Comme pour le coup d’État qui devait éclater à Kiev les 1 et 2 décembre (annoncé à grands frais par le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy [1]) et qui n’a pas eu lieu, il n’y aura pas d’invasion de l’Ukraine fin janvier comme l’a proclamé le 3 décembre devant le parlement le ministre de la défense ukrainien Aleksey Reznikov.
Mais il est vrai que la situation est si préoccupante qu’une rencontre vidéo sécurisée entre le Président Vladimir Poutine et son homologue Joe Biden a été avancée en urgence le 9 décembre afin d’évoquer « tous les sujets ».
En effet, la presse américaine via le Washington Post et CNN(2) faisant état de rapports du renseignement américain, clame que la Russie va attaquer l’Ukraine au début de l’année prochaine. 175.000 militaires devraient participer à cette opération même s’ils ne sont pas déjà tous en place. 100 groupes tactiques seraient alors engagés. L’assaut devrait être précédé d’une campagne de désinformation dénigrant l’Ukraine et l’OTAN afin de reporter la responsabilité du déclenchement des hostilités sur Kiev. La livraison récente de drones turcs Bayraktar TB2 dont l’un aurait déjà été utilisé au Dombass, pourrait être un bon prétexte si les Ukrainiens décident de les engager plus massivement.
En fait, le Washington Post semble aussi s’appuyer sur des « renseignements fiables » du FSU (les services de renseignement ukrainiens) mais en gonflant les chiffres puisque ce dernier ne dénombrait fin novembre « que » 40 groupes tactiques autour de l’Ukraine et 94.300 militaires russes sur le pied de guerre.
Et c’est là que c’est intéressant : on tourne en rond : la presse occidentale avide de sensationnel pour faire « du chiffre » met en avant cette offensive à venir, les services reprennent l’information la « validant » en quelque sorte (les relations entre les grands medias et les services sont loin d’être innocents) et les medias reprennent les conclusions de ces mêmes services avec « comme nous vous l’avions dit ». C’est ce que l’on appelle un faux recoupement puisque c’est toujours la même information qui revient.
Pourquoi cette offensive ne va pas avoir lieu.
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a parlé des « sévères coûts et conséquences » qu’aurait une telle opération à son homologue russe Sergey Lavrov lors de leur rencontre de Stockholm dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui a eu lieu le 2 décembre.
De nombreux analystes relèvent que la personnalité de Blinken, considéré comme très anti-Russe à Moscou, joue un rôle très important dans cette crise. En plus, « proche » des néoconservateurs, il est signataire d’une tribune parue en janvier 2019 dans le Washington Post qui affirme que le rôle des États-Unis est de « conduire le monde ».
Et c’est là que se trouve l’explication. Moscou n’a aujourd’hui aucun intérêt à ce que les sanctions prises par les Occidentaux ne viennent un peu plus frapper son économie. L’Europe arrêterait d’acheter des hydrocarbures russes et le projet Nord Stream 2 s’effondrerait, les Américains se faisant une joie de pallier à ces manques d’approvisionnement avec du pétrole de schiste et du gaz naturel liquéfié. Globalement, la Russie perdait les deux tiers des ses revenus à l’export. C’est le maintien même au pouvoir du président russe qui pourrait être remis en cause car la fronde populaire risquerait de dégénérer en « émeutes de la faim ».
L’objectif de Moscou
Donc, les analystes tant soit peu objectifs considèrent qu’une invasion de l’Ukraine par la Russie est peu vraisemblable. Pour quoi faire et à quel coût ? Cela est corroboré par Arnaud Dubien, directeur de l’observatoire franco-russe à Moscou, chercheur associé à l’Iris : « C’est une chose de défaire quelques unités ukrainiennes, c’en est une autre d’administrer les territoires. Cela paraît extrêmement compliqué […] Il s’agit de la sécurité européenne. Poutine souhaite des garanties très contraignantes sur le non-élargissement de l’Otan. Jusqu’à présent, les Russes s’opposaient à l’Ukraine dans l’Otan, désormais ils s’opposent à l’Otan dans l’Ukraine. Ce qui se passe est très sérieux. On arrive au bout d’une logique d’élargissement depuis 30 ans puisqu’on arrive à la frontière russe. Or, la Russie estime que ce qu’il se passe à ses frontières concerne sa sécurité voire même, dans le cas de l’Ukraine, ses intérêts vitaux ».
Kiev a compris le danger : Washington et Moscou pourraient négocier derrière son dos. En réponse et évoquant les demandes russes d’assurance de non adhésion de l’Ukraine à l’OTAN (considéré comme une « ligne rouge » par le président Poutine), le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, répliquait lors de la réunion de l’OSCE : « je rejette cette idée que nous devrions garantir quoi que ce soit à la Russie. J’insiste : c’est la Russie qui doit garantir qu’elle ne continuera pas son agression contre aucun pays. »
Beaucoup d’informations de presse sont issues de photos satellitaires. On y distingue des milliers de blindés et véhicules divers rangés en rangs d’oignons. Question : est-ce que les Russes ne refond pas, du moins en partie, le coup de l’ « Armée Patton » lors de l’opération Fortitude en 1944 : faire beaucoup de bruit pour attirer volontairement l’attention de l’adversaire ?
Ce qui est clair, c’est que pour le Kremlin, le seul interlocuteur valable, c’est la Maison-Blanche car c’est l’unique entité considérée comme ayant des pouvoirs de décision. L’OTAN, l’Europe, l’Ukraine ne sont que des pions que Moscou actionne quand le besoin s’en fait sentir.
Enfin, il convient de ne pas oublier qu’il n’y a pas d’Histoire cohérente de la Russie sans celle de l’Ukraine qui est son « berceau ». Même l’opposant résolu au Président Poutine, Alexeï Navalny actuellement incarcéré déclarait en 2014 qu’il n’y avait pas de différence entre les deux peuples.
1. Voir « Ukraine : le coup d’État, c’est pour aujourd’hui » du 1er décembre 2021.
2. Organes de presse qui, si sur le plan de la déontologie journalistique, n’ont rien à envier à RT et à Sputnik, ont une audience mondiale incomparable par rapport à leurs homologues russes.
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