Selon un rapport de l’ONU publié le 4 juin, le docteur Ayman al-Zawahiri, l’émir d’Al-Qaida « canal historique » serait toujours en vie mais affaibli n’étant pour l’instant pas en mesure de délivrer un nouveau message audio ou vidéo(1). Il va fêter ses soixante-dix ans le 19 de ce mois.
Comme par le passé depuis 2001, il résiderait dans les zones incontrôlées à la frontière afghano-pakistanaise, vraisemblablement du côté pakistanais. La légende comme quoi il vivrait dans une cave est bien évidement fausse. Pour s’en convaincre, il suffit de visionner les centaines de photos qui le montrent dans un environnement propre et clair (même si trucages d’images sont parfois utilisés.
Quid d’Al-Qaida dans le Sous-continent indien » ?
Une partie significative de la « nébuleuse » est localisée dans cette région afghano-pakistanaise, le conseil consultatif, la choura, se tenant traditionnellement dans la ville de Quetta.
L’organisation pour la région porte de nom d’« Al-Qaida dans le Sous-continent indien ». Selon le rapport de l’ONU, elle agit sous la protection des taliban depuis les provinces afghanes de Kandahar, Helmand et Nimroz.
Sa politique serait la « patience stratégique » qui permet d’attendre des jours meilleurs – sans doute après le départ des troupes de l’OTAN d’Afghanistan – pour repartir à l’assaut le moment venu.
Toujours selon l’ONU, le nombre estimé d’adeptes de cette branche d’Al-Qaida se situerait entre quelques douzaines jusqu’à 500. Cette évaluation semble considérablement sous-évaluée d’autant qu’il est très difficile d’avoir des chiffres approchant de la réalité car les activistes jihadistes passent souvent d’une organisation à l’autre quand ils n’appartiennent pas à plusieurs en même temps. La majorité Des militants seraient originaires du Maghreb (la première protection rapprochée d’Oussama Ben Laden au Soudan en 1992-1996 était composée d’Algériens du Front Islamique du Salut), du Moyen Orient (Pakistanais, Afghans, Bangladeshis, Indiens) et même du Myanmar. L’émir actuel serait Osama Mahmood qui aurait succédé en septembre 2019 au défunt Asim Umar (dont l’épouse a été libérée en 2020 avec 5.000 autres détenus en Afghanistan dans le cadre des accords de Doha signés entre les Américains et les taliban). En mai 2020, « Al-Qaida dans le Sous-continent indien » avait délivré un message audio dans lequel l’accord de Doha était qualifié de « victoire divine » et comme « une récompense pour le jihad qui se poursuit ».
Le maillon de liaison principal entre « Al-Qaida dans le Sous-continent indien » et les taliban est le réseau Haqqani qui partage les mêmes convictions idéologiques politico-religieuses mais aussi des liens familiaux par des mariages destinés à unir les différentes parties.
Quid du concurrent Daech dans la région ?
Daech concurrence localement Al-Qaida à travers sa « wilayat Khorasan » (ISIS-K) qui s’étend sur l’Afghanistan, le Pakistan, le Bangladesh, l’Inde, les Maldives, le Sri Lanka et des Républiques d’Asie centrale.
Son émir est Shahab al-Muhajir alias Sanaullah ancien cadre du réseau Haqqani qui s’efforce de recruter des activistes parmi les « déçus des taliban » en Afghanistan, en particulier parmi ceux qui ont refusé les négociations de Doha jugées comme constituant une trahison de l’idéal du jihad qui ne supporte aucun autre rapport que la guerre avec les infidèles.
Que va t’il se passer en Afghanistan ?
Globalement, les taliban afghans se préparent et se réorganisent en vue de la grande offensive qui interviendra après le départ du dernier soldat étranger.
Pour l’instant, les Américains soutiennent l’armée afghane surtout par la voie des airs leur apportant des appuis feux air-sol directs, ce qui a permis de limiter la casse jusqu’à maintenant. Mais cela devrait bientôt se terminer d’autant qu’un redéploiement des aéronefs dans les pays voisins pose de nombreux problèmes même si des pays d’Asie centrale ont déjà été mis à contribution par le passé. Des négociations discrètes seraient actuellement en cours avec les trois pays frontaliers avec l’Afghanistan : le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Quant au Kirghizstan, la base aérienne américaine de l’aéroport de Manas situé au nord de la capitale Bichkek, elle a été fermée en 2015. Elle avait été ouverte suite aux attentats du 11 septembre 2001 et constituait la principale plaque tournante du transport et de la logistique des marchandises vers l’Afghanistan. L’affaire est bien plus complexe qu’en 2001 car il y avait alors une sorte de consensus pour combattre les terroristes d’Al-Qaida. Depuis, Washington s’est mis à dos Pékin et Moscou qui mènent aussi une politique de coopération en Asie centrale.
Les dirigeants de ces pays se retrouvent donc courtisés par les trois plus grandes puissances de la planète et leurs choix sont difficiles à prévoir.
Seule la présence d’un groupe aéronaval croisant en permanence en Mer d’Arabie (zone attribuée à la Vème Flotte de l’US Navy) est la mesure applicable sans délais pour appuyer les troupes régulières afghanes au sol. Mais en dehors du fait que l’autorisation de survol de l’espace aérien pakistanais n’est pas acquise en permanence, les délais d’intervention seront considérablement rallongés et les capacités de frappes très diminuées.
Le général des Marines Ken McKenzie commandant l’United States Central Command (USCENTCOM ou CENTCOM) en charge de la zone reste très prudent dans ses déclarations parlant pour l’Afghanistan de « solution politique » ce qui ne trompe aucun observateur. Il confirme que le retrait débuté le 1er mai doit se terminer le 11 septembre de cette année.
Seul le counpound de l’ambassade US à Kaboul restera ouvert mais les personnels non essentiels et les familles ont été évacués. Cette enclave fortifiée est certainement intéressante sur le plan du recueil de renseignements mais totalement inutile sur un plan opérationnel. De plus, il convient de se rappeler que l’évacuation de l’ambassade des États-Unis à Saigon (1975), la prise d’otages des diplomates en poste à Téhéran (1979) et l’assassinat de l’ambassadeur US en Libye (2012) ont considérablement traumatisé les États-Unis. En aucun cas les électeurs américains ne pardonneraient à la Maison-Blanche une nouvelle humiliation du même genre.
Le général McKenzie affirme que Washington continuera à soutenir le gouvernement afghan, en particulier dans le domaine logistique et de participer à la lutte anti-terroriste depuis « au-delà de l’horizon » (la solution étant vraisemblablement le groupe aéronaval évoqué plus haut).
La seule chose qui importe à Washington est que l’Afghanistan n’accueille pas de nouveau des terroristes capable de frapper les intérêts américains et, encore moins le territoire US comme le 11 septembre 2001. Pour l’instant, les taliban assurent que jamais ils n’autoriseront cela – même s’ils reviennent au pouvoir comme cela est prévisible – mais ce n’est pas pour autant qu’ils se désolidarisent d’Al-Qaida « canal historique ».
1. Voir article du 15 mars 2021 : « Message audio d’Ayman al-Zawahiri ».
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