Comme prévu, l’attentat de Moscou du 22 mars (qui a fait au moins 139 morts et 182 blessés selon le dernier bilan) revendiqué par l'État islamique suscite de nombreuses questions (1). Mais des informations commencent à filtrer même si elles doivent être prises avec prudence.

L’identité des quatre suspects

Les quatre suspects – sérieusement blessés – ont été présenté à un tribunal de Moscou qui a ordonné leur incarcération le temps que l’enquête se poursuive.

Les identités révélées à la presse sont :

Dalerdzhon Mirzoyev, 32 ans. Il a résidé durant trois mois à Novossibirsk (Sibérie) mais son permis de séjour avait expiré. Il est marié et a trois enfants. Ce serait le leader un groupe.

Shamsidin Fariduni, 25 ans. Il était officiellement employé dans une usine de Podolsk et était enregistré à Krasnogorsk. Il est marié et a un enfant.

Saidakrami Rachabalizoda, âgé de 30 ans, a informé le tribunal qu’il possédait des documents d’enregistrement en russe mais ne pas se rappeler où ils se trouvaient. Parlant mal le russe, il communique par l’intermédiaire d’un interprète. Il est marié et a un enfant.

Muhammadsober Faizov, âgé de 19 ans. Anciennement employé dans un salon de coiffure à Ivanovo, au nord-est de Moscou, il était temporairement au chômage et enregistré dans cette ville.

Tous les quatre seraient des Tadjiks et n’avait été condamné par le passé…

Fariduni et Rachabalizoda étaient venus en Turquie le temps de renouveler leur permis de séjour en Russie. C’est une démarche administrative classique qui consiste à sortir du pays de résidence au bout du délai accordé pour redemander un nouveau permis de séjour. Cela implique néanmoins qu’ils ont dû passer au consulat de Russie à Istanbul (l’ambassade de Russie se trouve dans la capitale, Ankara) pour établir le nouveau document officiel.

Shamsidin Fariduni est entré en Turquie le 20 février et reparti en Russie le 2 mars depuis l’aéroport d’Istanbul après un séjour dans un hôtel de la mégapole (il a quitté son hôtel le 27 février) dans l’arrondissement de Fatih. Son emploi du temps entre le 27 février et le 2 mars est inconnu.

Saidakram Rajabalizoda est arrivé à Istanbul le 5 janvier, il est aussitôt descendu dans un hôtel de Fatih (pas le même que celui de Fariduni) qu’il a quitté le 21 janvier. Lui aussi, il disparait du 21 janvier au 2 mars.

Les deux hommes ont emprunté le même vol le 2 mars pour rejoindre Moscou. Ils avaient donc leurs papiers en règle pour revenir en Russie.

Les quatre suspects ont résidé ensemble dans un appartement situé dans le quartier de Putilkovo dans le nord-ouest de Moscou mais ne semblaient pas proches. Selon les autorités russes, au moins deux d’entre eux se sont rencontrés uniquement  10 à 12 jours avant le passage à l’action.

Le président Poutine reconnait que les exécutants sont des islamistes radicaux

Le 25 mars, le président a fini par reconnaître officiellement que l’attentat de Moscou avait été commis par des « islamistes radicaux » mais en continuant à sous-entendre des liens avec l’Ukraine : « Nous savons que [ce] crime a été commis par des islamistes radicaux ayant une idéologie contre laquelle le monde islamique se bat lui-même depuis des siècles. […] Ce qui nous intéresse, c’est le commanditaire […] Pourquoi les terroristes, après leur crime, ont essayé de partir en Ukraine ? Qui les attendait là-bas ? Ceux qui soutiennent le régime de Kiev ne veulent pas être des complices de la terreur et des soutiens du terrorisme, mais beaucoup de questions se posent. […] On se demande à qui cela profite ? Cette atrocité peut être un nouvel épisode de la série de tentatives de ceux qui, depuis 2014, combattent notre pays à travers le régime néonazi de Kiev. »

Bien qu’il ait repris son récit traitant le régime de Kiev de « nazi », il semblait être beaucoup moins affirmatif que lors des déclarations précédentes se « posant des questions. »

D’ailleurs, à celle de « pourquoi les terroristes ont tenté de se rendre en Ukraine après avoir commis attentat au Crocus City Hall de Moscou et qui les y attendait », il oublie de dire que la Russie s’est coordonnée avec les forces de sécurité biélorusses pour verrouiller la frontière entre les deux pays (voir plus loin.)

