Comme l’on pouvait s’y attendre, les taliban qui ont pris Kaboul à la fin août sont confrontés à de nombreux problèmes gravissimes. Si le plus important est de pouvoir subvenir aux besoins essentiels de la population de 38 millions d’âmes, ce qui sera impossible sans aides extérieures, la seconde est la sécurité.

Daech représenté localement par l’IS-K (État Islamique du Khorasan) est reparti à l’action car ce mouvement salafiste-jihadiste considère que les taliban sont des mécréants de l’islam tel qu’il le conçoit (1).

Pour l’instant, l’IS-K qui a été rudement ébranlé ces dernières années par l’OTAN, par les forces américaines et gouvernementales afghanes mais aussi – et peut-être surtout – par les rebelles taliban et leurs alliés d’Al-Qaida, il ne peut s’en prendre qu’à des cibles molles, c’est-à-dire aux populations civiles. Il vise tout particulièrement les Hazaras qui sont des chiites (aux yeux de Daech encore pires que les taliban car les chiites sont des « traîtres » – des « apostats – à l’islam).

Donc, la liste des attentats terroristes en Afghanistan s’allonge de jour en jour. Une semaine après s’en être pris à une mosquée chiite de Kunduz (46 morts et 143 blessés), c’est celle de Kandahar, la mosquée chiite Fatemieh également connue sous le nom d’Imam Bargah, qui a été ciblée le 15 octobre. Le bilan est également effroyable puisque l’on compte au moins 47 morts et 80 blessés.

Dans un communiqué publié sur les chaînes Telegram de l’organisation IS-K, cette dernière déclare que deux activistes, après avoir abattu les gardes situés à l’entrée, se sont séparés pour conduire deux attaques distinctes à l’intérieur de la mosquée : « le premier kamikaze a mis en oeuvre sa veste explosive […] dans un couloir de la mosquée tandis que le second s’est fait exploser au centre de la mosquée ». La photo publiée post-mortem (en tête de ce texte) est explicite. Les deux activistes désignés sous les pseudonymes de « Anas al Khorasani » et « Abou Ali al Baluchi » sont qualifiés d’ « inghimasi »(2). Ils tiennent la posture habituelle des salafistes-jihadistes (3) et montrent une panoplie digne de Rambo : fusil d’assaut de type M-16 723 M-203 de calibre 5,56x45mm (lance-grenade de 40 mm) d’origine américaine pour l’un, Kalachnikov de calibre 7,62x39mm (une version raccourcie) pour l’autre. Les experts noteront les chargeurs approvisionnés en position « tête-bêche » comme chez les troupes commandos. Deux pistolets semi-automatiques Glock (posés au sol) et de nombreuses grenades à main viennent compléter l’arsenal sans parler du gilet d’explosif dont on distingue parfaitement les goupilles du système de mise à feu.

Suite à ce deuxième attentat, le porte-parole taliban du ministère de l’Intérieur, Qari Sayed Khosti, a déclaré : « Nous sommes attristés d’apprendre qu’une explosion a eu lieu dans une mosquée de la confrérie chiite […] de la ville de Kandahar, dans laquelle un certain nombre de nos compatriotes ont été tués et blessés […] des forces spéciales de l’Émirat islamique sont arrivées dans la zone pour déterminer la nature de l’incident et traduire les auteurs en justice ».

Mais les taliban s’en sont souvent également pris dans le passé aux chiites afghans, membres de la communauté hazara. Cette dernière qui représente entre 10 et 20% de la population afghane vit essentiellement au centre du pays. Selon Amnisty International, les Hazaras auraient fait l’objet de règlements de comptes lors de la prise de pouvoir par les talibans.

Aujourd’hui, les taliban se retrouvent dans la situation dans laquelle ils étaient lorsqu’ils ont dirigé le pays de 1996 à 2001. Experts en combat de guérilla, ils doivent assumer l’autre rôle, celui de la contre-guérilla et du contre-terrorisme. Cela ne va plus être eux qui vont avoir l’initiative mais leurs ennemis de l’IS-K qui va décider quand et où il veut frapper. Tactiquement, la position est nettement moins confortable.

1. Le retour à l’« islam des origines » avec l’application stricte de la charia s’appuyant sur les textes sacrés.
2. La nuance est subtile car le suicide étant interdit par l’islam, ce ne sont donc pas vraiment des « kamikazes » mais des combattants d’élite qui partent au combat sans esprit de retour. Ils ne se font exploser qu’après avoir utilisé tous les moyens mis à leur disposition (armes à feu, grenades, etc.).
3. Le doigt levé tout en récitant la chahada « J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et j’atteste que Mahomet est le Messager de Dieu ». Chez les chiites, « Ali » est rajouté à la grande fureur des salafistes : « J’atteste qu’il n’y a pas de divinité sauf Dieu, et que Mahomet est son Envoyé. Ali est son wali [vicaire] ».

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Texte

Alain Rodier

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