Il est rare d’avoir la résolution d’une affaire relevant de la « guerre secrète ». Mais c’est peut être pour une fois le cas.

Selon la presse américaine (dont le New York Times et CNN qui ne sont pas spécialement favorables à Moscou), l’opération « homo » qui a conduit à la mort le 20 août dernier de Daria Dougine, la fille de l’ultranationaliste russe Alexander Dougine (qui semble avoir été la cible)(1) a été autorisée par des « éléments internes du gouvernement ukrainien ».
Pour mémoire, la bien-pensance occidentale attribuait ce meurtre à d’obscures manipulations du FSB…

Les sources seraient des membres des services de renseignement américains qui, comme d’habitude, ont souhaité rester anonymes, ce qui laissera immanquablement planer un climat de suspicion d’intoxication.
Selon ces sources, Washington n’avait pas été informé du projet de cette opération secrète et, si cela avait été le cas, la Maison-Blanche s’y serait opposé fermement craignant des dérapages ultérieurs.
Mais elles ne savent toujours pas aujourd’hui qui a donné l’ordre d’opération en Ukraine mais il est peu probable que le président Volodymyr Zelensky n’en n’ait pas été informé – si ce n’est pas lui qui l’a autorisé -.
Il est possible que les responsables ukrainiens qui ont démenti que Kiev était derrière cette action (le secrétaire du Conseil de sécurité nationale Oleksii Danylov, et le conseiller du président Zelensky, Mykhailo Podolyak) l’ont fait de bonne foi, cloisonnement oblige. Dans le métier de l’espionnage, on appelle cela le « besoin d’en connaître ». On ne retrouvera d’ailleurs jamais la trace d’un moindre ordre donné par la présidence ukrainienne ou tout autre autorité. Ces affaires se traitent oralement et avec touts les précautions de discrétion nécessaires.

L’enquête russe avait pointé une femme ukrainienne qui avait loué un appartement dans l’immeuble où résidait Daria Dougine et qui a quitté la Russie après l’attentat via la région de Pskov pour rejoindre l’Estonie.

Le FSB avait désigné Natalia Vovk comme la possible meurtrière de Daria Dougine mais plusieurs choses paraissent bizarres. Elle a séjourné en Russie en compagnie de sa fille âgée de douze ans. En dehors du fait qu’il est pour le moins « osé » d’impliquer une mineure dans une opération de ce type (mais tout est possible dans le domaine de la guerre secrète, en particulier pour assurer une couverture crédible), il semble que c’est alors bien Daria qui était visée et non pas son père. Or, l’importance tactique et stratégique de cette jeune femme semblait bien mince à moins d’avoir voulu toucher son géniteur en s’attaquant à elle. Il est très peu probable que, si Natalia Vovk faisait vraiment partie du complot, ce soit elle qui ait positionné la charge. Par contre, il est possible qu’elle ait servi à surveiller les allers et venues de Daria Dougine.

Alexander Dougine n’était pas un « proche » de Poutine tel qu’il a été présenté par la presse occidentale mais un « soutien intellectuel» du président russe.
Pour mémoire, Washington avait sanctionné le père et la fille après l’invasion de l’Ukraine en février 2022 pour « propagande destinée à déstabiliser l’Ukraine ».

Jusqu’au 20 août 2022, les actions clandestines ukrainiennes menées en territoire russe (Crimée y compris) ne visaient que des dépôts militaires ou des installations pétrochimiques. Des opérations « homo » ont bien eu lieu dans des territoires ukrainiens conquis par la Russie mais aucune n’avait été lancée profondément à l’intérieur de la Russie. Il est possible que la guerre qui se tient en Ukraine se prolonge par des opérations secrètes à l’image du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 & 2 (2). Elles présentent l’avantage de ne pas avoir de « signature » et ne peuvent donc être considérée comme une « escalade ».

Enfin, dernière question et pas des moindres, pourquoi les services américains ont laissé fuiter cette information ? Il est possible que ce soit un geste politique signifiant le « mécontentement » de Washington vis-à-vis de Kiev pour des affaires dont le public « n’a pas à en connaître »…

1. Voir : « Russie : assassinat de la fille d’un proche de Poutine » du 22 août 2022.
2. Voir : « Destruction des gazoducs nord Stream 1&2 » du 30 septembre 2022.

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Texte

Alain Rodier

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