Saif al-Adel, l’émir présumé de la nébuleuse salafiste-jihadiste Al-Qaida a publié un nouvel article faisant partie du 9ème volet de une série de publications intitulée « C’est Gaza.»

Il se démarque des précédents écrits car il y développe un véritable programme pour conduire la guerre de conquête à l’échelle mondiale dans un contexte post-7 octobre.

Il signe de son vrai nom, Mohammed Salah al-Din ‘Abd al-Halim Zaydan mais ajoute aussi des pseudonymes : Saif al-Adel, Hazim al-Madani, ‘Abir Sabil, Salim al-Sharif, Abou Khalid al-San’ani et un nouveau  Mohamad Salim.

Conformément à ses écrits précédents, Al-Adel considère le contexte actuel comme propice à la lutte : « je suis certain… que les évènements de Gaza sont le dernier clou dans le cercueil de l’Occident colonialiste, croisé-sioniste. »

Dans l’ensemble, les lignes directrices d’Al-Adel soulignent l’importance de la réflexion stratégique, de la formation/préparation et de la coopération dans la guerre menée contre l’Occident et ses alliés.

En termes de formation/préparation, Al-Adel encourage les jeunes musulmans à profiter de la conscription militaire obligatoire dans de nombreux pays, la considérant comme une « merveilleuse opportunité » d’apprendre le maniement des armes, de se spécialiser dans les disciplines militaires et d’acquérir des informations sur les armées ennemies.

À noter que cette stratégie avait été prônée dans le passé, même avant la naissance formelle d’Al-Qaida. Ainsi, sur les cinq conjurés ayant assassiné le 6 octobre 1981 le président égyptien Anouar El Sadate, le chef était le lieutenant Khaled El-Istanbouli et son adjoint le sergent Hussein Abbas. Les trois autres activistes (Abdel Salam Abdelaal, Atta Tayel Rahil et Abdel Salam Farrag) étaient des civils.

Al-Adel soutient que la meilleure tactique consiste à lancer des attaques contre « les institutions politiques et les intérêts économiques de l’ennemi » et à cibler les bases militaires, leurs personnels et les moyens de renseignement aussi bien en pays musulmans qu’en Occident. Pour Al-Qaida, tous les gouvernements musulmans – à l’exception notable des Talibans – sont à abattre (Daech, lui, inclut les talibans dans ses ennemis à éliminer.)

Selon lui, cibler le personnel militaire/renseignement et les infrastructures (dépôts de munitions, salles d’opérations, etc.) permet aussi aux jihadistes d’« aveugler l’ennemi » et de contrebalancer la supériorité aérienne de ce dernier.

S’adressant aux croyants islamiques vivant en Occident, il affirme qu’ils ont une « grande responsabilité », à savoir de frapper « les usines d’armement de l’ennemi » en particulier « les usines françaises qui pillent le fer… au Maghreb islamique. » Le retrait des forces françaises du Sahel a été ressenti par la branche d’Al-Qaida pour le continent africain (dont le noyau initial est le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, une organisation née en 1998 d’une scission du Groupe islamique armé – GIA – ; il a prêté allégeance en janvier 2007 à Al-Qaida prenant le nom d’Al-Qaïda au Maghreb islamique – AQMI -) comme une grande victoire qui doit continuer à être exploitée.

D’ailleurs, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ou Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn, JNIM qui est une organisation salafiste-jihadiste formée le 1er mars 2017 à partir de la fusion d’Ansar Dine, d’AQMI au Sahel, de la katiba Macina et de la katiba Al-Mourabitoune. Elle est estimée comme étant la représentation sur le continent africain de la nébuleuse et poursuit ses avancées vers le Golfe de Guinée, la dernière attaque d’importance ayant eu lieu au Togo le 21 juillet (plus de dix morts dans les forces togolaises.)

Al-Adel estime que frapper les « intérêts économiques sionistes » (israéliens, américains, britanniques, français ou allemands) aura un impact négatif sur le soutien extérieur à Israël et entrainera l’ennemi dans un « conflit interne avec les opposants à la guerre [de Gaza] » sur leur territoire.

Mais il suggère d’éviter de cibler certains segments de la « population ennemie » pour semer la division ou d’attaquer des cibles ayant le plus d’impact politique. Il parle également d’autres formes d’action comme la désobéissance civile, manifestations et grèves dans les universités, les usines, etc. Ces remarques semblent être bien suivies en Europe occidentale où de nombreux mouvements politiques et associatifs paraissent bien disposés – le moins que l’on puisse dire – vis-à-vis de l’islam radical, et ce depuis les attentats du 11 septembre 2001. Pour une partie des rêveurs de la « Révolution » et du « Grand soir » (dits « islamo-gauchistes »), tous les mouvements qui peuvent apporter leur aide à la cause – anticapitaliste – sont les bienvenus. Ils ont oublié ce qui est arrivé aux révolutionnaires marxistes-léninistes iraniens après s’être alliés avec les « fous de Fieu. »

Al-Adel dit que le moins que les musulmans puissent faire est de participer à la « guerre économique » en boycottant « tous les produits occidentaux », qu’ils viennent d’Europe, des États-Unis, d’Australie, etc.

