Le président russe Vladimir Poutine a déclaré dans une interview accordée à la télévision russe le 25 mars que Moscou allait déployer des armes nucléaires tactiques sur le territoire de son allié biélorusse.
Il a précisé : « Il n’y a rien d’inhabituel ici : les États-Unis font cela depuis des décennies. Ils déploient depuis longtemps leurs armes nucléaires tactiques sur le territoire de leurs alliés […] Nous avons convenu de faire de même ».
Il a été assez précis sur le côté technique : « Nous avons déjà aidé nos collègues biélorusses et équipé leurs avions […] Dix avions sont prêts à utiliser ce type d’arme […] À partir du 3 avril, nous commençons à former les équipages. Et le 1er juillet, nous terminerons la construction d’un entrepôt spécial pour les armes nucléaires tactiques sur le territoire de la Biélorussie ». Conclusion, ce ne sont pas des appareils des forces aérospatiales russes qui seraient engagés…
Selon le président russe, cette décision aurait été motivée par la volonté de Londres de livrer des munitions de chars à uranium appauvri à l’Ukraine.

NdA : comme d’habitude, tout ce qui a un rapport avec le « nucléaire » comme l’uranium appauvri affole les foules. Ces munitions perforantes ont effectivement une flèche faite de ce métal réputé pour sa très grande dureté. Ses performances sont supérieures aux munitions similaires.
De nombreuses études ont conclu à l’absence de preuves établissant la nocivité de l’uranium appauvri mais ces résultats restent contestés. Ainsi, selon les études auxquelles l’Agence internationale de l’énergie atomique a été associée, « le risque radiologique auquel étaient exposées les populations et l’environnement n’était pas important dans les cas où la présence d’uranium appauvri avait provoqué une contamination localisée de l’environnement sous forme de petites particules libérées au moment de l’impact » (source ONU).

Le président russe a d’ailleurs menacé de recourir également à ce type d’obus si Kiev venait à en recevoir. « La Russie, bien sûr, a de quoi répondre. Nous avons, sans exagérer, des centaines de milliers d’obus de ce type. Nous ne les utilisons pas pour le moment ».
Tout cela relève de la guerre psychologique.

Par contre « lorsque des fragments de munitions à uranium appauvri ou des munitions complètes de ce type sont découverts, les personnes qui entrent en contact direct avec ces objets pourraient subir les effets des rayonnements ».

Pour revenir aux armes nucléaires tactiques, seuls les Sukhoï Su-30SM livrés à la Biélorussie peuvent mettre en œuvre le missile de croisière Kh-32 (600 à 1000 kilomètres de portée) qui est apte à recevoir une tête nucléaire. Bien sûr, l’option d’une bombe lisse n’est pas à exclure mais aucune n’est actuellement répertoriée dans l’arsenal russe.

La veille de la déclaration de Poutine, le président biélorusse Alexandre Loukachenko avait déclaré que les avions Su-30SM en dotation dans son armée de l’air pouvaient désormais transporter des armes nucléaires. La Biélorussie en aurait douze.

Selon la société d’État russe TASS, Loukachenko aurait demandé à Poutine en juin 2022 de prendre des contre-mesures proportionnées contre les actions occidentales en Europe – et en particulier aux frontières polonaises et des États baltes qui jouxte la Biélorussie en reconfigurant les avions biélorusses pour permettre la mise en œuvre d’armes nucléaires.

Toujours en juin, Loukachenko a critiqué les actions de l’OTAN en réponse au conflit ukrainien. À l’époque, il s’est dit préoccupé par les vols d’avions américains et de l’Alliance, qui s’entraîneraient à transporter des armes nucléaires. « C’est très stressant pour nous. C’est pourquoi je vous demande d’envisager une réponse directe à ces choses ».

La Biélorussie est l’un des 14 pays doté du Su-30SM qui est une évolution du Su-30MKI indien.
Les avions seraient basés à la 61ème base de chasseurs de Baranovichi. Il est probable que ce site va être particulièrement surveillé par les satellites US dans les mois à venir. Ils seront à l’affût de l’« entrepôt spécial pour les armes nucléaires tactiques » cité par Poutine.

Petite curiosité
La première paire de Su-30СМ qui avait été livrée à la Biélorussie le 13 novembre 2019 (numéros 01 et 02) était équipée d’un indicateur tête haute (ILS) de Thales HUD 3022 (CTH 3022) ainsi que d’affichages à cristaux liquides multifonctionnels Thales SMDXNXXX . Ces matériels avaient été installés sur Su-30СМ avant l’introduction de sanctions contre le complexe militaro-industriel russe décrétées en 2014 en raison de l’annexion de la Crimée. Ils auraient ensuite été remplacés par des systèmes IKSh-1M développés par Ramenskoye Instrument-Making Design Bureau de Concern Radioelectronic Technologies JSC (KRET, filiale du groupe d’entreprises Rostec).

Le ILS français Thales HUD 3022 a été développé à l’origine pour les chasseurs Rafale. Ils ont été installés sur les Su-30MKM de l’armée de l’air malaise, ceux de l’armée de l’air du Kazakhstan et sur les premiers exemplaires livrés à l’armée de l’air biélorusse.

Loukachenko dépend totalement de la Russie pour son maintien au pouvoir car la population biélorusse est globalement opposée à son pouvoir.
C’est pour cette raison :
. qu’il accepte que son territoire serve de base arrière pour les forces armées russes ;
. qu’il ne veut surtout pas entrer dans le conflit car l’opposition populaire pourrait le mettre en grande difficulté.
L’arrivée d’armes nucléaires dans le pays est donc surtout une manœuvre russe destinée à impressionner le monde occidental. D’ailleurs, il n’est même pas certain qu’il y ait une suite opérationnelle à cette déclaration car Moscou n’a pas besoin de la Biélorussie pour être une menace sur zone. En effet, elle est déjà maître dans l’enclave de Kaliningrad où sont stationnés en permanence des lanceurs Iskander 9K720 (portée 500 kilomètres) qui ont des capacités nucléaires… Si les Russes y déploient des avions porteurs du KH-32 ou du KH-102, ils couvrent toute l’Europe…

Publié le

Texte

alain rodier

Photos

Droits réservés