Le président Volodymyr Zelensky a répondu à cette accusation par : « c’est [Poutine] une créature malade et cynique. »

Mais l’exploitation anti-ukrainienne de ce drame a été reprise par le directeur du FSB, Alexandre Bortnikov qui a accusé le 26 mars les services secrets ukrainiens et occidentaux d’avoir facilité l’attentat de Moscou : « Nous pensons que l’action a été préparée à la fois par des islamistes radicaux eux-mêmes et, bien entendu, facilitée par les services secrets occidentaux et que les services secrets ukrainiens eux-mêmes sont directement impliqués. » Mais il a ajouté que « le commanditaire »n’avait « pas encore été identifié. »

Selon lui, les suspects « avaient l’intention de se rendre » en Ukraine et « ils devaient être accueillis en héros de ce côté-là. » Il n’a cependant fourni aucune preuve pour étayer ses propos.

De son côté, le puissant secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev, a affirmé que l’Ukraine avait orchestré l’attaque du Crocus City Hall…

Ces discours sont essentiellement destinés à l’opinion intérieure russe car à l’étranger – même chez les alliés de Poutine -, personne ne croît sérieusement cette propagande.

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko met à mal les théories russes.

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko aaffirmé le 26 mars que les terroristes du Crocus City Hall ont bien tenté de fuir vers la Biélorussie, mais qu’ils y ont renoncé à cause des points de contrôle mis en place à la frontière russo-biélorusse . Il a même précisé avoir été en liaison permanente avec son homologue russe pour coordonner leurs actions. Loukachenko a ajouté que c’est pour cette raison que les suspects d’étaient rabattus sur l’Ukraine.

Il contredit la version officielle russe.

La voiture Renault Clio Symbol utilisée

La voiture Renault Clio Symbol blanche qu’ils ont utilisée avait été achetée via une liaison familiale sous prétexte de l’utiliser comme taxi.

L’ancien propriétaire Dilovar Islomov a été inculpé le mars par un tribunal de Moscou le 25 mars aux côtés de son frère Aminchon et de son père Israil pour « aide de terroristes. »

Les trois Russes travaillaient dans l’olblast de Tver en Russie occidentale.

Les enquêteurs pensent que Shamsiddin Fariduni a impliqué Dilovar et Aminchon Islomov dans le complot visant à attaquer le centre commercial Croqus.

Dilovar Islomov a déclaré qu’il avait contacté la police après avoir vu son ancienne voiture apparaître dans la presse qui couvrait l’attaque de la salle de concert. Il a affirmé qu’il avait vendu le véhicule « il y a environ une semaine » au frère de sa femme…

La fuite

La voiture aurait été interceptée au kilomètre 376 de l’autoroute M3 (depuis Moscou) menant à la frontière ukrainienne (à 150 kilomètres) près du village de Khatsun dans l’oblast de Bryansk.

Initialement, l’emplacement de l’arrestation a été annoncé comme village de Tyoply à la frontière avec la Biélorussie, mais plus tard, il a été localisé dans la zone de Khatsun, près du village de Tyoploe (ce qui pourrait expliquer la confusion.)

La voiture avait été repérée au kilomètre 291 et l’interception au kilomètre 376 se serait produite à 23 h 30. Cet horaire et l’itinéraire sont sujets à caution.

L’enquête se poursuit

Le ressortissant russe mais d’origine kirghize, AlisherKasimov, 32 ans, résidant à Krasnogorsk où il exploite un café, a été placé en détention provisoire le 26 mars. Les autorités judiciaires ont déclaré : « un tribunal de Moscou a placé en état d’arrestation un autre participant à l’attentat terroriste du Crocus City Hall .» La presse a annoncé qu’il louait l’appartement Putilkovo dans lequel avaient été hébergés les quatre activistes avant de passer à l’action.

Il a affirmé qu’il ne connaissait pas ses locataires auparavant.

Pour le moment, huit suspects sur les onze officiellement arrêtés ont été présentés à la justice. On connaîtra vraisemblablement l’identité des trois dernières personnes impliquées prochainement.

Il semble qu’il y ait eu quatre « opérateurs », les autres apportant une aide logistique peut-être inconsciemment (les uns ont vendu une voiture, le dernier a loué un appartement.)
 
1.Voir : « ATTENTAT DE L’ÉTAT ISLAMIQUE À MOSCOU » du 25 mars 2024.

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