsi, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte ont rompu leurs liens diplomatiques avec Doha en juin 2017. Mais n’obtenant pas de résultats tangibles, l’Arabie saoudite a levé le blocus en janvier 2021 lors d’un « sommet de la réconciliation » réunissant six pays arabes du Golfe. Symbole de cette réconciliation, l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani a accueilli avec chaleur Mohammed ben Salmane au Qatar le 9 décembre de cette année.
Les EAU ne pouvaient rester sur leurs positions d’autant que le retrait piteux des forces de l’OTAN de Kaboul en août leur a fait définitivement comprendre qu’il convenait de ne pas s’aligner systématiquement sur la Maison-Blanche. Le conseiller à la sécurité nationale des EAU et véritable « cerveau stratégique » d’Abou Dhabi, Tahnoun ben Zayed al-Nahyane, le frère de MBZ, a effectué une visite surprise fin août à Doha où il a rencontré l’émir du Qatar.

Depuis la campagne de subversion menée en Égypte en 2013 qui avait renversé le statu quo post-printemps arabe dans le pays(3), il est convaincu que les EAU peuvent passer du statut de « petit État » à celui de « puissance régionale » en utilisant à plein le « soft power » complété par le « hard power » quand cela est nécessaire. La combinaison de ces stratégies est appelée le « smart power ».
Cela s’est traduit en Tunisie avec le succès des EAU à convaincre le président Kaïs Saïed de sévir contre le Parlement et ses députés islamistes élus. Après l’Égypte, il s’agit de la seconde contre-révolution réussie avec l’aide discrète des EAU.

Vis-à-vis de l’Iran, Tahnoun et son frère MBZ se sont rangés à la position traditionnelle turque :« quand on ne peut vaincre un adversaire, on négocie ». Les EAU respectent donc désormais une position pragmatique vis-à-vis de Téhéran attendant de voir comment les négociations JCPOA sur le nucléaire vont tourner. Les EAU, comme le Qatar, ont des échanges économique avec l’Iran qui, comme cela contourne les sanctions américaines. La Maison-Blanche n’a pour l’instant pas réagi fermement à ces accrocs à sa politique d’exclusion.

Et là, nouvelle surprise de taille : le Premier ministre israélien Naftali Bennett s’est rendu les 12 et 13 décembre à Abu Dhabi où il a été reçu longuement par MBZ. C’est la première visite officielle d’un chef de gouvernement israélien dans une monarchie arabe du Golfe. Elle a lieu au moment où Israël pousse pour le maintien des sanctions contre l’Iran, son ennemi juré mais important partenaire économique des EAU. Toutefois, la normalisation des relations entre les deux pays avait été actée à l’été 2020 en même temps qu’avec le Bahreïn (les Accords d’Abraham).

Le 6 décembre, Tahnoun ben Zayed al-Nahyane s’est rendu en Iran pour rencontrer son homologue local faisant suite à la visite le 24 novembre à Abu Dhabi du ministre des Affaires étrangères adjoint iranien, Ali Bagheri-Kani. Ce dernier avait alors déclaré vouloir « ouvrir un nouveau chapitre dans leurs relations bilatérales amicales et cordiales ».

Enfin, les tensions sont retombées entre les EAU et Ankara. Les deux responsables, le président Recep Tayyip Erdoğan et MBZ ont estimé que les intérêts des deux pays nécessitaient une réconciliation. Elle a été entérinée par une visite officielle de MBZ à Ankara ce 24 novembre. Il a amené avec lui des investissements d’un montant de dix milliards de dollars. De son côté Erdoğan a fait l’éloge d’une « nouvelle ère » dans les liens entre son pays et le richissime émirat du Golfe. Il aurait accepté d’imposer un profil bas aux Frères musulmans réfugiés sur le sol turc ainsi qu’aux médias à Istanbul qui leur sont proches. Cela ne pouvait qu’également satisfaire le Caire.

Les EAU se retrouvent à peu près en même position que le Qatar acceptant de parler à (presque) tout le monde mais n’hésitant pas à employer des moyens violents quand cela est jugé nécessaire. Leur concurrence est donc grande mais les EAU ont une longueur d’avance avec Israël. Le Qatar se retrouve dans la position du seul pays avec la Turquie à soutenir la cause palestinienne ce qui lui donne une certaine popularité de la rue arabe. Mais les EAU sont bien vus en Occident car ils refusent l’islam politique prôné par les Frères musulmans(4) n’accordant pas la suprématie temporelle à la religion.

1. En plus des 80 avions Rafale commandés, les EAU attendent aussi 50 F-35 A et 18 drones Reaper MQ-98. Mais ce dernier contrat serait remis en cause par Abu Dhabi pour des problème de licence de réexportation, Washington craignant que la technologie ce l’appareil ne tombe dans les mains ce la Chine qui est proche des EAU.
2. Les relations diplomatiques entre les EAU et la Syrie ont été ré-ouvertes en 2018. L’objectif non avoué d’Abou Dhabi est de détacher autant que faire se peut Damas de l’influence iranienne en proposant des alternatives économiques intéressantes pour la reconstruction du pays.
3. Depuis, les relations entre le régime égyptien du maréchal Sissi et les EAU sont excellentes. Il est possible de dire qu’avec l’Arabie saoudite, les EAU soutiennent l’économie égyptienne à bout de bras.
3. Toujours très influents au Qatar et en Turquie même s’ils s’y font plus discret le temps que la tempête ne passe…

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Texte

Alain Rodier

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