La situation politique se dégrade rapidement en Irak qui devient, de fait, ingouvernable. Ainsi, le 27 juillet à Bagdad, des fidèles du leader chiite Moqtada Sadr ont investi durant deux heures le « Conseil des représentants » (le parlement) situé en pleine zone verte qui abrite les institutions gouvernementales et les représentations diplomatiques étrangères.

Leur objectif était de s’opposer à la candidature au poste de Premier ministre de Mohamed Chia al-Soudani, ancien ministre et ex-gouverneur de province présenté par le « Cadre de coordination », une alliance de factions chiites pro-Téhéran. Elle regroupe la « Coalition de l’État de droit » emmenée par l’ancien Premier ministre, Nouri al-Maliki, et les représentants des « Unités de mobilisation populaire » (Hachd al-Chaabi) qui sont théoriquement intégrées aux forces régulières. Ce vœu exprimé par leur fondateur, l’Ayatollah Ali al-Sistani, la plus haute autorité chiite en Irak, est resté lettre morte dans les faits.

L’impasse politique est totale en Irak depuis les dernières élections législatives du 10 octobre 2021.
Si le poste de président du Conseil des représentants a bien été attribué au Sunnite Mohammed Rikan Hadid al-Halbousi (Parti du Progrès qui prône l’établissement d’un État laïc), l’élection d’un nouveau Premier ministre – traditionnellement chiite – qui doit être précédée par celle du Président de la République – qui doit être un Kurde – ne parvient pas à déboucher.
Pour la présidence (poste honorifique), les deux grands partis du Kurdistan (Parti démocratique du Kurdistan – PDK – du clan Barzani et l’Union patriotique du Kurdistan – UPK – du clan Talabani) ne parviennent pas à s’entendre pour proposer un candidat commun… Le PDK refuse de reconduire Barham Saleh qui avait été nommé à ce poste en 2018 lors de la mandature précédente. Il propose Hoyhyar Zebari avec le soutien des Sadristes et le Parti du progrès ce que l’UPK refuse totalement.

En juin, Moktada al-Sadr a fait démissionner ses 73 députés qui représentaient la première force au sein du Parlement de 329 députés. Mais parti par la porte, il revient par la fenêtre, méthode qui lui est coutumière.

Deux heures après avoir pris le Parlement, les centaines de ses fidèles l’ont évacué en scandant : « nous obéissons au Sayyed » en faisant référence au titre de « descendant du prophète » dont jouit al-Sadr (d’où son turban noir).
Il venait de leur dicter ses instructions sur Twitter : « votre message a été entendu (…) vous avez terrorisé les corrompus », appelant les manifestant à faire une prière « avant de rentrer chez vous sain et sauf ».
Al-Sadr continue à bénéficier d’une importante assise populaire en Irak. Ainsi, à la mi-juillet, il avait déjà mobilisé des centaines de milliers d’Irakiens pour une prière collective du vendredi à Bagdad.

Le « Cadre de coordination » furieux de cette occupation a accusé le gouvernement intérimaire de complaisance vis-à-vis des manifestants, réclamant des « mesures fermes pour maintenir la sécurité et l’ordre, et empêcher le chaos ».
Le Premier ministre sortant, Moustafa al-Kazimi, avait appelé les manifestants à « se retirer immédiatement » de la zone verte, avertissant que les forces de l’ordre veilleraient « à la protection des institutions étatiques et des missions étrangères ».

Pour résumer (et simplifier) la situation, il convient de constater qu’il y a aujourd’hui un rejet au sein des populations irakiennes de l’influence de l’Iran, et même chez les Chiites qui se réclament d’Al-Sadr. Il a très bien su identifier ce retour au sentiment nationaliste qui est vraisemblablement majoritaire. Par contre, les tenants d’une alliance étroite avec Téhéran restent l’UPK (Kurdes), le « Cadre de coordination » de Maliki et les « Unités de mobilisation populaire » qui ne veulent pas céder leurs prérogatives gagnée lors de la guerre menée contre Daech avec l’appui de la force Al-Qods des pasdarans iraniens.
Cette incapacité à gouverner est très inquiétante au moment où les jihadistes de l’État Islamique renaissent de leurs cendres en Irak et en Syrie.

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Texte

Alain Rodier

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