Alors que le président biélorusse Alexandre Loukachenko au pouvoir depuis 26 ans et officiellement réélu lundi 10 août 2020 avec 80% des voix contre 10% pour sa principale concurrente, Svietlana Tikhanovskaia, fait aujourd’hui face à une contestation d’une ampleur inédite, l’OTAN poursuit ses manœuvres en Pologne et en Lituanie voisine (à noter que Mme Tikhanovskaia s’est réfugiée dans ce dernier pays de peur d’être arrêtée suite à sa contestation des résultats de l’élection). Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain (ministre des Affaires étrangères) et accessoirement ancien Directeur de la CIA s’est rendu samedi 15 août en visite officielle en Pologne et a assuré que Washington suivait de près ce qui se passait au Belarus. Les Américains aiment bien jouer les provocateurs, leur objectif n’étant bien-sûr pas le bien-être des citoyens biélorusses mais les ennuis que ce capharnaüm pourrait apporter à leur adversaire prioritaire, le président Poutine.
C’est dans le cadre de ses désordres généralisés dont personne ne mesure encore l’ampleur (la lutte contre coronavirus semble être passée au second plan, aussi bien pour le pouvoir – qui n’a jamais pris de mesures restrictives -, ni pour les manifestants – qui n’expriment aucune crainte à ce sujet organisant des défilé qui compteraient jusqu’à 50.000 participants et parfois plus-) que le président Loukachenko a ordonné à la 38e brigade d’assaut par air de la Garde (dépendante des forces spéciales biélorusses héritières des Spetsnaz soviétiques) pour rejoindre les frontières occidentales du pays afin de surveiller de plus près à quoi jouait l’OTAN. De plus, l’armée biélorusse doit conduire d’importantes manoeuvres non programmées engageant des unités de défense aérienne dans les même zones à partir du 17 août.
Dans un contexte extrêmement tendu, cette élection truquée pose à Vladimir Poutine un problème qui pourrait se révéler vital pour lui-même. Si Loukachenko gagne la partie, c’est reculer pour lieux sauter. S’il la perd, un nouveau processus électoral devrait avoir lieu avec un maximum de transparence et sans doute la présence d’observateurs étrangers. Il ne faut absolument pas qu’une de ces deux solution fonctionne car cela pourrait avoir des conséquence sur la sécurité du système russe qui se verrait vraisemblablement contraint d’accepter les mêmes mesures. La troisième crainte est que la Biélorusse ne rejoigne l’Europe, ce qui est inconcevable pour Moscou (au même titre que l’Ukraine). Pour cela, l’organisation pro-occidentale des droits civiques Zubr (Bison) qui s’inspire largement de Optor qui a soutenu les révolutions de couleur, fondée en 2001 serait de nouveau très active.
En façade, Poutine soutient son homologue biélorusse qu’il n’apprécie guère personnellement, en particulier l’épisode de l’arrestation d’une trentaine de mercenaires du groupe Wagner à Minsk alors qu’ils n’étaient qu’en transit vers un pays étranger n’a pas été goûté à sa juste valeur (mais Poutine apprécie-t’il le président Kadirov, son homme de basses oeuvres en Tchétchénie?). Ex-membre du KGB, comme tout Officier traitant (OT), il sait utiliser les compétences de ses interlocuteurs en minimisant au maximum leurs défauts. Quand les inconvénients sont supérieurs aux bénéfices, il convient alors de prendre des mesures parfois énergiques. Pour le moment, il a souligné dans un entretien téléphonique ayant eu lieu le 15 août à la demande de Loukachenko que la situation en Biélorussie ne devait pas être » exploitée par des forces destructrices qui s’efforcent de nuire à la coopération mutuellement avantageuse entre les deux pays ». Les parties « ont exprimé leur conviction que tous les problèmes actuels seraient bientôt résolus ». Cette dernière phrase est ambivalente et pourrait se montrer inquiétante pour la pérennité du pouvoir du président biélorusse s’il se transforme en « problème » pour le Kremlin. Loukachenko qui frise – avec raison – la paranoïa, a déclaré de son côté: « aujourd’hui, certains sont déjà venus ici de Pologne, de Hollande, d’Ukraine, de cette ‘Russie ouverte’ [organisation politique de l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovsky] et de Navalny, [tous deux de farouches opposants au président Poutine], etc. « . L’ennemi vient donc de l’extérieur (et en particulier de l’opposition russe au président Poutine, histoire de lui faire croire qu’ils sont tous deux dans le même bateau) car « tout le monde lui en veut », ce qui n’est pas faux, la position d’un dictateur à la dérive attirant rarement la mansuétude.
Loukachenko avait bien tenté de museler l’opposition quelques semaines avant l’élection : Victor Babarika (un ex-banquier) et Sergueï Tikhanovski (un blogueur et activiste) ayant été emprisonnés sur la base d’accusations fantaisistes et la commission électorale ayant refusé d’investir Valery Tsiepkala qui a dû ensuite fuir le pays et se réfugier en Russie (Moscou accueille donc des opposants biélorusse, c’est aussi un signe inquiétant pour Loukachekko) pour échapper également à un emprisonnement plus que probable.
Loukachenko et son ministre de l’intérieur, Youri Karaïev, ont fait donner les forces anti-émeutes (les « ОMON » rebaptisés « AMAP ») et des éléments d’origine inconnue agissant en civil et parfois dans des voitures sans immatriculation. Ces forces ont terrorisé les populations par leurs exactions mainte fois signalées. Pour empêcher la population de communiquer – la révolte se fait beaucoup par les réseaux sociaux -, le gouvernement a par ailleurs fait couper Internet dans le pays du dimanche 12 au mercredi 15 août.
Loukachenko a aussi prié les dirigeants étrangers qui proposaient leurs services comme « médiateurs » de résoudre leurs propres problèmes avant de dicter sa conduite à Minsk.
Poutine qui agit toujours froidement est certainement en train d’évaluer la faisabilité d’un accueil de Loukachenko et sa famille proche dans une datcha confortable sur la Mer Noire. Les « petits hommes verts » ayant agi en Crimée au printemps 2014 pourraient apparaître à Minsk pour faciliter une exfiltration. Tactiquement, c’est jouable et cela avait été fait en février 2014 avec le président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Le problème est de trouver un remplaçant qui gagnerait les élections promises avec seulement 55-60% des voix (cela fait plus « démocratique ») mais qui serait un bon allié du Kremlin (qui rêve d’intégrer la Biélorussie dans la Fédération de Russie, ce qu’a toujours refusé Loukachenko).
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