Depuis les années 1990, la Turquie a développé une technologie des drones qui aujourd’hui lui donne l’avantage sur de nombreux théâtres d’opérations. Au départ, Ankara qui entretenait des liens étroits avec l’État hébreu, a bénéficié de sa coopération pour l’aider à développer des drones dont la mission consistait à surveiller les frontières syrienne et irakienne de manière à détecter des infiltrations du mouvement marxiste-léniniste séparatiste kurde PKK qui y avait ses bases arrières.

Les relations avec Israël se sont détériorées après l’arrivée du parti islamique AKP au pouvoir en 2002 et surtout en raison de la volonté de Recep Tayyip Erdoğan (Premier ministre puis président de la République turque) de vouloir défendre la cause palestinienne. Par là, il espérait se forger une place du leader du monde islamique, car il y avait longtemps que les Palestiniens n’intéressaient plus personne en dehors de l’Iran, comme par hasard, grand concurrent de la Turquie sur le plan géostratégique au Proche et Moyen-Orient (mais c’est une autre histoire).

Il n’empêche que profitant de la technologie qui avait été apportée par Israël, l’industrie d’armement turc en a profité pour poursuivre un développement national de drones de reconnaissance puis armés. Ces derniers sont devenus de plus en plus sophistiqués, mais présentant un rapport coût/efficacité très raisonnable.

Le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011 avec l’implication progressive de la Turquie aux côtés des rebelles a permis de tester en grandeur nature ces armements, d’abord pour des missions de renseignement puis de plus en plus pour assurer des appuis feux air-sol que l’aviation ne pouvait délivrer sans risques majeurs.

Plus encore, c’est l’engagement direct de l’armée turque et de ses services spéciaux (MIT) en Libye en 2019 qui a apporté une expérience du terrain réel inégalée. Les forces du maréchal Haftar – pourtant appuyées directement par la Russie et les Émirats arabes unis (et indirectement par l’Égypte) – ont été stoppées dans leur offensive pour prendre Tripoli essentiellement par les drones turcs (auxquels il convient d’ajouter les moyens de guerre électronique qui ont créé un grand désordre dans les forces d’Haftar).

Enfin, le conflit arméno-azéri a donné une touche finale, la défaire des forces arméniennes au Haut-Karabakh étant en grande partie due à l’emploi massif de drones qui ont neutralisé toutes les positions au sol sans leur laisser la moindre chance. À noter que pour la première fois depuis des années, des opérateurs turcs se sont retrouvés aux côtés de leurs homologues israéliens qui apportaient un soutien sans faille à Bakou pour des raisons géostratégiques (ce n’est pas l’Arménie qui intéresse l’État hébreu, mais l’Iran, et l’Azerbaïdjan constitue une plateforme d’observation et d’action incomparable sur ce pays).

Dernière avancée dans le domaine technique, Ankara vient d’annoncer que sa société aérospatiale TUSAŞ a commencé la production en série du drone Aksungur (Anka-2). Cet engin propulsé par deux moteurs turbo-diesel PD-170 de 170 chevaux développés par Tusaş Engine Industries (TEI) dont la puissance peut être relevée électroniquement à 210 chevaux, est équipé de six points d’emport. Il serait capable de mettre en œuvre jusqu’à 24 munitions guidées (750 kg jusqu’à une altitude de 25 000 pieds – 7 620 m -) et de rester en l’air jusqu’à 60 heures. Il pourrait atteindre une altitude de 12.000 mètres, mais avec une charge utile réduite à 150 kilos.

L’armée turque, la deuxième en effectifs de l’OTAN, représente désormais une puissance d’intervention extérieure redoutable tant par ses matériels qui restent relativement simples et peu coûteux, que par ses personnels qui semblent particulièrement motivés. Dans le domaine des drones, elle est capable de rivaliser avec les meilleurs et chamboule les plans d’opérations classiques des forces blindées et mécanisées. Il est temps de revoir la défense antiaérienne à courte et moyenne portée…

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

DR