Au moment où les grandes puissances, Chine, Russie, États-Unis testent à grand renfort de publicité des armes dignes de la Guerre des étoiles (dernières en date, les missiles hypersoniques), l’Inde a procédé au lancement d’un missile stratégique « classique » pouvant couvrir l’ensemble des territoires de ses adversaires potentiels immédiats : le Pakistan et la Chine.

L’Inde s’est félicitée du test du 20 octobre de son missile stratégique Agni-5 (« feu » en sanskrit) dont la présentation publique avait eu lieu en 2013. Sept autres essais avaient déjà  eu lieu les 19 avril 2012, 15 septembre 2013, 31 janvier 2015, 26 décembre 2016, 16 janvier 2018, 3 juin 2018 et 10 décembre 2018. Ce dernier a été réalisé sous la responsabilité de l’Autorité de commandement nucléaire qui dirige les forces stratégiques indiennes.

Selon les déclarations officielles, ce missile capable d’emporter une tête nucléaire à charges multiples peut frapper avec une grande précision des cibles situées jusqu’à une distance de 5.000 kilomètres.

Trois étages de carburant solide sont mis en œuvre ce qui implique que son temps de lancement peut être très court n’ayant pas à remplir les réservoirs.

Le dernier tir a eu lieu depuis l’installation d’essai de missiles installée sur l’île du Dr. Abdul Kalam (anciennement île Wheeler) située au large de Odisha à quelques 150 kilomètres à l’est de la capitale de l’État Bhubaneswar. Le missile a atteint sa cible dans la Baie du Bengale « avec une très grande précision ».

En fait, cette arme est considérée comme un missile balistique à portée intermédiaire (IRBM, intermédiaire range ballistic missile) car son porté est inférieure à 6.400 kilomètres. Seuls la Chine, la Russie, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni sont dotés de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM, inter continental ballistic missile). Toutefois, des sources gouvernementales indiennes laissent entendre que sa portée pourrait en fait atteindre les 8.000 kilomètres ce qui en ferait un ICBM.

New Delhi a déclaré que ce tir réussi était dans la droite ligne de « la politique indienne de posséder une capacité de dissuasion minimale crédible qui implique l’obligation de ne pas procéder à une première frappe ». À noter que les cas d’engagement de la force nucléaire indienne sont définis pour répondre à une attaque atomique, chimique ou biologique.

Surtout, ce lancement intervient au moment d’une tension internationale de plus en plus exacerbée et pour l’Inde, après de graves incidents survenus sur la frontière de l’Himalaya avec la Chine voisine en 2020 (20 soldats indiens avaient été tués en juin 2020).

Enfin, il faut se rappeler que l’Inde est partie prenante dans le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quadrilateral Security Dialogue, Quad), une coopération informelle entretenue avec les États-Unis, l’Australie et le Japon depuis les années 2000. Ce « Quad » comprend des rencontres diplomatiques régulières mais aussi des exercices militaires communs. Cette coopération est considérée comme une réaction contre la puissance grandissante de la Chine. Il est possible qu’il joue un rôle plus important dans l’avenir parallèlement à l’AUKUS, l’alliance dévoilée le 15 septembre 2021 entre l’Australie, le Royaume Uni et les États-Unis.

New Delhi semble avoir voulu rappeler aux décideurs politiques mondiaux qu’ils ne pouvaient pas faire n’importe quoi avec des pays dotés d’armes nucléaires. Ce n’est pas l’apparition d’« armes nouvelles », planeurs, torpilles ou missiles hypersoniques compris qui changeront le fait que les pays équipés d’armes nucléaires fiables pourront répondre – majoritairement en « deuxième frappe » – à une action offensive considérée par eux comme ayant atteint leurs intérêts vitaux.

Il convient, comme d’habitude, de se retourner vers l’Histoire pour tenter de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui. L’idée du général de Gaulle était de pouvoir infliger à un agresseur éventuel, même beaucoup plus puissant [à l’époque, le Pacte de Varsovie emmené par les Russes], des dommages largement supérieurs à l’avantage que cet ennemi pouvait retirer d’une atteinte aux intérêts vitaux de la France. Pour lui, c’était cela la dissuasion. En 1961, il imageait parfaitement ce concept en disant : « dans dix ans, nous aurons de quoi tuer 80 millions de Russes. Eh bien je crois qu’on n’attaque pas volontiers des gens qui ont de quoi tuer 80 millions de Russes, même si on a soi-même [les Russes] de quoi tuer 800 millions de Français, à supposer qu’il y eût 800 millions de Français ».

Malgré toutes les déclarations martiales lancées par les grandes puissances, leurs dirigeants ont conscience qu’il ne faut pas dépasse un seuil critique qui mettrait en danger leurs populations. Mais il peut avoir des exceptions comme la Corée du Nord ou même la Chine…

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Texte

Alain Rodier

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