Selon l’organe de presse qatari Al Jazeera, les Émirats Arabes Unis ont ouvert un pont aérien en direction de l'Éthiopie pour apporter une aide militaire au gouvernement dans sa guerre dans la région du Tigré située au nord du pays.

Ainsi, entre septembre et novembre, il y aurait eu plus de 90 vols entre les deux pays. Deux compagnie privées de fret aériens ont été mises à contribution : une espagnole et avec 54 vols une ukrainienne avec 34 vols.

Des photos satellite montrent un appareil en provenance de la base militaire de Sweihan aux EAU sur la base de Harar Meda situé au sud d’Addis-Abeba. Il semble que les bases aériennes de Semera et Aksum situées au nord ne sont plus actives du fait de la progression des Tigréens qui ne seraient plus qu’à deux cents kilomètres de la capitale. Même le Premier ministre Abiy Ahmed a annoncé le 24 novembre qu’il se rendait sur le front pour diriger la bataille.

Petit détail, pour la première fois un drone chinois Wing Loong a été détecté en Éthiopie.

Après des mois de tensions, le Premier ministre Abiy avait envoyé des troupes au Tigré en novembre 2020 pour éradiquer le parti politique qui gouverne la région ( Tigray People’s Liberation Front, TPLF). Pour mémoire, ce parti a dominé le gouvernement éthiopien pendant presque trente ans jusqu’à ce qu’Abiy prenne le pouvoir en 2018.

Le Premier ministre (et prix Nobel de la Paix 2019) assurait que la victoire serait rapide. Ses forces se sont emparées de la capitale du Tigré, Mekele en novembre 2020 mais en juin, les Tigréens ont repris la région et ont poussé vers celles voisines de Amhara et Afar.

Cette guerre civile qui dure depuis un an a tué des dizaines de milliers de personnes et en déplacé au moins deux millions d’autres laissant une région ravagée par la famine.

À remarquer que l’Éthiopie a conclu un accord de coopération militaire en août 2021 avec la Turquie car elle souhaite acquérir des drones qui ont été si efficace dans la guerre arméno-azérie et en Libye. Si bien qu’il est possible que l’on retrouve des conseillers émiratis aux côtés d’homologues turcs voire chinois…

Et pendant ce temps là, en Turquie

Le président turc Président Recep Tayyip Erdoğan a reçu fastueusement à Ankara le prince royal d’Abou Dhabi et homme fort des EAU, le Cheikh Mohammed bin Zayed al Nahyan (MBZ) mettant fin à une brouille de plus de dix ans (la dernière visite de ce niveau date de 2012) qui a mis face à face les deux pays lors de conflits au Proche-Orient (en Syrie et en Irak) et dans la Corne de l’Afrique sans parler de la Libye et dans les medias. En outre, Erdoğan avait accusé les EAU d’être derrière la tentative de Putsch de 2016.

Mais aujourd’hui, tout va mieux. MBZ aurait apporté une série de propositions d’investissements d’un montant de 10 milliards de dollars, ce qui ne peut qu’être bien accueillie en Turquie qui traverse une crise économique sévère. Cela pourrait faire aussi remonter le président Erdoğan en chute dans les sondages. Des accords séparés dans les domaines du commerce, de l’énergie et de l’environnement devraient aussi être signés entre la bourse d’Abou Dabi (Abu Dabi Securities Exchange) et celle de Borsa Istanbul.

Le Ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu devrait se rendre à Abou Dabi en décembre pour préparer une visite officielle du président Erdoğan.
En échange, les EAU pourraient servir d’intermédiaire entre Ankara et le régime de Bachar el-Assad. Le ministre des AE des EAU, le cheikh Abdullah bin Zayed a rencontré le président Assad à Damas le 9 novembre de cette année. Parallèlement, le Caire tente de ramener la Syrie au sein de la Ligue arabe.

Anecdote, il est aussi question de l’extradition de l’ex-mafieux turc, le « Baba » Cedat Peker réfugié aux EAU qui délivre au compte-gouttes des informations sur les liens qui unissaient le crime organisé tuc et les pouvoirs politiques dont celui d’ Erdoğan.

Ces mouvements politiques doivent s’inscrire dans une redéfinition de l’influence des différents intervenants.

Depuis que Washington s’est désintéressé de la situation au Proche-Orient (en dehors de la sauvegarde d’Israël en particulier contre l’Iran) au profit de celle prévalant en Extrême-Orient, zone jugée vitale pour ses intérêts géostratégiques, les pays de la zone sont comme « orphelins » et doivent désormais de débrouiller sans le grand frère américain.

Les Frères musulmans sont en perte d’influence manifeste depuis la fin des printemps arabes et, même le président Erdoğan qui, au minimum, leur était très proche, ne semble plus les soutenir avec autant d’enthousiasme. Cela lui a permis de renouer avec les EAU qui considèrent la confrérie comme un mouvement terroriste.

Cela devrait à terme permettre à Ankara de se rapprocher du Caire.
Enfin, les EAU jouent désormais un jeu qui n’est plus aligné sur celui de l’Arabie saoudite, en particulier au Yémen ou ils soutiennent les séparatistes sudistes. Il n’en reste pas moins que leur adversaire politique est toujours le Qatar (dernière place forte des Frères musulmans).

Mais il reste une séparation évident : les pays marqués par le chiisme avec en tête l’Iran, et les autres. L’idée d’une confrontation armée directe contre Téhéran s’estompe peu à peu au profit d’un « grignotage » de son influence en Syrie, au Liban avant de voir ce qu’il est possible de faire en Irak. Sur ce point de vue, les EAU, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Égypte et Israël sont sur la même longueur d’ondes ce qui peut permettre de comprendre quelles vont être les orientations politiques futures des uns et des autres.

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