L’invasion russe de l’Ukraine se poursuit mais maintenant très lentement. Il semble que l’état-major russe procède à des réorganisations et des réapprovisionnements pour relever les forces de première ligne d’autant que les pertes ont été sévères. Cela dit, les Russes sont plus capables d’encaisser des pertes que les Occidentaux. C’est au prix de 26.000 morts qu’ils ont plié bagages d’Afghanistan pour une guerre qui a duré dix ans de 1979 à 1989 (auxquels il convient d’ajouter 16.000 Afghans).

Ce sont des chiffes à comparer aux morts américains en Afghanistan vingt ans de 2001 à 2021 qui se montent à environ 2.500 morts (auxquels il faut ajouter 45.000 Afghans et un millier de soldats alliés sans parler des contractors). Il faut reconnaître que les Américains sont restés tétanisés par les expériences de la guerre de Corée qui a fait environ 36.000 tués en trois ans (1950-1953) puis par celle du Vietnam qui a causé la mort de 65.000 GI en vingt ans (1955-1975). Ces véritables traumatismes expliquent en grande partie la manière dont les autorités américaines abordent les opérations militaires depuis les années 1980 (la fameuse théorie des guerres « zéro mort »).

En aucun cas, le locataire de la Maison-Blanche ne peut se permettre d’engager inconsidérément la vie de ses militaires – et encore la sécurité du territoire américain -. Appliqué à l’Ukraine, il est évident que le président Joe Biden cherche à éviter une confrontation armée directe contre les Russes.

C’est dans ce cadre qu’il a refusé d’établir une zone d’interdiction aérienne au dessus de l’Ukraine puis l’offre de la Pologne de livrer ses 28 MiG-29 sur la base de Ramstein pour que Washington les rétrocède à l’Ukraine(1). Comme le président Poutine reste imprévisible(2), le seuil d’un déclenchement d’un conflit direct s’est considérablement abaissé. Les deux mesures évoquées représentaient un risque trop élevé pour les États-Unis.

Il ne faut pas douter que le président Vladimir Poutine le sait parfaitement et, en conséquence, il devrait continuer sa guerre d’invasion jusqu’à ce que ses objectifs soient atteints(3).
Si l’on parle beaucoup des encerclements en cours de Kiev, Karkhiv et Marioupol, il est moins question d’Odessa, port stratégique situé à 300 kilomètres à l’ouest de la péninsule de Crimée. Il est vrai qu’il n’a pas encore été touché par les combats mais les forces russes (des éléments de la 7è division d’assaut par air de la Garde [4] et trois groupes tactiques de la 20è division de fusiliers motorisés de la Garde) sont arrivées aux abords de Mikolaiv situé à 120 kilomètres à l’est de la ville alors que des navires de guerre russes sont positionnés en limite des eaux territoriales.

Pour l’Ukraine, la perte d’Odessa serait une perte stratégique immense. Cela signifierait qu’elle n’aurait plus accès à la mer Noire et perdrait ainsi ses possibilités de commerce maritime et d’avoir encore une flotte de guerre (ce qui est déjà le cas).
Pour la Russie, cela changerait complètement la donne en mer Noire vis-à-vis des pays riverains, en particulier avec la Turquie.

Le président Zelensky a démis cette semaine le gouverneur de la province d’Odessa, Serhiy Hrynevetsky, au profit du colonel Maksym Marchenko, un ancien commandant du 24è bataillon d’assaut « Aidar » controversé qui combat dans le Donbass depuis 2014.
Les Ukrainiens ont établi des positions défensives autour et dans la ville. Le port est fermé à toute navigation et le couvre-feu est établi.
La municipalité espère que l’importance historique et architecturale de la ville empêchera qu’elle ne soit détruite.
La ville est peuplée de un million d’habitants à 62% d’Ukrainiens. Elle accueille aussi d’autres nationalités dont des Russes à 29%. D’ailleurs, en mai 2014, des affrontements entre partisans de Kiev et des pro-Russes avaient fait de nombreuses victimes dont une quarantaine de Russes brûlés dans l’incendie de la maison des Syndicats (2 mai 2014).

La capture d’Odessa permettrait aussi à la Russie d’établir un corridor vers la Transnistrie qui s’est séparé de la Moldavie dès l’effondrement de l’URSS en 1991. Cette région accueille depuis 1992 quelques 1.500 militaires russes présentés comme des forces d’interposition entre Chişinău (la capitale de la Moldavie) et les séparatistes. Pour le moment, Moscou ne reconnaît pas la « République moldave du Dniestr » (à l’image de l’ONU) mais cela pourrait changer dans l’avenir.
Sur le plan militaire, il n’est pas impossible que les Russes poussent jusqu’à la Transnistrie et contournant Odessa par le Nord. Le port se retrouverait alors assiégé à son tour. Mais pour cela, il conviendrait de considérablement renforcer les troupes au sol sur zone car elles ont en face d’elle la 17è brigade blindée, la 57è brigade d’infanterie et deux brigades non identifiées avec certitude.
La Moldavie qui n’est pas membre de l’OTAN et qui craint pour son intégrité territoriale a demandé en urgence son adhésion à l’Union européenne.

1. Voir : « Ukraine : pourquoi une zone d’exclusion aérienne est impossible à mettre en œuvre » du 9 mars 2022. Le secrétaire d’État Antony Blinken avait annoncé le 6 mars que son pays cherchait à trouver un accord avec la Pologne pour doter l’Ukraine d’avions de chasse. Il semble qu’il ait été désavoué par la Maison-Blanche.
2. L’invasion de l’Ukraine a totalement surpris l’état-major français ainsi que de nombreux observateurs dont l’auteur. Cela résulte d’une mauvaise analyse de la personnalité de Poutine.
3. Désarmement de l’Ukraine, neutralité garantissant qu’elle ne rejoindra pas l’OTAN, reconnaissance de la perte de la Crimée et des provinces séparatistes du Donbass… Poutine affirme aujourd’hui qu’il ne souhaite pas faire chuter le gouvernement à Kiev.
4. Dont la chef, le major-général Andreï Soukhovetsky, aurait été abattu par un sniper ukrainien le 28 février 2022 sur le front Sud.

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Texte

Alain Rodier

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