Il est commun de dire que l’on redécouvre toujours le « fil à couper le beurre». La dernière illustration est de la « découverte » de l’efficacité des fusils de chasse pour abattre des drones évoluant à faible vitesse à très basse altitude.

Déjà dans les années 1970, certains gardes du corps du président sud-coréen étaient équipés de fusils de chasse destinés à contrer toute menace aérienne de proximité qui pouvait être mise en œuvre par les services nord-coréens à l’aide de maquettes d’avions téléguidées bourrées d’explosifs. On ne parlait pas encore de drones de combat mais cette menace était déjà prise en compte.

L’emploi des fusils de chasse pour la protection à courte portée est aussi vielle que l’existence même de cette arme mais il a trouvé ses premières lettres de noblesse dans l’Ouest américain. Contrairement à la légende, les pionniers et autres cow-boys n’avaient pas l’argent nécessaire pour s’acheter beaucoup de munitions pour bien s’entraîner au tir.

Le fusil de chasse palliait à leur médiocrité en tant que pistoleros car la gerbe de plombs permettait une visée plus approximative. L’appellation « coach gun » vient du fait que la version à canons courts était appréciée par les conducteurs de diligences.

La première utilisation militaire répertoriée a eu lieu lors de la guerre menée par les États-Unis aux Philippines de 1899 à 1902. Comme le célèbre pistolet semi-automatique  Colt 45, le fusil de chasse à pompe (en référence à son fonctionnement pour introduire une cartouche dans le canon depuis le magasin et que l’on appellera plus tard « riot gun » en raison de son usage par les forces de police anti-émeute) fit preuve de son efficacité dans les combats au corps à corps contre des nationalistes philippins fanatisés.

Cette expérience conduisit les forces armées américaines à doter en 1917 leurs nettoyeurs de tranchées de riot guns équipés d’une baïonnette. Le premier modèle standard était le Winchester Modèle 1897 qui sera complété par le Winchester M12 (mis en service en 1912) ; une version améliorée n’ayant en particulier pas de marteau extérieur qui pouvait être source d’incidents. Ce modèle permet aussi de tirer rapidement les six cartouches contenues dans le magasin tubulaire car en maintenant la détente enfoncée, il suffit de manipuler la pompe pour que chaque coup parte.

Les Allemands ont considéré cette arme comme « inhumaine » et tout porteur pouvait être exécuté sur place. Les Américain ont répliqué que les chevrotines employées (avec une chemise métallique) étaient du même calibre que la plupart des balles des fusils de guerre…

On les a retrouvés lors de la seconde guerre mondiale dans le même rôle en particulier contre les fortifications japonaises puis durant la guerre de Corée et enfin au Vietnam.

La guerre de Vietnam a fait apprécier cet armement particulièrement efficace dans une végétation luxuriante où les combats pouvaient avoir lieu à très courte distance. Depuis, l’armée américaine continue à l’avoir en dotation lors de ses interventions.

Parallèlement, ce type d’arme a toujours équipé les forces de police qui généralement l’emploient avec des munitions à létalité réduite pour le maintien de l’ordre (projectiles en caoutchouc.)

La variété des munitions disponibles est un atout précieux pour l’utilisation de cette arme. Il en existe des perforantes permettant également d’ouvrir des portes ou de bloquer des véhicules. Défaut de l’affaire, les truands les ont parfois utilisés pour attaquer les fourgons blindés. Il y a même une version à gaz lacrymogène (déclenché après impact, utile dans un véhicule.)

De nombreuses versions modernisées ont été développées et les modèles semi-automatiques sont souvent désormais privilégiés.

L’utilisation de ce type d’arme pour contrer les drones représente un développement intéressant dans les tactiques militaires et de sécurité actuelles. Cette tendance souligne l’évolution des estimations des menaces aériennes et des approches pragmatiques adoptées pour y faire face.

La décision du commandement de la base aérienne belge de Kleine-Brogel d’annoncer publiquement la dotation de ses sentinelles de fusils Benelli M4 Super 90 souligne cette évolution. Cette base est considérées comme sensible car elle accueillerait, dans le cadre de l’OTAN, des armes nucléaires américaines

Ces armes offrent plusieurs avantages dans la lutte contre les drones, principalement en raison de leur facilité d’utilisation et de leur disponibilité à grande échelle. Mais si le tir de grenailles permet de répartir les projectiles sur un espace de plus en plus large à mesure que l’on s’éloigne de  la bouche du canon, les distances d’emploi contre les drones légers ne dépassent pas les 40/50 mètres.

Par contre, le rapport coût-efficacité des fusils de chasse par rapport aux technologies anti-drones plus sophistiquées en font une option attrayante pour les applications militaires et civiles.

Incidences tactiques

Le passage tactique à l’utilisation de fusils de chasse reflète une adaptation à l’utilisation croissante des drones pour la surveillance et, dans certains cas, les opérations offensives.

Les fusils de chasse, qui sont relativement simples à utiliser et à entretenir, permettent un déploiement rapide et une réponse aux menaces de drones sans avoir besoin d’une formation approfondie ou d’un équipement spécialisé.

Mais leur efficacité est intrinsèquement limitée par la portée et le besoin de contact visuel avec la cible. Ils sont pour ainsi dire impossibles à utiliser dans l’obscurité (nuit).

Cette méthode est aussi moins adaptée aux drones furtifs équipés de capacités de reconnaissance ou d’attaque avancées.

En outre, l’utilisation de fusils de chasse nécessite des considérations de sécurité et de dommages collatéraux, en particulier dans les zones peuplées ou à proximité d’installations sensibles. Les plombs retombent ensuite à plus de 200 mètres quand ils sont tirés avec un angle de 30°.

En conclusion, l’utilisation croissante de fusils de chasse pour contrer les drones met en évidence une approche pragmatique face à l’évolution rapide du défi de la sécurité.

Il représente un mélange de tactiques traditionnelles et modernes, reconnaissant l’accessibilité et l’utilité des armes à feu classiques contre les nouvelles menaces technologiques.

Cependant, alors que la technologie des drones continue de progresser, il sera crucial d’intégrer ces mesures de défense rapprochées avec des stratégies antidrones plus larges, y compris la guerre électronique, la cyberdéfense et les systèmes de détection avancés, afin d’assurer une protection complète contre la diversité des menaces des drones.

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Texte

Alain Rodier