Depuis l’exécution en décembre de l’ex-journaliste iranien Ruhollah Zam (voir mon dernier article sur raids.fr), de nouvelles affaires impliquant les services secrets iraniens émergent à la surface. Pour rappel général, la « chasse aux opposants » est historiquement leur première mission depuis la Révolution de 1979. Habib Chaab alias Habib Asyud, (en bas et à gauche de la photo) est un membre de l’opposition iranienne et leader de la branche suédoise du « Mouvement arabe de lutte pour la libération d’Ahvaz » (ASMLA), un groupe créé il y a une dizaine d’années réclamant indépendance de la minorité arabe vivant principalement dans le Sud-ouest du pays, région sensible car riche en hydrocarbures. Mais les populations locales se sont toujours plaintes d’être marginalisées, discriminées et ne retirant aucun avantage de l’exploitation pétrolière.

Les responsables politiques du mouvement agissent depuis l’étranger, particulier depuis l’Europe où ils sont réfugiés, mais des chefs militaires mènent des actions terroristes en Iran même.

Le 9 octobre 2020, Chaab s’est rendu à Istanbul où il a été enlevé et acheminé clandestinement en Iran. Là, il a été officiellement arrêté et, selon la télévision d’État, a « avoué ses crimes ». Le porte-parole de l’ASMLA a déclaré que Chaab vivait en exil en Suède depuis 14 ans et que ses aveux avaient été soutirés sous la contrainte.

L’affaire semble complexe. Chaab serait divorcé d’une Iranienne nommée Saberin Saeidi également connue sous d’autres identités. Cette dernière vivrait régulièrement en Iran. Avec le temps, son ex-époux qui se serait remarié il y a quatre ans se serait très endetté. Après l’avoir dépanné une première fois, Saeidi lui aurait proposé la somme de 100.000 €! C’est peut-être l’explication de sa venue à Istanbul alors qu’un contact était initialement prévu au Qatar. Chaab avait caché son intention de voyager à ses proches sachant qu’ils auraient tout tenté pour l’en dissuader. Toujours est-il que Saberin Saeidi serait arrivée d’Iran avant lui avec un faux passeport. Elle l’aurait retrouvé dans un van blanc (voir en haut et à gauche de la photo) garé dans une station-service du quartier de Beylikdüzü, banlieue moderne d’Istanbul.

Il serait tombé dans un traquenard, ligoté et drogué puis conduit par voie routière jusqu’à la région du lac Van. De là, il aurait été transféré clandestinement en Iran. Le périple aurait été assuré par un célèbre trafiquant de drogue qui travaillait pour les services secrets iraniens. À savoir, Naji Sharifi Zindashti (à droite sur la photo) qui n’avait rien à refuser à ses maitres puisqu’il a déjà purgé une peine de prison il y a une dizaine d’années. Il s’en était tiré à bon compte puisque le trafic de drogue en Iran est puni de la corde. Il est d’ailleurs officiellement condamné à mort par Téhéran depuis 2017 !

Zindashti avait été arrêté à son domicile stambouliote en 2018 par la sureté turque pour meurtre. Deux policiers ripoux qu’il recevait à son domicile ont plongé avec lui mais lui, il est sorti de prison six mois plus tard… Depuis, il avait été impliqué dans le meurtre d’un défecteur iranien, ancien officier de renseignement, Masoud Molavi Vardanjani, abattu le 14 novembre 2019 à Istanbul. Zindashti aurait trouvé refuge en Iran – où il est toujours condamné à mort – ! Il continuerait à diriger ses réseaux en Turquie, mais sous la supervision et le contrôle des services iraniens.

Même si les rapports Turquie – Iran sont globalement corrects mais toujours empreints d’une grande défiance, Ankara a tout de même « toussé » pour cette affaire rocambolesque menée sur son territoire. Le MIT (les services secrets turcs qui ont une compétence intérieure et extérieure) a arrêté treize citoyens turcs lié à Zindashti.

Femme fatale, appât du gain, mafieux travaillant pour les services secrets, opération d’enlèvement et d’exfiltration clandestines… Tous les ingrédients sont là pour un bon roman d’espionnage car la réalité dépasse souvent la fiction. Hommage à David John Moore Cornwell plus connu sous le pseudonyme de John le Carré qui vient de nous quitter.

Le drame, c’est que cela risque fortement de se terminer par la mort d’au moins un homme. Habib Chaab a en effet du souci à se faire car les charges retenues contre Ruhollah Zam pendu en décembre étaient moins lourdes que celles qui pèsent sur sa tête. Il est particulièrement accusé avoir participé – au moins indirectement – à l’attentat dirigé contre un défilé militaire des pasdarans le 22 septembre 2018 dans la ville d’Ahwaz qui avait fait 29 morts (dont 24 pasdarans) et plus de 70 blessés.

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Texte

Alain Rodier

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