Le 17 mai, les dirigeants talibans afghans ont nommé Mohammed Abdul Kabir nouveau Premier ministre par intérim de l’Émirat islamique d’Afghanistan.

Kabir avait joué un rôle clé dans l’« accord pour la paix en Afghanistan » signé en 2020 à Doha avec les États-Unis. Il était avec le Cheikh Abdul Hakim; les mollahs Saqib, et Chireen (l’ancien garde du corps du mollah Mohammad Omar) l’un des quatre derniers négociateurs désignés par le mollah Haibatullah Akhundzada pour la partie talibane.

Cet accord comprenait le retrait de toutes les troupes américaines et de l’OTAN d’Afghanistan, en échange de l’engagement des talibans d’empêcher Al-Qaida d’opérer dans les zones sous leur contrôle, mais aussi des pourparlers à ouvrir avec le gouvernement de Kaboul de l’époque.

Si le retrait des forces de l’OTAN a bien eu lieu – dans la catastrophe – en août 2021, l’émir d’Al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, a été lui été tué par un drone US en plein cœur de Kaboul le 31 juillet 2022 ce qui démontrer que les taliban n’ont pas respecté l’accord (soit-disant, ils ne « savaient pas » que Zawahiri était présent en famille dans la capitale).

Quant aux négociations avec le gouvernement légal afghan, elles n’ont jamais eu lieu mais les torts sont à partager par les deux partis. Il faut dire que les responsables politiques afghans dont le président Achraf Ghani avaient depuis longtemps préparé leur exil doré – en particulier aux Émirats Arabes Unis.

Kabir remplace à son poste le mollah Mohammad Hasan Akhund âgé de 78 ans. Ce dernier était à la tête du gouvernement intérimaire depuis que les talibans avaient pris le contrôle du pays en août 2021.

Selon Sohail Shaheen, le chef du bureau politique des talibans à Doha, Akhund serait malade depuis quelques semaines et doit subir un traitement médical. Il est donc remplacé par Kabir jusqu’à son rétablissement.

La nomination de Kabir est intervenue suite à la publication d’un décret spécial émis par le chef suprême des talibans, le mollah Haibatullah Akhundzada.

Le nouveau Premier ministre âgé d’environ 60 ans est sous le coup de sanctions infligées par les Nations unies depuis 2001 alors qu’il était déjà Premier ministre par intérim du régime taliban qui gouvernait alors l’Afghanistan (1996-2001).

Lors de l’invasion américaine menée fin 2001 suite aux attentats du 11 septembre, il est passé au Pakistan voisin.

Il convient de se souvenir que cette opération militaire a été déclenchée parce que les talibans ont refusé d’expulser Oussama Ben Laden qui avait dirigé les attentats du 11 septembre depuis son refuge afghan. S’ils l’avaient fait, il est possible que les choses auraient tourné autrement et que la guerre d’Afghanistan n’aurait pas duré plus de vingt ans.

Issu de la tribu Zadran de l’ethnie pachtoune, Kabir a occupé des postes cruciaux dans les gouvernements talibans précédents et actuels et faisait partie du bureau politique du mouvement à Doha qui a négocié l’accord avec Washington qui a ouvert la voie au retrait des troupes occidentales d’Afghanistan. Les talibans avaient ouvert un « bureau de représentation » au Qatar au début des années 2010. Les autorités qataries avaient toujours refusé de le faire fermer comme le demandaient les autorités afghanes (et américaines). Elles avaient juste demandé aux talibans de ne plus arborer ni drapeau ni la plaque d’entrée jugés trop provocateurs.

Sa première nomination a eu lieu en 1996 en tant que gouverneur de la province de Nangarhar, le long de la frontière orientale du pays jouxtant le Pakistan. Cette province était parmi les centres de pouvoir du mouvement pendant son premier règne et a continué d’être un bastion pendant les 20 ans d’occupation par les forces occidentales.

C’est le fondateur des talibans en personne, le mollah Omar, qui a nommé Kabir à ce poste ainsi qu’à celui de membre du haut conseil de direction du mouvement.

En juillet 2005, Kabir a été arrêté par des services secrets (ISI) pakistanais lors d’un raid dirigé contre le mouvement dans le nord-ouest du Pakistan. Cependant, il existe des interprétations différentes concernant son arrestation puis sa détention. Toujours est-il qu’il entretient de bonnes relations avec Islamabad…

Il est possible que son sens de la diplomatie et sa capacité à négocier avec des pays en désaccord avec les talibans auraient pu être un facteurs important de sa nomination au poste de Premier-ministre. Ainsi, Arif Rafiq, conseiller en risques politiques pour l’Asie du Sud à Al Jazeera déclare : « étant donné la proximité d’Abdul Kabir avec le Pakistan et son rôle dans les pourparlers de Doha, les talibans pourraient chercher à faciliter les relations avec les pays étrangers .» Toutefois il tempère ce jugement pas : « mais le remplacement d’un seul poste de direction ne suffit pas pour provoquer des changements révolutionnaires dans la politique intérieure et étrangère [du pays] ».

D’ailleurs, les dirigeants talibans ont fermement nié que le changement était dû à une rupture interne. Ils restent isolés, aucun pays ne reconnaissant officiellement leur gouvernement. Ils ont exhorté les États-Unis et d’autres pays occidentaux à lever les sanctions imposées à la suite de la prise de contrôle militaire du pays, qui était une violation claire de l’accord de Doha.

Les États-Unis ont également appelé l’administration talibane à lever les restrictions imposées aux femmes – une exigence que les talibans ont qualifiée d’ingérence dans leurs affaires intérieures.

Bien au contraire, ils ont renforcé les restrictions faites aux droits des femmes leur interdisant l’éducation et la liberté de travail. Les écoles secondaires pour filles devaient rouvrir en mars 2022 mais les talibans ont annulé la directive forçant des millions d’adolescentes à quitter le système scolaire. Les talibans ont également interdit aux femmes de poursuivre des études supérieures et de travailler avec des ONG internationales. Ils soutiennent que ces règles sont conformes à leur interprétation de l’islam, bien que l’Afghanistan soit le seul pays musulman qui interdit aux femmes d’être éduquées.

Faiz Zaland, maître de conférences à l’Université de Kaboul, a déclaré qu’on ne peut pas s’attendre à un changement de politique car la nomination de Kabir est temporaire et dépourvue de « pouvoirs décisionnels » et qu’il ne bénéficierait pas d’une « influence substantielle » sur la future politique étrangère de l’Afghanistan.

La concentration du pouvoir reste dans les mains d’Akhundzada, qui dirige le pays depuis Kandahar. Aucune décision politique ne peut être prise sans son accord…

La « communauté internationale » et les Occidentaux protestent fort justement contre le comportement des talibans vis-à-vis des femmes. Toutefois, les Occidentaux semblent oublier qu’ils ont perdu la guerre contre ces adeptes de l’idéologie salafiste-jihadiste.

Il est vrai que de nouvelles sanctions peuvent être prises. Mais elles affecteront l’aide humanitaire et, comme d’habitude, ce seront les populations qui seront les premières touchées.

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Texte

Alain Rodier