Abubakar Shekau, l’émir de Boko Haram (Jama’atu Alhis-Sunna Liddad’Awati Wal-Jihad, « Groupe sunnite pour la prédication et le jihad » - JAS -) serait mort le 19 mai après-midi après que des activistes de la wilayat (province) de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (en anglais, ISWAP) aient attaqué son bastion situé dans la région de la forêt de Sambisa dans le nord-est du Nigeria.

En réalité, c’est une ancienne faction de Boko Haram qui avait fait sécession en 2012 qui aurait lancé un raid dans cette région qu’elle connaît parfaitement. Selon le site HumAngle, un violent accrochage a causé des pertes dans les deux camps jusqu’à ce que la garde rapprochée du chef islamiste soit acculée.

Shekau aurait alors tenté de parlementer avec les attaquants. Ils lui auraient demandé d’abandonner toutes ses fonctions et d’ordonner aux autres groupes de Boko Haram éparpillés dans la zone de prêter allégeance à l’ISWAP. Shekau aurait refusé et aurait déclenché un gilet explosif caché sous ses vêtements au milieu des participants à aux palabres. Dans le désordre qui a suivi, plusieurs de ses hommes l’auraient évacué – vivant ou mort -.

C’est pour cette raison que son décès ne peut être confirmé de manière indépendante et il convient de se rappeler qu’il avait été annoncé mort à plusieurs reprises avant de renaître de ses cendres.

Shekau avait succédé en 2009 comme émir de Boko Haram à son créateur Mohammed Yousouf qui, arrêté, avait été assassiné par les forces de sécurité. Il s’est rapidement fait connaître pour son intransigeance idéologique (il considérait tous ceux qui n’étaient d’accord sa vision du jihad comme des takfirs, des « incroyants ») et tactique. Ainsi, au mépris des textes sacrés de l’islam qu’il prétendait appliquer, il autorisait les femmes et les jeunes filles à pratiquer des attentats-suicide.

Son intransigeance et sa cruauté avaient même poussé Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » de Daech, à lui retirer le « label » État Islamique et pourtant ce leader sanguinaire ne reculait pas devant les pires horreurs.

C’est ce qui avait poussé en 2012 une partie du mouvement à faire sécession sous la direction d’Abou Mousab al-Barnawi alias Habib Yousouf, un des fils de Mohammed Yousouf (le fondateur de Boko Haram cité plus avant). Cette dissidence avait pris le nom d’Ansaru avant d’être reconnue comme la branche officielle de Daech en Afrique de l’Ouest en 2016.

Cette victoire de l’ISWAP si elle est confirmée, va permettre à cette wilayat de Daech d’étendre son influence du Lac Tchad à la forêt de Sambisa qui est une région où il est aisé de se dissimuler, en particulier de la troisième dimension. Ce groupe va donc encore monter en puissance devenant une menace importante pour les forces de sécurité tchadiennes, nigérianes, nigériennes et camerounaises.

Ses activistes ont déjà démontré leur dangerosité en massacrant des dizaines de militaires et de policiers sans compter la terreur qu’ils inspirent aux populations civiles. L’ISWAP va couvrir une zone allant du Lac Tchad, en passant par Alagarno et les environs de Sambisa, de Maiduguri et Konduga. Enfin, elle serait de nouveau sous le commandement de Mousab al-Barnawi qui avait été écarté pendant des années sans que l’on sache la raison de cette disgrâce.

L’ISWAP serait en contact avec l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et la wilayat de l’État Islamique en Afrique centrale (ISCAP). Certains analystes craignent qu’à terme ces trois wilayats de Daech ne soient réunies sous l’autorité d’une structure centrale ce qui devrait augmenter leur puissance. Pour l’instant, seule la wilayat Somalie semble faire cavalier seul.

1. Voir article du 15 juillet 2020 : « Aboubakar Shekau reprend l’avantage sur Daech en Afrique ? ».

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Texte

Alain Rodier

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