Comme au temps de la Guerre froide et dans le plus pur style des romans écrits par John le Carré, il est possible qu’un « échange d’espions » ait lieu dans les semaines à venir entre la Russie et les États-Unis.
En effet, l’ancien Marine américain Paul Whelan (qui possède aussi des passeports canadien, britannique et irlandais) n’a pas interjeté appel de sa condamnation du 15 juin 2020 à seize années d’emprisonnement en Russie pour espionnage même s’il a dénoncé une « parodie de justice » au moment de l’énoncé du verdict. Selon ses défenseurs, il espère être échangé contre un ou plusieurs prisonniers purgeant des peines aux États-Unis.

Le 28 décembre 2018, Paul Whelan qui devait assister au mariage d’un ami américain à Moscou et qui avait été chargé par ce dernier d’accompagner ses hôtes pour leur faire visiter la capitale russe, a été arrêté dans sa chambre de l’hôtel Metropol.
L’affaire est étrange. D’abord, Whelan qui guidait en permanence des invités les jours précédents s’est éclipsé ce jour là sans explications. Il se serait rendu dans sa chambre où il a rencontré un interlocuteur russe qu’il avait connu précédemment. Ce dernier lui a remis une clef USB qui, selon les autorités moscovites, contenait des informations classifiées. Whelan niera farouchement soutenant qu’elle contenait des photos personnelles d’un précédent voyage en Russie ; mais alors, pourquoi ce rendez-vous de style conspiratif (il aurait très bien pu rencontrer son « ami » dans le lounge de l’hôtel). D’ailleurs, à peine venait-il de prendre possession de l’objet que des membres du FSB sont entrés en force dans la chambre et procédé à son arrestation. On ne sait pas ce qu’est devenu son visiteur mais il est possible qu’il était un agent provocateur travaillant pour le FSB car il semble bien que l’Américain s’est fait piéger… Les Russes avaient sous la main un personnage intéressant qui pouvait servir de monnaie d’échange, un classique dans le domaine de la guerre secrète. C’est une affaire qui dépasse les acteurs car les objectifs sont alors politiques et la véracité des faits n’est que secondaire.
Whelan a été incarcéré à la prison de Lefortovo jusqu’à la tenue de son procès. Pour sa défense, il a déclaré en octobre 2019 devant le tribunal : « La Russie dit qu’elle a arrêté un James Bond en mission d’espionnage, en réalité, ils ont kidnappé Mister Bean en vacances ».

Une personnalité trouble
Qui était réellement Whelan ? Son passé n’est pas très clair. Après plusieurs emplois de policier, ce qui est courant aux États-Unis, il aurait servi dans des départements de sécurité de sociétés privées. En 1994, il avait rejoint la réserve du Corps des Marines comme personnel administratif. Il aurait séjourné en Irak de 2003 à 2008 mais en aurait été exclu pour fautes professionnelles en relation avec des affaires d’escroquerie. Il serait retourné dans le privé, en particulier au sein de la société Kelly Services avant d’être recruté en 2017 par la firme de pièces détachées d’automobiles présente à l’internationale, BorgWhelan (dont il a été licencié en 2019 « pour cause de restructuration »).
Depuis 2006, il effectuait de fréquents séjours privés et professionnels en Russie et correspondait via les réseaux sociaux avec des citoyens russes (70 abonnés sur son compte). Bien logiquement, il aurait appris le russe.

La question qui se pose est : quels liens entretenait-il vraiment avec les services de renseignement américains ? S’il semble exclu qu’il ait été un de leurs membres car son passé trop marqué par ses mensonges (il mentait en permanence sur ses études, ses diplômes, il s’était livré à des trafics douteux au sein du Corps des Marines, etc.), il semble par contre évident que ses postes professionnels (dont celui de senior manager) dans le domaine de la sécurité l’avaient obligatoirement mis en contact avec au moins une des 17 agences de renseignement américaines. Dans ce type de profession, c’est un point de passage obligé.
Après, c’est une question de sémantique : avait-il été recruté comme « Agent » (rémunéré généralement à la pige), comme « Honorable Correspondant » (services gracieux, seuls les frais sont remboursés) où n’était-il qu’un « contact utile » qu’un Officier Traitant débriefait ponctuellement mais – défaut de la cuirasse – ne contrôlait pas.
Les doutes pesant sur la personnalité et la carrière de Whelan suffisent à en faire une monnaie d’échange pour les adversaires des États-Unis. Washington ne peut pas laisser tomber un de ses ressortissants – surtout s’il a rendu des services dans le passé -. En échange, les Américains devraient être obligés de lâcher un gros poisson.

Vers l’échange ?
L’arrestation de Whelan est survenue le 13 décembre 2018, seulement quelques jours après que la ressortissante russe Maria Butina (arrêtée le 15 juillet 2018 aux USA) ait plaidé coupable de « conspiration pour agir comme un agent étranger illégal ». Certains experts y voyaient la possibilité d’un échange mais il semble que cela n’ait pas suffi. En effet, les charges retenues contre elle étaient peu importantes et n’ont permis qu’une condamnation à 18 mois de prison. Mais elle reste la seule citoyenne russe à avoir été condamnée dans les affaires d’ingérence dans la politique intérieure américaine (elle avait infiltré la National Rifle Association – NRA -, le tout puissant lobby des armes américain, visant à ensuite nouer des contacts intéressants dans les milieux conservateurs). Le 25 octobre 2019, elle a recouvré la liberté et été expulsée vers la Russie où elle a été reçue comme une héroïne à l’image de sa prédécesseur Anna Chapman expulsée en 2010.

Les noms qui circulent aujourd’hui le plus (il y a une centaine de citoyens russes incarcérés aux USA et tous sont loin d’intéresser Moscou) sont ceux de Viktor Bout, le célèbre trafiquant d’armes qui a servi à peu près tout le monde mais lui en premier, Constantin Yaroshenko un pilote arrêté par la Drug Enforcement Administration (DEA) en 2010 après une complexe opération d’infiltration qui, en France, serait considérée comme une provocation et Dimitri Makarenko arrêté le 5 janvier 2019 aux îles Marianne et transféré en Floride pour exportations illégales de matériel de défense US (comme par hasard peu après l’arrestation de Whelan). Ces trois personnes semblaient aussi avoir des liens – non exactement définis – avec les services de renseignement russes.

Pour conclure, il semble aussi que Washington avait recruté une taupe de haut niveau travaillant dans l’administration présidentielle russe mais qu’elle aurait été exfiltrée en 2017 avec sa famille depuis le Monténégro où elle « passait des vacances » et « la vengeance est un plat qui se mange froid ». Pas de doutes, malgré les progrès technologiques, il y a encore du travail pour les espions à l’ancienne.

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Texte

Alain RODIER

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