Le directeur de la CIA William Burns qui est généralement discret est intervenu une deuxième fois en un mois via CBS pour exprimer son opinion sur le conflit russo-ukrainien(1). Cela participe à la guerre de l’information que se livrent Washington et Moscou, la Maison-Blanche faisant également savoir à ses alliés - mais non officiellement – quelle est son évaluation et les leçons à en tirer.

Donc pour William Burns qui fut ambassadeur des États-Unis en Russie de 2005 à 2008 et qui, à ce titre, connaît personnellement le président Poutine, ce dernier s’est bien rendu compte des difficultés auxquelles son armée est confrontée en Ukraine mais il reste convaincu qu’il remportera une victoire finale à l’usure. Il refuse d’envisager une autre option : « Poutine, selon moi, pense aujourd’hui qu’il ne peut pas gagner tout de suite, mais qu’il ne peut pas se permettre de perdre […] En ce moment, je pense que Poutine est carrément déterminé [mais] trop confiant dans sa capacité à épuiser l’Ukraine ». Au lieu d’envisager une porte de sortie, le président russe « persiste et signe » dans sa guerre.

En ce qui concerne l’aide apportée par Pékin à Moscou, l’actuel directeur de la CIA déclare : « nous sommes convaincus du fait que les dirigeants chinois envisagent de fournir du matériel létal [à la Russie] » tempérant tout de même cette assertion par : « nous n’avons pas constaté qu’une décision définitive ait été prise [et] nous n’avons pas trouvé de preuves qu’ils en aient livré [des armes à Moscou] ».
Depuis des jours, la presse américaine accuse Pékin de vouloir appuyer l’offensive russe, ce qu’ont démenti les autorités chinoises. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a directement interpellé Wang Yi, le directeur du bureau central des affaires étrangères du Parti communiste chinois sur ce sujet lors d’une rencontre bilatérale tenue le 18 février à Munich en marge d’une conférence sur la sécurité. Plus généralement, Washington estime que la Chine fournit déjà du matériel non létal à la Russie via des entreprises chinoises.

De son côté, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan a assuré dimanche sur CNN : « nous allons continuer à envoyer un message de fermeté [à Pékin] selon lequel envoyer de l’aide militaire à la Russie en ce moment (…) serait une grave erreur et la Chine devrait ne pas y prendre part »…
Il est certain que la Chine a la capacité de livrer à la Russie des matériels militaires et des munitions car la base technique est similaire, en particulier les calibres. La Chine est déjà soupçonnée avoir laissé passer des trains de munitions en provenance de Corée du Nord(2).

William Burns a décrit sa rencontre à la mi-novembre 2022 en Turquie avec son homologue russe du renseignement extérieur (SVR) Sergueï Narychkine de « démoralisante ».
Il dit avoir vu « une forme d’imprudence, d’orgueil démesuré » chez Narychkine qu’il avait rencontré pour « le mettre en garde contre tout recours à l’arme nucléaire ».

À ce propos, la visite surprise du président Joe Biden à Kiev le 20 février était importante et surtout symbolique. Le lendemain, Poutine annonçait se retirer du traité New Start (Strategic Arms Reduction Treaty), un accord de réduction des armes stratégiques nucléaires conclu à Prague entre les USA et la Russie en 2010/2011. Entré en vigueur pour dix ans le 5 février 2011, il avait été prorogé en 2021. Poutine a aussi averti être prêt à lancer de nouveaux essais nucléaires si jamais les États-Unis le faisaient.
Plus globalement, les traités de désarmement nucléaire reposent sur la recherche d’une certaine confiance. Ce sont les États-Unis qui ont commencé à dénoncer le traité ABM (Anti-Ballistic Missile) qui fut signé le 26 mai 1972 à Moscou. Les Américains ne font donc plus partie du traité ABM depuis le 13 juin 2002. Pour l’instant, cet accord continue à être respecté par les trois autres puissances nucléaires déclarées, le Royaume-Uni, la France et la Chine.
Le FNI (Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire) signé le 8 décembre 1987 par Washington et Moscou et entré en vigueur le 1er juin 1988 qui concerne l’élimination de tous les missiles de croisière et balistiques à charge conventionnelle ou nucléaire lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5.500 km avait été remis en question par Poutine en 2007 car la Chine n’est pas signataire, mais aussi en raison du déploiement de systèmes de défense antimissiles par les États-Unis. Suite à de laborieuses tractations infructueuses, le FNI est dénoncé début août 2019 par les USA suivi immédiatement par la Russie.
L’annulation de tous ces accords qui allaient dans le sens de la déconfliction, même du temps de la splendeur du Pacte de Varsovie, est un énorme pas en arrière. Il se trouve que dans les deux camps (russe et américain), il existe des « docteurs Folamour » qui imaginent qu’une guerre nucléaire peut être gagnée…

A/S l’Iran
Dans la même communication, le patron de la CIA a assuré que les États-Unis « ne pensaient pas que le leader suprême en Iran ait encore pris la décision de reprendre la militarisation du programme (nucléaire), qui selon nos estimations a été suspendu ou terminé fin 2003 ».

Toutefois, il a remarqué que le programme d’enrichissement d’uranium iranien « progresse vite à tel point qu’il leur suffirait de quelques semaines pour atteindre les 90%, s’ils décidaient de franchir cette ligne ».

Néanmoins, le régime des mollahs qui a assisté à la destinée des dictateurs Mouammar Kadhafi et Saddam Hussein, sait que sa survie peut dépendre d’une force nucléaire de dissuasion.

La parole du directeur de la CIA est précieuse à entendre – même avec toutes les précautions qui s’imposent -. Il ne parle que s’il y est autorisé par la Maison-Blanche ; c’est donc un message « non-officiel » mais qui dit ce que pense vraiment l’administration américaine au plus haut niveau. Il est intéressant de noter que son ton – tout en étant vif – est plus modéré que celui de la presse occidentale en général et de nombreux dirigeants politiques de pays membres de l’OTAN.

1. Voir : « UKRAINE – RUSSIE – CHINE : qu’en pense vraiment Washington ? » du 5 février 2023.
2. Voir : « RELATIONS RUSSIE – CORÉE DU NORD » du 26 décembre 2022.

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Texte

Alain Rodier

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