Si l’élément médiatique qui a fait la une de la presse est la perte du premier F-16 ukrainien fin août, le décès de son pilote et le limogeage du chef d’état-major de l’aviation ukrainienne, le général Mykola Olechtchouk (qui a joué le rôle du « maillon de sécurité »), les points à retenir sont que la Russie pousse sur la ville stratégique ukrainienne de Pokrovsk alors que l'offensive de Kiev dans l’oblast de Koursk semble marquer le pas.

Ces derniers jours, la Russie a fait des progrès importants au centre du front en Ukraine qui sont plus importants tactiquement que l’attaque transfrontalière dans la région de Koursk(« 1 » sur la certes du MinDef. En effet, cette région n’est pas considérée comme vitale ou stratégique par le Kremlin en dehors du côté très symbolique de l’affaire.

Ainsi, les forces russes se trouvent à quelques kilomètres de la ville ukrainienne de Pokrovsk, une plaque tournante logistique importante utilisée par l’armée ukrainienne.

La bataille pour Pokrovsk est la continuation celle d’Avdiivka (située au nord-ouest de Donetsk et à quelques 40 km au sud-est de Pokrovsk) que l’Ukraine a perdue en février 2024 après des mois de combats meurtriers.

Avdiivka était considérée comme une forteresse a protégeait les localités et les routes à son ouest – aidant à renforcer la présence de l’Ukraine sur toute la ligne de front.

Lors d’une inspection en première ligne en août, le chef des forces armées ukrainiennes, le général Oleksandr Syrskyi, a déclaré que la Russie jetait « tout ce qu’elle pouvait dans son assaut ».

Selon l’analyste militaire Mykhaylo Jyrokhov : « Si nous perdons Pokrovsk, toute la ligne de front s’effondrera ».

Pour le moment, la Russie concentre ses attaques sur deux directions, celle de Toretsk (« 2 » sur la carte ci-après) et celle de  Pokrovsk (« 3 » idem).

Pokrovsk est située à côté d’une autre ville, Myrnohrad. Ensemble, les deux localités avaient une population avant-guerre de plus de 100.000 habitants, dont la plupart ont fui. Ce sont les dernières grandes villes de la région de Donetsk qui sont encore sous le contrôle de Kiev.

Des experts pensent que Moscou a déployé environ un tiers de son groupe d’armées central, soit environ 30.000 militaires, pour l’offensive, mais également des réserves opérationnelles prêtes à exploiter une brèche.

Fin août, la ville ukrainienne de Novohrodivka est tombée.

La députée ukrainienne Mariana Bezuhla, toujours très critique vis-à-vis de l’état-major, a écrit sur Facebook que « les tranchées en face de Novohrodivka étaient vides. Il n’y avait pratiquement pas d’armée ukrainienne dans la ville autrefois forte de 20.000 habitants ».

Il est possible que les forces ukrainiennes se soient retirées pour renforcer la défense de Pokrovsk.

Si Pokrovsk elle tombe, la conquête deux dernières grandes villes contrôlées par les Ukrainiens dans la région de Donetsk : Kramatorsk et Slaviansk” sera possible.

Ailleurs, les forces russes ont lancé des attaques contre la ville de Selidove, juste au sud de Novohrodivka, à proximité de la région de Donetsk.

L’offensive russe a été aidée par un changement de tactique, qui reflète de plus en plus ceux utilisés plus tôt dans la guerre par le groupe mercenaire de Wagner.

Les forces ukrainiennes font état de vagues d’infanterie russe appliquant ce qui a été appelé le « hachoir à viande ».

Les tactiques – bien que coûteuses – épuisent rapidement les unités ukrainiennes contraintes de repousser les attaques constantes. L’infanterie russe progresse à pied par petits groupes s’infiltrant au sein des positions de l’ennemi pour finir par l’en chasser. Cela rappelle ce que professait le général Bigeard mais, à son époque, les drones n’existaient pas et ils sont redoutables contre les combattants à pied.

Par contre, les véhicules blindés sont utilisés avec parcimonie – ce qui complique la tâche des feux ukrainiens qui n’ont pas beaucoup d’objectifs à cibler sur le champ de bataille.

La Russie a également utilisé de puissantes bombes lisses obligeant l’Ukraine à disperser ses unités lorsque les bombardements commencent et parfois même à retirer des troupes de la ligne de front.

L’offensive de l’Ukraine dans l’oblast de Koursk

Pendant ce temps, les progrès de l’offensive transfrontalière historique de l’Ukraine se sont considérablement ralentis au cours de la semaine dernière.

Sudzha – la plus grande agglomération que l’Ukraine ait capturée à l’intérieur de la Russie – a une population d’environ 5.000 habitants, soit trois fois moins que celle de Novohrodivka.

Le 27 août, le commandant en chef de l’Ukraine a déclaré que les forces de Kiev avaient pris 1.294 km2 de territoire à l’intérieur de la province de Koursk dont 100 villages et capturé 594 soldats russes.

Ces chiffres sont vraisemblablement exagérés mais ils permettent de donner une tendance. La question est de savoir s’ils justifient les pertes potentielles sur la ligne de front orientale de l’Ukraine.

Il a été question à un moment de s’emparer de la région ouest de Sudzha après avoir détruit les ponts qui enjambaient la rivière Seym coinçant (théoriquement) les défenses russes entre le cours d’eau et la frontière. D’abord des ponts mobiles ont rapidement été installés et surtout, l’intérêt de la conquête de ces terres semblait discutable.

Le général Syrskyi a déclaré que « l’un des objectifs de l’opération offensive dans la direction du Koursk était de détourner les forces ennemies importantes d’autres directions, principalement des directions de Pokrovsk et de Kurakhove ».

Mais cet objectif semble avoir partiellement échoué, les Russes ayant redéployé des unités situées dans des secteurs jugés moins importants.

Beaucoup imaginent que la partie de la région de Koursk conquise par Kiev sera une monnaie d’échange dans de futures négociations. Encore faudrait-il que les forces ukrainiennes puissent la tenir dans la durée et que Moscou montre un intérêt pour un échange…

Plus profondément à l’intérieur, les deux parties se livrent à des bombardements à l’aide de drones et de missiles pour tenter d’atteindre la logistique et le moral de l’adversaire.

Au final, comme chaque année depuis 2022, l’automne va arriver avec ses restrictions de manœuvre pour les engins lourds. Des deux côtés, l’usure des effectifs et le manque de matériels (voir sur la photo ci-avant la mitrailleuse russe Maxim PM 1910 en service dans la garde nationale ukrainienne) va se faire de plus en plus sentir.

Les Ukrainiens cèdent du terrain au centre du front mais les Russes n’ont pas les moyens d’exploiter leurs succès chèrement acquis. Pour un arrêt des hostilités, il va falloir encore attendre. De toutes manières, rien ne devrait se passer jusqu’à l’élection présidentielle américaine de la fin de l’année. La décision se trouve à la Maison-Blanche. On peut alors espérer un gel du front à la coréenne.

Publié le

Texte

Alain Rodier