Les relations entre Paris et Moscou sont toujours très tendues. Le dernier scandale a porté sur des discussions entamées par la junte au pouvoir à Bamako avec la Société militaire privée (SMP) russe, le Wagner Group (1). Le contrat proposé permettrait à un petit millier de « coopérants » d’instruire les forces de sécurité maliennes et d’assurer la protection de hautes personnalités (ce qui démontre la confiance que ces responsables ont dans leurs concitoyens, même s’ils sont membres des forces de sécurité).

Le contrat porterait sur six milliards de francs CFA (11 millions de dollars) par mois. Les autorités maliennes n’ont pas nié ces négociations d’autant que le nouveau ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, s’est rendu en visite officielle en Russie où il a assisté à des manœuvres militaires le 4 septembre. Il a déclaré par ailleurs : « le Mali entend désormais diversifier et à moyen terme ses relations pour assurer la sécurité du pays. Nous n’avons rien signé avec Wagner, mais nous discutons avec tout le monde ».

Les autorités françaises se sont ouvertement inquiétées de ces faits. Le 14 septembre, le chef de la diplomatie française a affirmé devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale qu’une implication de la SMP russe au Mali serait « absolument inconciliable avec notre présence […] incompatible avec l’action des partenaires sahéliens et internationaux du Mali ». Il a poursuivi en affirmant que les paramilitaires de Wagner « se sont illustrés dans le passé singulièrement en Syrie, en Centrafrique avec des exactions, des prédations, des violations en tous genres (et) ne peuvent pas correspondre à une solution quelconque ».

La ministre de la défense, Florence Parly, n’a pas dit autre chose : « si les autorités maliennes devaient contractualiser avec la société Wagner, ce serait extrêmement préoccupant et contradictoire, incohérent [avec l’action de la France au Sahel] ». Elle rajoute : « les États-Unis arrêteraient tout […] certains pays européens (2) pourraient aussi décider de se désengager » alors que Paris s’est évertué à les convaincre de rejoindre le groupement de forces spéciales Takuba.

De plus, au moment où les forces militaires françaises viennent de neutraliser l’émir du Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Abou Walid al-Sahraoui(3), il serait mal venu pour Bamako de préférer s’acoquiner avec des mercenaires russes dont l’efficacité réelle est loin d’avoir été prouvée(4) que de se passer de la présence française même si elle est en diminution. Depuis la neutralisation d’Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), il était l’homme le plus recherché au Sahel par les Français et les Américains.

Le groupe Wagner, avec qui Moscou dément tout lien (son siège officiel est domicilié en Argentine), fournit des services de maintenance d’équipements militaires et de formation mais est il est également accusé de mercenariat. Il est suspecté appartenir à un homme d’affaires proche du Kremlin, Evguéni Prigojine, dit le « cuisinier de Poutine » qui nie en bloc(5). Dans cette affaire, le Kremlin via son porte-parole Dimitri Peskov, a affirmé que Moscou « ne négocie aucune présence militaire au Mali ».

La présence russe en Afrique

La Russie est déjà très présente en Afrique, utilisant les moyens légaux (diplomatiques et militaires) où « privés ». Les SMP russes sont à pied d’œuvre en Libye où environ 2.000 « conseillers » seraient présent du côté du maréchal Haftar, au Soudan (300 privés présents depuis 2017), au Mozambique (300 hommes depuis 2018), en République centre africaine (450 hommes depuis 2018, Moscou ayant obtenu l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies pour livrer des armes aux forces armées centrafricaines), en Guinée Conakry, en Guinée Bissau, au Ruanda, en Angola, au Botswana, au Zimbabwe, à Madagascar, au Royaume du Eswatini (ex-Zwaziland).
Cela dit, l’URSS avait, du temps de sa splendeur, également tenté de s’implanter durablement en Afrique avec des moyens beaucoup plus importants et des intermédiaires cubains théoriquement plus à même de s’adapter avec les locaux. En plus, ils amenaient avec eux l’idéologie de la lutte anti-colonialiste à l’époque très porteuse. Cela s’est terminé par des échecs retentissants, bien avant celui de l’Afghanistan.

1. Fondée par Dmitri Outkine, un ancien du GRU avec le financement de l’homme d’affaires Evguéni Prigojine.
2. Le 15 septembre, la ministre de la Défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, a confirmé la préoccupation de Berlin.
3. de son vrai nom Lehbib Ould Ali Ould Saïd Ould Joumani Adnane, ce Sahraoui ancien membre du Front Polisario avait rejoint les jihadistes au Mali puis le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Il avait prêté allégeance en 2015 à Daech en créant l’État Islamique au Grand Sahara très actif dans la région de Gao. Une prime de 5 millions de dollars pesait sur sa tête.
4. Le groupe Wagner a connu des échecs retentissants en Syrie face aux Américains et en Libye face aux Turcs. Ses pertes en vies humaines auraient été très importantes.
5. Evguéni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine qui aurait créé au début 2021 la « Fondation pour combattre l’injustice » (FBI en anglais). Son objectif de dénoncer les violences policières en Occident en général et en France en particulier… Si ces faits sont confirmés, cela relève de la politique d’influence menée par Moscou.

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Texte

Alain Rodier

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