Selon lui, la « voie du changement » implique également de forger des alliances pour maintenir le caractère à long terme du conflit (« l’alliance de nos peuples islamiques armés est le programme que nous devons nous efforcer de construire et de faire réussir ».) La guerre de l’Islam radical pour convertir le monde s’étend sur des générations… Les activistes actuels (à l’image de leurs inspirateurs Ben Laden puis Zawahiri) ne connaitront vraisemblablement jamais ce « temps béni. »

Al-Adel promeut également la coopération et le transfert de connaissances entre les jihadistes du monde entier, notamment pour faire face à la menace des drones. Il soutient que les jihadistes devraient « partager leurs expériences, innovations et études afin de généraliser une stratégie de lutte contre cette arme dangereuse. »

Dernier point : même si Al-Adel n’a pas commenté la tentative d’assassinat de Donald Trump dans cet article qui a probablement été écrit avant qu’il ne sorte, il a déjà évoqué la possibilité que Trump ne soit assassiné.

Ce n’est pas la première fois qu’Al-Adel évoque le meurtre de Trump. Dans son article précédent, il a déclaré que « si aujourd’hui une opération était menée pour assassiner Trump, si Dieu le veut, cela plongerait les États-Unis dans la division, les entraînant dans une spirale de conflit interne. Al-Adel a déclaré que ce scénario ne se produirait que si l’auteur restait inconnu ou s’avérait être un démocrate. Il a ajouté : « Bénie soit la main qui l’assassinera si c’est un musulman.»

Si les dirigeants d’Al-Qaida restent discrets, ils emblent néanmoins très bien connaître le fonctionnement de l’Occident, ses qualités et ses défauts. Ils savent bien les utiliser pour influencer dans le but que le « système » politico-économique s’effondre de l’intérieur. Ils rêvent alors de se proposer en alternative apportant l’« ordre » travers sa vision politico-religieuse (s’il faut un exemple historique, un peu comme en Iran avant 1979.)

Et l’État Islamique ?

L’arrestation en juin 2024 de huit Tadjiks aux États-Unis soupçonnés d’avoir des liens avec la branche EI-Khorasan (ISIS-K) est un signal l’alerte fort.

Al-Qaida et Daech doivent s’appuyer sur des filiales « expatriées » pour mener leurs opérations car les organisations mères se concentrent sur leur propre survie optant sur une lente reconstruction au fil du temps.

Pour le moment, elles ne peuvent qu’inspirer des attaques plutôt que de les parrainer directement quoiqu’il convient de rester très prudent.

En ce qui concerne les affiliés de l’EI, deux de ses principales sous-organisations sahéliennes continuent de chercher à capitaliser sur la faiblesse des gouvernances locales issues des putschs et les divisions sociétales de l’Afrique subsaharienne.

Ces groupes vont continuer à déstabiliser la zone mais cela mobilise leur énergie pour accentuer le chaos et de la destruction sur le continent africain plutôt qu’en Occident.

Par contre, les capacités d’ISIS-Khorasan (ISIS-K) à agir en dehors de l’Afghanistan et des régions avoisinantes sont bien plus préoccupantes. Le groupe dans son ensemble reste principalement concentré sur l’affaiblissement des talibans en Afghanistan mais les dirigeants d’ISIS-K ont de plus grandes ambitions et pourraient très bien chercher à mener une ou plusieurs attaques importantes en Occident afin d’apparaitre au grand jour ce qui lui assurerait une publicité mondiale terrorisant les uns et attirant de futurs activistes qui répandront plus aisément la « Révolution. »

Pour rappel, alors que la plupart des attaques de l’’ISIS-K ont eu lieu en Afghanistan et au Pakistan, cette mouvance a également organisé des attaques en Ouzbékistan, au Tadjikistan et en Iran. En mars 2024, quatre de ses activistes, tous d’origine tadjike, ont attaqué une salle de concert russe à Moscou tuant près de 150 civils. Cette récente opération hors de la zone est très inquiétante car elle suggère de plus grandes aspirations pour ISIS-K, fournissant le contexte qui explique pourquoi les récentes arrestations de huit Tadjiks aux USA citées plus avant.

Pour résumer, l’ennemi réel (il convient de connaître la menace pour tenter d’y parer) de tous les pays de la planète – et occidentaux en particulier – reste le jihadisme internationaliste, très majoritairement sunnite – mais sans oublier le chiite télécommandé par Téhéran -.

Il joue sur l’infiltration (comme le communisme internationaliste via les mouvements d’extrême gauche, Action directe, Armée rouge, Bande à Baader, etc. en son temps) et le passage à l’acte de radicalisés isolés très difficiles à loger en amont.

L’envoi de commandos depuis des pays tiers reste pour le moment plus difficile à organiser – mais pas totalement impossible -. Il faut se rappeler de la tragique année 2015 qui a endeuillée la France. Les organisations concurrentes (Al-Qaida et Daech) étaient déjà à la manœuvre…

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Texte

Alain Rodier