Tous les observateurs attendaient sans se faire trop d’illusions quelles seraient les orientations de la nouvelle administration américaine en matière de politique étrangère.

Pour faire court, tout en adoptant des déclarations plus policées dans la forme (plus de tweets vengeurs), elle est encore plus agressive que celle de Donald Trump. À n’en pas douter, ce sont les neoconservateurs américains qui sont à la manœuvre, Joe Biden étant chargé de mettre en œuvre leur politique.

Interrogé par un journaliste le 17 mars, Joe Biden a promis à Vladimir Poutine de lui faire payer « le prix » de ses agissements (sous-entendues les interventions russes dans les élections présidentielles US de 2016 et 2020) estimant au passage qu’il était un « tueur » et qu’il n’a « pas d’âme », propos étrange dans la bouche d’un catholique pratiquant…
Sans mettre dos à dos les deux hommes, Dion Jack, journaliste à Marianne, souligne que cette accusation (de « tueur ») a été « formulée par un homme qui fut un soutien enthousiaste de la guerre d’Irak, cette ballade humanitaire qui n’a fait aucune victime et qui a laissé un pays pacifié pour l’éternité ». Mais sur le fond, elle n’est pas si étonnante que cela pour un homme qui a connu la Guerre froide et qui, psychologiquement, en a gardé un très mauvais souvenir.

Le président de la chambre basse du Parlement russe, Viatcheslav Volodine, a réagi dans ces termes : « Poutine est notre président et une attaque contre lui, c’est une attaque contre notre pays […] avec ses déclarations, Biden a insulté les citoyens de notre pays ».

De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souligné que : « jamais dans l’histoire des relations russo-américaines n’ont été prononcés des propos tels que ceux du 46e Président américain ».

Le Kremlin en déduit que le Président Biden n’a aucune intention d’améliorer les relations avec la Russie. Vladimir Poutine en tire la conclusion : « nous défendrons nos propres intérêts et nous travaillerons avec eux [les Américains] aux conditions qui seront avantageuses pour nous ».

D’autre part, il a fait rappeler l’ambassadeur russe en poste à Washington pour consultation « sur les moyens de corriger la relation russo-américaine ».
Enfin Poutine a proposé au président Biden « de poursuivre notre discussion mais à condition que nous le fassions en direct […] Je pense que cela serait intéressant pour les peuples russe et américain, ainsi que pour de nombreux autres pays ».

La porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a rappelé que Biden avait déjà eu une conversation avec Poutine, et qu’il y avait d’autres dirigeants mondiaux avec lesquels il devait également s’entretenir. Il est peu probable que le président Biden ne se lance dans ce qui pourrait être considéré comme un duel (verbal).

Washington et Pékin ont étalé le 18 mars à Anchorage en Alaska des désaccords profonds lors d’un premier face-à-face de l’ère Biden. Ce séminaire de trois sessions qui se termine le 19 mars a été fait à l’invitation de Washington. Le ton donné par les discours d’ouverture a confirmé la mésentente qui sépare les deux grandes puissances.
Une autre rencontre avait eu lieu en juin (sous l’ère Trump) et n’avait déjà pas dissipé le climat de nouvelle Guerre froide qui régnait à l’époque. Joe Biden a là repris à son compte la fermeté de son prédécesseur.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a ouvert les hostilités face à ses interlocuteurs : « nous allons discuter de nos profondes inquiétudes au sujet des actes de la Chine s’agissant du Xinjiang » où Washington accuse Pékin de « génocide » contre les musulmans ouïghours, « de Hong Kong, de Taiwan, des cyberattaques contre les États-Unis et de la coercition économique contre nos alliés […] chacun de ces actes menace l’ordre fondé sur des règles qui garantit la stabilité mondiale, c’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de questions intérieures ».

Le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie, Yang Jiechi, a répondu vertement : « La Chine est fermement opposée aux ingérences américaines dans les affaires intérieures de la Chine […] et nous prendrons des mesures fermes en réponse [aux sanctions] ».

À ses côtés, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a dénoncé les dernières sanctions américaines annoncées à la veille de cette réunion contre la reprise en main de Hong Kong par Pékin et il a fulminé : « ce n’est pas comme cela que l’on accueille ses invités ».

L’équipe Biden qui reprochait à l’administration Trump son isolement sur la scène mondiale et une diplomatie à la fois véhémente et brouillonne, assure vouloir être plus méthodique pour « coopérer » face aux défis communs que sont le réchauffement climatique, la pandémie ou la non-prolifération nucléaire. Elle veut surtout remporter la compétition stratégique avec la Chine érigée en « plus grand défi géopolitique du XXIe siècle ».

Toutefois, le conseiller de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, Jake Sullivan, a assuré que les États-Unis ne souhaitaient pas un « conflit » avec la Chine mais étaient « ouverts à une compétition rude ».
Yang Jiechi a lui appelé à « abandonner la mentalité de Guerre froide », affirmant aussi ne vouloir « ni confrontation, ni conflit ». Mais il a très longuement reproché aux États-Unis de vouloir « imposer leur propre démocratie dans le reste du monde ».
Antony Blinken a répliqué : « ce que j’entends [en Corée du Sud et au Japon où il venait d’effectuer une visite] est très différent de ce que vous décrivez […] J’entends une profonde satisfaction sur le retour des États-Unis auprès de nos alliés et partenaires, mais j’entends aussi de profondes inquiétudes au sujet de certaines actions de votre gouvernement ».

Il convient de rappeler qu’au premier rang des pays qui attire la ire de Joe Biden se trouve l’Iran et qu’il va sans doute saboter ce que Trump avait tenté de faire en Afghanistan.
À n’en pas douter, Biden est en train de faire ce qu’il avait annoncé : que les États-Unis redeviennent le leader du Monde libre en poussant (le mot est faible) ses membres à prendre leurs responsabilités (sinon, attention aux sanctions…). Mais cette montée des tensions a un prix : elle coupe le monde en deux (le « Monde libre » et les « autres »(1)) et il sera difficile d’éviter des incidents qui peuvent dégénérer dans les proportions inconnues.

1. Parfois, il est difficile de savoir dans quel camp se trouve tel ou tel pays : le Pakistan, l’Arabie saoudite, l’Égypte, etc.

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Texte

Alain Rodier

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