Si ces dernières années Daech s’était fait assez discret dans le Caucase, le mouvement salafiste-jihadiste est réapparu le 14 septembre 2024 lors d’affrontements avec les forces de l’ordre dans la forêt de Qusar dans la province de Xaçmaz située au nord-ouest du pays à la frontière de la Fédération de Russie. Selon le site médiatique du mouvement Al Naba, il y aurait eu huit morts du côté gouvernemental et « plusieurs moudjahidines » auraient connu le « maryre ».

Historique

L’« ‘Émirat du Caucase » (al-Qawqaz) est une organisation terroriste islamique qui s’est autoproclamée en tant qu’« État » le 31 octobre 2007. Son objectif était destiné à instaurer la charia dans plusieurs régions du Caucase du Nord. Il a été fondé par le « président de la république tchétchène d’Itchkérie », Dokou Oumarov.

Il est mort empoisonné le 7 septembre 2013 mais officiellement annoncé mort par le FSB le 8 avril 2014.

Au moment de sa proclamation, l’« Émirat du Caucase » comportait six divisions administratives (voir carte ci-après) :

– Daguestan ;

– Nohchi cho’ (Tchétchénie) ;

– Galga cho’ (Ingouchie) ;

– Iriston (Ossétie du Nord) ;

– Nogayskaya step (région de Stavropol) ;

– et la wilaya unie de Kabarda, Balkarii et Karatchaya.

Le 23 juin 2015, l’allégeance au groupe État Islamique (Daech) d’une partie de l’Émirat du Caucase a été acceptée par Abou Mohammed al-Adnani, le porte-parole du « califat » mais surtout alors son responsable des opérations extérieures (en dehors du « califat » existant à cheval sur la Syrie et l’Irak). C’est comme cela qu’est apparue une nouvelle « wilaya extérieure » de Daech alors en pleine expansion. Adnani a été tué en Syrie le 30 août 2016.

Cependant, cette allégeance a été refusée par les dirigeants officiels de l’« Émirat du Caucase » qui se considéraient au moins idéologiquement comme plus proches d’Al-Qaida « canal historique » que de son concurrent et adversaire, le groupe État Islamique.

Les actions du groupe État Islamique dans le Caucase

Daech est passé aux actions violentes lors d’une attaque dans la nuit du 29 au 30 décembre 2015 au Daghestan situé au nord-est de l’Azerbaïdjan.

Toujours au Daghestan, le 15 février 2016, une attaque à la voiture piégée lui a été attribuée. Elle fait 2 morts et 19 blessés.

Le 3 décembre 2016, les autorités russes ont annoncé que Roustam Asildarov alias Abou Muhammad Kadarsky, l’« émir » de la wilaya État islamique pour le Caucase avait été éliminé par le FSB à Makhatchkala au Daghestan.

Dans la nuit du 23 au 24 mars 2017, l’État Islamique s’en est pris à une base de la garde nationale russe près de Naourskaïaen Tchétchénie. Les combats ont fait six morts et trois blessés en son sein et six morts du côté des jihadistes.

En avril 2017, l’État Islamique a revendique la mort de deux policiers russes lors d’une attaque à Astrakhan.

Parallèlement cette même année, l’« Émirat du Caucase » (Al-Qaida) et « wilayat du Caucase » (Daech) ont été dissouts.

À partir de cette période, les actions terroristes ont été menées par des groupes autonomes dont la plupart ne semblaient pas avoir de lien organique direct avec Daech à part ceux de la wilaya « État Islamique – Khorasan » (EI-K) qui couvre particulièrement la zone afghano-pakistanaise.

Les plus proches affrontements de l’Azerbaidjan ont été perpétrés au Daghestan contre l’église de Kizlyar le 18 février 2018 (six morts et quatre blessés). Le 21 avril 2018, des combats ont opposé les forces de sécurité russes et l’EI toujours au Daghestan, neuf activistes de l’EI ont été neutralisés.

Le 20 août 2018, l’EI a lancé des attaques en Tchétchénie au cours desquelles cinq membres présumés du mouvement ont été tués.

Le 24 janvier 2019, l’EI a attaqué un poste de police en Kabardino-Balkarie causant la mort de quatre de ses membres et blessant un policier.

Le 1er juillet 2019, l’EI « central » a revendiqué la responsabilité d’une attaque contre un policier à un poste de contrôle dans le district d’Achkhoy-Martonovsky en Tchétchénie, qui a été poignardé à mort. L’agresseur a été abattu alors qu’il lançait une grenade sur d’autres policiers.

