Au moment où les taliban sont à l’offensive en Afghanistan profitant du retrait des forces américaines et alliées annoncé pour la fin août, ils se doivent de rassurer les grands acteurs internationaux.
C’est dans ce cadre qu’une délégation officielle emmené par le négociateur en chef des taliban, le mollah Abdul Ghani Baradar Akhund – qui a managé l’accord conclu avec les Américains (1) – a rencontré le 28 juillet dans la ville de Tianjin le ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi.
Ce dernier a déclaré que Pékin espérait que les taliban allaient « jouer un rôle important dans le processus de réconciliation et de reconstruction en Afghanistan ». Plus marquant encore, il a ajouté qu’il espérait que les taliban allaient « détruire le Mouvement islamique du Turkestan oriental (East Turkestan Islamic Movement – ETIM – ) qui représente une menace directe pour la sécurité nationale de la Chine ».
En effet, Pékin affirme que ce groupe est actif dans la région du Xinjiang à l’ouest du pays. L’ETIM qui est proche d’Al-Qaida a été créé en 1989 sous l’appellation de Turkistan Islamic Party (ETIP). Il est devenu l’ETIM en 1997. Il a combattu en Afghanistan aux côtés des taliban et du Mouvement islamique d’Ouzbekistan (MIO) dépendant aujourd’hui de Daech. Il est aussi présent en Syrie à travers sa « katibat turkistani » affiliée à Al-Qaida. Son émir actuel est Ibrahim Mansour, ses deux prédécesseurs ayant été tués en Syrie, l’un par les Américains, l’autre par les Russes en 2017.
Le porte-parole des taliban, Mohammed Naeem, a ensuite écrit sur Twitter que « les sujets politiques, économiques et sécuritaires concernant les deux pays et la situation actuelle en Afghanistan ainsi que le processus de paix avaient été abordés lors de ces rencontres […] la délégation a assuré que les taliban ne permettraient à personne d’utiliser le territoire afghan contre la Chine ».
De son côté, Pékin a « réitéré ses engagements à poursuivre son assistance aux Afghans sans interférer dans les affaires intérieures de l’Afghanistan, mais qu’elle aiderait à résoudre les problèmes et restaurer la paix dans le pays ». En résumé, comme à leur habitude ailleurs dans le monde, Pékin ne se mêle pas des affaires internes des autres États – quelque soient les régimes en place – mais est disposée à parler commerce et investissements sans imposer de conditions politiques préalables.
La frontière entre les deux pays ne fait que 76 kilomètres. Elle est située à très haute altitude et il n’existe aucun point de passage routier ou ferroviaire. Il n’empêche que la hantise des Chinois reste que l’Afghanistan devienne une base arrière pour des séparatistes ouighours menaçant le Xinjiang. À propos de cette cause, les taliban qui sont réalistes savent qu’ils ne peuvent ni envahir la Chine, ni déclencher une révolte séparatiste pour la défendre. Par contre, ils vont avoir besoin de l’économie chinoise pour faire tourner le pays. Leur choix est donc vite fait. Toutefois, il est vraisemblable qu’ils se refuseront à livrer des ouïghours réfugiés chez eux comme le font certains autres pays…
Pékin a accueilli l’annonce du retrait américain comme une bénédiction. Des liens étroits avec le pouvoir à Kaboul quelque qu’il sera, devrait être profitable au projet des « nouvelles routes de la soie » car l’Afghanistan est un point de passage privilégié vers les pays d’Asie centrale.
De son côté, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a fulminé lors de sa visite officielle en Inde qui a aussi eu lieu le 28 juillet. Il a déclaré « les taliban affirment qu’ils veulent une reconnaissance internationale et qu’il souhaitent un soutien international. En premier lieu, ils veulent que leurs leaders puissent voyager librement, que les sanctions soient levées, etc. […] prendre le pouvoir par la force et abuser des droits de son peuple n’est pas le bon chemin pour atteindre ces objectifs ». De son côté, le président afghan Ashraf Ghani a demandé à la communauté internationale de « revoir son opinion sur la volonté […] des taliban et de leurs alliés d’adopter une solution politique ». Il ne se fait aucune illusion. Kaboul sera pris par la force.
Pékin avait déjà accueilli une délégation de taliban en 2019 et conservait des relations avec eux via le Pakistan, en particulier à travers le parti communiste local. C’est désormais la grande différence avec les pays occidentaux qui mettent toujours en avant ce qu’ils nomment les « valeurs universelles » qui doivent obligatoirement être adoptées par leurs interlocuteurs, les autres pays savent mettre leur idéologie de côté pour coopérer dans le but d’obtenir des bénéfices (souvent commerciaux et parfois sécuritaires) pour les différentes parties.
Depuis longtemps, les taliban qui sont persuadés qu’ils vont reprendre le pouvoir à Kaboul tentent effectivement d’obtenir une reconnaissance internationale qui leur sera nécessaire. Ils bénéficient depuis 2013 d’une représentation officielle au Qatar qui leur a permis de nouer de nombreux contacts. Cet été, ils ont aussi envoyé une délégation en Iran qui est un acteur incontournable, au moins pour ce qui se passe dans les provinces occidentales du pays. Ils sont également disposés à créer des alliances – sur le papier improbables -. Il est intéressant de voir que le légendaire commandant Massoud, le « lion du Panshir », avait été pris en photo en 1993 avec à ses côtés un jeune officier des pasdaran plein d’avenir, le futur major général Qassem Soleimani (qui prendra la direction de la force Al-Qods en 1997-98.
1. En 2010, alors qu’il est le numéro deux des taliban, il est arrêté à Karachi par l’ISI (Inter-Services Intelligence), le services secrets pakistanais. Il est volontairement libéré en 2018 afin de commencer des négociations avec les Américains.
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