Le directeur de la CIA, William Burns, a rencontré au début janvier Abdul Hamid Dbeibah l’un des deux Premier-ministre libyen à Tripoli. L’autre est Fathi Bashaga qui ne parvient pas à faire reconnaître son élection(1).

Nul ne sait si ce dernier a aussi été vu par Burns ou par l’un de ses collaborateurs mais ce n’est pas impossible.
Les discussions auraient porté sur la coopération économique et sur les problèmes de sécurité.

La visite de Burns a suivi l’extradition en décembre d’un ancien officier des services secrets libyens sous le règne du colonel Kadhafi accusé d’avoir participé à l’attentat contre le vol Pan Am 103 au dessus de Lockerbie le 21 décembre 1988 (270 victimes). Abou Agila Mohammad Mas’ud Kheir Al-Marimi attend maintenant dans une prison américaine d’être jugé. Il n’était recherché par le Département de la justice US que depuis décembre 2020.

Washington a tenu à rassurer les Libyens via son ambassade à Tripoli qui a déclaré dans un tweet que le transfert d’Abou Agila aux États-Unis « pour qu’il y soit jugé pour des accusations liées à l’attentat contre la Pan Am 103 était légal et mené en coopération avec les autorités libyennes »… Il a été précisé que Washington « ne revient pas sur l’accord conclu en 2008 avec le gouvernement libyen de l’époque » qui a « satisfait les demandes des États-Unis et de ressortissants américains découlant d’actes terroristes » (dont celui de Lockerbie). Cet accord mettait « fin aux poursuites pour obtenir des dédommagements devant les tribunaux américains découlant de ces actes ». Toutefois ce pacte « ne limite en rien notre coopération en matière d’application de la loi et n’a aucune incidence sur les accusations criminelles portées contre les responsables de l’attentat ».

Mais cette mesure ordonnée par le gouvernement de Dbeibah pose la question du respect de la légalité internationale par Washington. Aucun traité d’extradition n’existe actuellement entre les deux pays. De plus, le mandat même de Dbeibah et donc son « autorité » interpelle puisque les élections prévues la fin 2021 n’ont pu avoir lieu.

Déchiré par une guerre civile depuis l’intervention des forces de l’OTAN en 2011 qui a abouti à la chute de Kadhafi (qui n’était pas prévue dans la résolution 1973 votée à l’ONU le 17 mars 2011), la Libye est écartelée entre plusieurs gouvernements rivaux qui se partagent le pays entre l’est et l’ouest en s’appuyant sur des milices plus ou moins indépendantes.
Ces milices ont amassé d’importantes fortunes en se livrant à tous les trafics possibles dont le plus connu est celui des êtres humains. C’est au milieu de ce chaos que le Consulat américain de Bengazi avait été attaqué en 2012 causant la mort de quatre Américains dont celle de l’ambassadeur Chris Stevens.

La Libye est surtout aujourd’hui une zone de luttes d’influence pour plusieurs puissances étatiques : d’un côté la Turquie et les Émirats arabes Unis, de l’autre l’Égypte, l’Arabie saoudite et la Russie via la SMP Wagner.
Les richesses pétrolières et gazières locales sont devenues pour l’Europe d’une importance vitale au moment où les approvisionnements russes ont commencé à se tarir du fait des sanctions qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine. L’Italie est historiquement (et géographiquement) en pointe sur ce sujet.

La venue à Tripoli du patron de la CIA est un exemple de la « diplomatie parallèle » qui est une des missions peu connue des services secrets. En effet, la « diplomatie classique » ne pouvant s’afficher officiellement aux côtés d’un des deux Premier-ministre (en dehors des ambassades présentes el Libye, et encore, elles marchent sur des œufs), la mission revient à la CIA. Quand ce sont les services qui sont à la manœuvre, cela n’engage pas directement les responsables politiques car, dans la plupart des cas, il n’y a pas de traces écrites…
Etant donnés les intérêts des uns et des autres décrits ci-avant, la CIA n’est évidement pas seule présente en Libye.

1. Voir : « LIBYE : reprise de la guerre civile ? » du 31 août 2022.

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Texte

Alain Rodier

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