Le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait été « convoqué » à Moscou le 5 mars pour venir s’expliquer concernant l’offensive « bouclier de printemps » qu’il avait lancé à la fin février. Il faut bien noter la « nuance » ; ce n’est pas le président Poutine qui a fait le déplacement à Ankara mais bien Erdoğan qui a répondu à la ferme invitation à Moscou, ce qui ressemble fort à une convocation. Pour un personnage aussi orgueilleux que lui, cela a dû lui beaucoup en coûter. Il faut reconnaître qu’il n’avait pas trop le choix. Pour mémoire, les projets économiques conclus entre les deux pays sont très importants pour la Turquie : gazoduc TurkStream inauguré en janvier, construction de la première centrale nucléaire turque dans la province de Mersin – la première pierre a été posée en avril 2018 -, acquisition du système de défense anti-aérien S-400, etc. De plus, Erdoğan commençait à trop disperser ses efforts entre la Syrie, la Méditerranée, la Libye… Il a dû se rendre compte qu’il ne maîtrisait plus l’ensemble et que cela pouvait finir par lui coûter cher à l’intérieur comme à l’extérieur où le nombre de ses ennemis se multiplient : Arabie saoudite, Émirats arabes unis (ÉAU), Égypte, Israël, Grèce (ce n’est pas nouveau mais l’ambiance devient explosive avec l’afflux des réfugiés à la frontières, le problème des eaux territoriales, etc.), etc. Il ne pouvait pas en plus se mettre à dos la Russie !

 

Suite à ce sommet qui a duré six heures, les décisions suivantes ont été annoncées :

Un cessez-le-feu a été établi à Idlib à partir de jeudi minuit. Cela signifie que les Turcs arrêtent les bombardements des positions syriennes. Il est vrai qu’ils ont été particulièrement efficaces, la Turquie engageant principalement son artillerie sol-sol, des drones armés et plus épisodiquement son aviation (un F-16 turc a abattu deux Su-24 syriens). L’armée turque a démontré des savoir-faire inégalés dans la région et les forces syriennes ont été rudement étrillées.

L’armée régulière syrienne et le Hezbollah libanais devraient, avant de reprendre toute offensive contre les rebelles, se remettre en état de marche ce qui va nécessiter du temps, plusieurs semaines voire des mois. Durant cette période, les choses peuvent encore évoluer. Erdoğan a prévenu que la Turquie riposterait « de toutes ses forces » à des attaques éventuelles du régime syrien contre ses positions militaires, mais il n’a pas évoqué les miliciens « supplétifs » qui accompagnent les forces turques.

Une grande première : Moscou et Ankara doivent assurer un corridor de sécurité de six kilomètres de large de part et d’autre de l’autoroute stratégique A4 (Est-Ouest) qui relie Alep (via la A5) à Lattaquié. Des patrouilles conjointes turco-russes devraient la parcourir à partir du 15 mars le temps de les organiser. Or, la A4 traverse les zones tenues par les rebelles incessibles jusqu’à aujourd’hui au régime syrien. Même si dans des premiers temps, l’accès ne sera pas autorisé au régime de Damas, cela va lui permettre de grignoter du terrain et d’au final, de récupérer toute la partie située au sud de la A4 et l’est de la A5 (qui n’est pas évoquée dans la déclaration) sachant que la localité de Saraqeb qui est le point de départ de la A4 vers Lattaquié et de rencontre avec la A5 (qui descend ensuite plein sud vers Damas) a été reprise par l’armée syrienne. Ce point stratégique est désormais sécurisé par des unités de police militaire russe (NdA : du moins les unités russes en portent les couleurs l’auteur restant persuadé qu’il s’agit de membres des Forces Spéciales).

Enfin, les deux parties se sont engagées à garantir « l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Syrie » dans la province d’Idlib. Même s’il n’y a pas de « solution militaire« , elles ont reconnu que c’est « aux Syriens eux-mêmes » de « décider de leur avenir« . Cela constitue un désaveu complet pour le président Erdoğan…

 

Tout cela constitue une nouvelle victoire pour la Russie qui a imposé ses volontés à la Turquie et qui s’est montrée comme le seul acteur pouvant concrètement faire avancer les choses en Syrie.

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Texte

Alain RODIER

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