Le 4 août, 26 militaires tchadiens ont été tués, 14 ont été blessés (dont huit gravement) et d’autres se sont éparpillés dans la nature lors d’une attaque de jihadistes dans la région troublée du lac Tchad. Malheureusement, le bilan pourrait être relevé à la hausse.
Les soldats revenant d’une patrouille prenaient du repos quand ils ont été attaqués par surprise par des jihadistes. Le général Azem Bermandoa Agouna, le porte-parole des forces armées tchadiennes, a confirmé que cette attaque avait eu lieu sur l’île de Tchoukou Telia située à 190 kilomètres au nord-ouest de N’Djamena. Le lac Tchad est une vaste région humide et marécageuse qui jouxte aussi le Niger et le Nigeria.
Historiquement, elle est utilisée par Boko Haram puis par la « Province de l’État Islamique pour Afrique de l’Ouest » (en anglais ISWAP) comme zone d’action prioritaire. Les forces tchadiennes paient le prix fort à la lutte acharnée qu’elles mènent contre les jihadistes ayant perdu des centaines de combattants ces deux dernières années (dont une centaine dans la même région en mars 2020).
N’Djamena a attribué cette dernière action à Boko Haram sachant que c’est sous cette étiquette que les Tchadiens classent tous les jihadistes de la région. En fait et jusqu’à la publication d’une revendication authentifiée, ce coup d’éclat est probablement l’œuvre de l’ISWAP. Depuis la mort non officiellement confirmée d’Abubakar Shekau, l’émir de Boko Haram le 19 mai de cette année (1), l’ISWAP qui serait à la base de son trépas, a étendu son influence du lac Tchad à la forêt de Sambisa (nord-est du Nigeria). Ce groupe est donc encore monté en puissance devenant une menace importante non seulement pour les forces tchadiennes mais aussi nigérianes, nigériennes et camerounaises.
Selon l’ONU, l’ISWAP serait forte de quelques 5.000 combattants (ce qui est peu significatif car leurs familles les accompagnent assurant un rôle logistique de première importance pour survivre dans la durée).
Plus globalement, les jihadistes qui se réclament de Daech sont de plus en plus actifs à la frontière du Tchad, du Nigeria, du Cameroun et du Niger. Ils ont l’avantage de la connaissance du terrain. Ils ont aussi multiplié ces dernières années les attaques contre les forces de sécurité et les civils dans l’extrême-nord du Cameroun.
Parallèlement, Daech s’est considérablement développé en Afrique centrale et en Afrique de l’Est. Ses terrains de chasse privilégiés sont le Puntland et Mogadiscio en Somalie. Des informations non recoupées pour l’instant font état de la présence au Puntland d’un bureau de coordination dit « maktab al-karrar » qui donnerait les grandes orientations aux différents émirs sur le terrain.
C’est ce bureau qui aurait demandé à la Province de l’État Islamique en Afrique Centrale (ISCAP) de passer à l’offensive au Mozambique (surtout dans la province de Cabo Delgado) et en République démocratique du Congo où une attaque ayant tué 18 militaires dans la province d’Ituri a été revendiquée le 6 août par ce groupe. Ces ramifications opérationnelles sont des informations à prendre avec précautions et force est de constater que chaque groupe sur le terrain bénéficie d’une grande liberté d’action même si des regroupements ponctuels en vue de mener des opérations conjointes sont parfois constatés.
Au Sahel, l’ISWAP est en contact avec l’« État islamique dans le Grand Sahara » (EIGS) sans qu’il n’y ait apparemment de lien de subordination et ailleurs avec l’ISCAP. Certains analystes craignent qu’à terme ces trois wilayats de Daech ne soient réunies sous l’autorité d’une structure centrale (le maktab al-karrar ?) ce qui devrait augmenter leur puissance.
De son côté, l’ONU a prévenu : « l’autonomie conférée par la structure centrale de Daech, le grand nombre de petites cellules opérationnelles et l’absence de mesures antiterroristes d’envergure ont transformé effectivement le groupe régional affilié à Daech en grave menace présentant le risque de se propager davantage, éventuellement vers les pays voisins ».
En résumé, pour l’ONU, cette expansion de Daech en Afrique est « alarmante […] elle montre que les synergies entre le terrorisme, la précarité et les conflits se sont renforcées et fait ressortir la nécessité d’une réponse mondiale urgente pour aider les pays d’Afrique et les organisations régionales ». Pour mémoire, Daech a deux autres implantations sur le continent africain : la Libye et l’Égypte (certes majoritairement au Sinaï qui n’est pas en Afrique).
Si Daech est en expansion constante en Afrique, il convient de ne pas sous-estimer le « Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans » (GSIM) qui a fait allégeance à Al-Qaida « canal historique » via sa branche algérienne « Al-Qaida au Maghreb Islamique » (AQMI).
AQMI a sa base historique en Kabylie. Cette organisation a essaimé à partir de 2011 plus à l’est, passant en Tunisie et en Libye.
Partout où il le peut, Daech tente de supplanter AQMI et le GSIM. Il fait appel aussi à des activistes d’autres mouvements séparatistes ou/et ethniques qui existaient depuis longtemps pour les enrôler sous sa bannière qui est aujourd’hui en odeur de victoire sur le continent africain.
Il convient de prendre garde que le continent africain (du moins le Nord) ne devienne pas dans l’avenir un nouvel Afghanistan…
Lire aussi : Nigeria : Mort probable d’Abubakar Shekau. article du 21 mai 2021
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