Les Houthis et leurs alliés (des ex-militaires yéménites rebelles) sont sur le point de s’emparer de la ville de Marib située au centre du pays. C’est la dernière place forte tenue par le gouvernement légal du président Abd-Rabbu Mansour Hadi qui avait été chassé de la capitale Sanaa en 2014. La guerre de reconquête lancée en 2015 par l’Arabie saoudite à la tête d’une coalition a peu à peu tourné au fiasco. Cette dernière s’est délitée, les Émirat Arabes Unis soutenant les séparatistes du « Conseil de transition du Sud » établis à Aden et sur l’île de Socotra et retirant de facto une partie de leurs forces terrestres, le Maroc quittant la coalition en 2019 et le Qatar en en étant exclu en 2017.

Aujourd’hui, les Saoudiens craignent que la nouvelle administration américaine ne les soutienne plus de la même façon que dans le passé dans ce conflit (apport en armements, renseignement et officiers de liaison dans les war rooms(1)). En effet, Joe Biden a toujours déclaré que Riyad n’aurait plus « boutique ouverte » dans les magasins d’armements américains si ces derniers étaient destinés à la guerre Yémen. Le tout puissant prince héritier, Mohammed bin Salman, sait qu’il n’emporte pas l’adhésion de Joe Biden comme c’était le cas avec Donald Trump. Ce dernier a en effet basé toute sa politique moyen-orientale sur MBS qui lui a été d’une aide précieuse dans la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis et le Bahreïn.
En conséquence, Riyad aurait entamé dès 2015 des négociations discrètes via les Nations Unies, les Houthis étant représentés par leur porte-parole Mohammed Abdulsalam (c/f photo).
Après une longue période de stagnation, la parole étant laissée aux armes, il y eut fin 2018 les accords de Stockholm qui aboutirent à l’arrêt de l’offensive terrestre des forces légalistes yéménites (alors soutenues par les EAU) contre le port d’Hodeïda donnant sur la Mer rouge. Les Houthis en ont gardé le contrôle sous la protection tacite de l’ONU qui considère cette ville comme le point d’entrée principal pour l’aide humanitaire dont les populations ont un besoin vital…

C’est à partir de ce moment là que le tournant de la guerre a été atteint, les forces légalistes yéménites perdant l’initiative. Les négociations ont donc repris et l’Arabie saoudite s’est décidée cet automne à dire qu’elle était prête à signer une proposition de l’ONU pour établir un cessez-le-feu général. Toutefois, en échange, elle demande à ce qu’une zone tampon soit établie tout le long de la frontière yéménite pour éviter des incursions futures et des tirs d’artillerie sur son territoire, et ce, jusqu’à ce qu’un gouvernement de transition désigné sous l’égide de l’ONU soit nommé. En échange, Riyad propose un allégement des blocus aérien et maritime (sous le contrôle de l’ONU). Si un tel accord était conclu avant la fin de l’année, ce serait la plus grande avancée vers un règlement politique du conflit depuis son déclenchement en 2014.
Toutefois, les Houthis qui contrôlent tout le Nord-Ouest et les zones les plus peuplées du pays et qui sont en odeur de victoire peuvent se montrer plus réticents, surtout si le président Donald Trump décide de les classer dans la liste noire des mouvements terroristes du Département d’État. En effet, il a toujours considéré, comme les Saoudiens, que les rebelles étaient responsables de l’extension de l’influence de l’Iran dans la région. Toute décision qu’il pourrait donc prendre dans ce sens à leur égard (dans le cadre de sa politique de « pression maximum » dirigée contre Téhéran) serait « dévastatrice » pour les négociations menées par l’ONU depuis des années par l’intermédiaire de son représentant Martin Griffiths.
Maintenant, tout le monde est donc suspendu aux dernières décisions que peut prendre le président sortant dont le but premier est évidemment de gêner son successeur…

1. Depuis 2015, les Américains pourchassent les activistes d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) dont de nombreux responsables ont été neutralisés et en particulier deux émirs successifs, Nasser al-Wahichi (en 2015) puis Qassim al Rimi (en 2020). Daech moins représenté, mais très actif sur zone est aussi spécialement visé par les Américains.

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Alain Rodier

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