Le 2 juillet 2019, dans le cadre d’une série de vidéos montrant des partisans et des combattants de l’EI du monde entier renouveler leur allégeance à l’EI, un film est publié depuis l’Azerbaïdjan montrant trois combattants armés de fusils d’assaut MPi-KMS72 fabriqués par l’usine Ernst Thaelman (Allemagne de l’Est) prêtant serment. Mais la vidéo a été officiellement publiée sans faire explicitement référence à une « wilaya » d’Azerbaïdjan ce qui laisse supposer que l’organisation n’y est pas assez bien implantée pour être digne d’être représentée comme une « province ».

Le 20 janvier 2021, Aslan Avgazarovich Byutukayev alias « émir Khamzat » (et Abubakar) un commandant insurgé tchétchène de l’État islamique – ancien pensionnaire de Guantanamo -, a été tué aux côtés de cinq de ses fidèles  lors d’une opération spéciale lancée par le ministère de l’Intérieur de Tchétchénie à Katyr-Yourt (Tchétchénie).

Le « régime des opérations antiterroristes », un statut juridique spécial appliqué en Russie en cas de menace terroriste imminente, a été décrété en Ingouchie à partir du 3 avril 2023 en raison des attaques de jihadistes de l’EI contre les forces de sécurité russes. Les affrontements ont tué trois soldats russes et deux jihadistes. Onze militaires russes ont été blessés et deux jihadistes capturés.

Le 2 mars 2024, six hommes armés et un civil, ainsi que trois policiers blessés, ont été tués lors d’une fusillade à Karaboulak en Ingouchie. Les autorités russes ont affirmé que les terroristes étaient liés à l’État islamique.

Pour mémoire (mais en dehors de la zone caucasienne), le 22 mars 2024, quatre terroristes d’origine tadjik de l’EI-K ont attaqué une salle de concert et un centre commercial à Moscou tuant 145 personnes et marquant la première action offensive du groupe au-delà des voisins de la zone afghano-pakistanaise qui est leur lieu d’implantation (en Afghanistan, l’EI-K combat les talibans et leurs alliés d’Al-Qaida).

Le 22 avril 2024, des militants présumés de l’EI ont attaqué une patrouille de police russe dans la ville de Karachayevsk , dans la république russe de Karachayevo-Tcherkessie tuant deux policiers et en blessant un troisième pour s’emparer de leurs armes.

Toujours dans la même région, le 28 avril 2024, des hommes armés présumés de l’EI ont attaqué un poste de police russe dans le village de Mara-Ayagy tuant deux policiers et en blessant au moins quatre autres. Tous les assaillants auraient été tués.

Le 23 juin 2024, au moins cinq militants islamistes présumés ont mené une série d’attaques coordonnées ciblant une église et une synagogue au Daghestan tuant 17 policiers et plusieurs civils avant d’être neutralisés.

En 2020, Washington estimait que le gouvernement azéri a activement œuvré pour « dissuader, détecter et contrecarrer les efforts des terroristes visant à faire circuler des personnes, de l’argent et du matériel à travers ses frontières terrestres et maritimes et dans le Caucase du Sud. Les forces de l’ordre et les services de sécurité ont mené nombre d’opérations pour perturber et prévenir les attaques terroristes, arrêté et poursuivi les terroristes présumés et poursuivi les Azéris de retour au pays soupçonnés d’avoir rejoint ou financé des groupes terroristes combattant hors d’Azerbaïdjan ».

En effet, nombre d’Azéris ont rejoint au milieu des années 2010 la zone de guerre syrienne. Après l’échec de Daech, certains sont rentrés au pays où ils ont été arrêtés. Leur sort n’est pas connu.

La préoccupation prioritaire de Bakou a ensuite été le conflit avec l’Arménie ce qui a détourné les services de sécurité de la menace jihadiste.

Si Al-Qaida semble avoir délaissé pour le moment le Caucase, ses anciens adeptes peuvent avoir rejoint Daech qui s’y maintient vaille qui vaille de manière décentralisée.

Il est vrai que le souci actuel de cette organisation reste son berceau syro-irakien et ses terres de conquêtes principales le Sahel et la région afghano-pakistanaise.

Les autres théâtres restent pour le moment à l’état embryonnaire mais peuvent se réveiller à tout moment.

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Texte

Alain Rodier