Un danger sournois guète nos sociétés sans attirer particulièrement l’attention du grand public : les « Organisations criminelles transnationales » (OCT) dont certaines peuvent être qualifiées de « mafias ». Pour les criminologues, les « mafias » sont des OCT qui ont des « traditions » (rites initiatiques, codes dits d’« honneur », etc.), un recrutement sélectif (familial, régional, national) et une hiérarchie bien précise.

La caractéristique de la plupart de ces OCT est qu’elles tentent majoritairement de ne pas être trop visibles car le désordre nuit aux affaires.

L’ambition des grands chefs criminels est de se faire une place dans la bonne société et d’investir les marchés légaux – particulièrement pour blanchir les capitaux acquis frauduleusement -. L’objectif principal des criminels est de faire un maximum d’argent, encore faut-il pouvoir le dépenser…

Les secteurs particulièrement appréciés sont ceux du tourisme, de la construction, de la santé et tout ce qui a trait à l’écologie, domaine très porteur car considéré très favorablement par le public. Dans ce dernier domaine, tout y passe : retraitement des déchets (majoritairement de manière frauduleuse), expropriations de terrains pour y construire des champs d’éoliennes ou de panneaux solaires qui dans la majorité des cas ne fonctionneront jamais correctement, escroqueries diverses et variées, détournement des subventions (particulièrement européennes), etc..

Une exception notable à cette relative discrétion est constituée par les cartels latino-américains qui profitent de la faiblesse des États qui ne sont plus en mesure d’assurer leurs missions régaliennes. Ces OCT, même si elles ne prennent pas officiellement le pouvoir, remplacent l’État dans de nombreuses régions en s’assurant une certaine tranquillité grâce à la corruption généralisée de l’ensemble de la société et plus particulièrement de l’administration. La phrase célèbre « plata o plomo » (de l’argent ou du plomb) s’applique à plein.

En fait, le vrai risque pour les OCT sont les guerres internes majoritairement provoquées pour le contrôle (ou la défense) de « territoires » (notion fondamentale du crime organisé) ou de « marchés » (drogues, êtres humains, armes, technologies, etc.).

Cela dit, les organisations préfèrent généralement coopérer pour partager le butin que se déchirer en de vaines guerres des gangs.

À coté des OCT connues, il existe de nombreuses organisations plus discrètes car plus petites et moins internationalistes. Généralement, elles coopèrent étroitement avec leurs grandes sœurs servant d’implantation locale pour la gestion des différents trafics (1).

 

Les OCT célèbres

Cosa Nostra, la Mafia sicilienne historique

Matteo Messina Denaro (1962-2023) en fuite pendant 30 ans avant de mourir en prison.

Immortalisée par le cinéma (la série des films « le Parrain » et bien d’autres), Cosa Nostra, la mafia sicilienne est l’un des groupes criminels les plus célèbres de l’Histoire. Apparue au XIXème siècle, elle a profité des opportunités offerte par l’émigration en Amérique du Nord ainsi que dans d’autres parties du monde pour étendre ses tentacules à l’international. En effet, elle est souvent assimilée à une pieuvre.

Ses activités sont nombreuses, la plus traditionnelle en Sicile étant le racket (Pizzo). Après la seconde Guerre mondiale, elle a infiltré la nouvelle administration mise en place par les forces américaine mais a perdu de son importance après la chute de la Démocratie chrétienne et son affrontement direct avec la justice.

 

N’drangheta, la mafia italienne la plus puissante

Principalement basée dans le sud de l’Italie en Calabre, cette organisation connue depuis la fin du XVIIIème siècle connaît depuis des années une montée en puissance en raison de son rôle majeur dans le trafic de drogue à l’international. Elle compterait plus de 10.000 membres réparties dans le monde depuis le continent américain dans son ensemble jusqu’à l’Australie.

 

Camorra

La Camorra  est l’un des groupes criminels les plus anciens d’Italie sévit en Campanie. Au lieu d’avoir une hiérarchie stricte, cette organisation est composée de nombreux clans qui ont chacun leur propre ordre du jour. Certains ont des antennes en Amérique latine et en Espagne.

Mafia albanaise

La mafia albanaise a quasi supplanté ses homologues italiennes à l’international. En effet, cette structure est présente dans le monde entier et plus particulièrement au Canada, en Chine, en Australie, dans les Balkans. Dans les faits, les Albanais coopèrent avec leurs homologues étrangers pour partager de juteux marchés, particulièrement celui des êtres humains.

Triades

Datant du XVIIIe siècle, les Triades faisaient à l’origine partie d’une série de sociétés secrètes en Chine qui ont survécu grâce à l’occupation britannique. Elles ont été chassées par le Parti Communiste chinois (PCC) et trouvé refuge à Hong Kong et à Taïwan. Tchang Kaï Chek, et homme fort du Kuomintang ont toujours entretenu des liens étroits avec les Triades. Ces dernières sont revenues progressivement sur le continent chinois dans la mesure où elles ont fait allégeance au PCC.

Axées sur ces activités illégales telles que le trafic de drogues, la contrefaçon et la prostitution, les membres des Triades sont présents partout dans le monde profitant de l’importante diaspora.

Yakuzas

Les Yakuzas sont l’un des plus anciens syndicats du crime au monde. Bien implantés dans la société nippone, ils ont cependant du mal à s’exporter à l’international. Pour cela, particulièrement en Extrême-Orient, ils nouent des relations avec les Triades qui ont plus de facultés dans ce domaine. Avec elles, ils contrôlent le « Triangle d’Or » qui devrait retrouver un deuxième souffle depuis que les talibans ont interdit la culture du pavot en Afghanistan.

Cartels mexicains

Les Cartels mexicains sont des OCT très puissantes et particulièrement violentes. Nombreux, des guerres internes ont lieu en permanence pour obtenir la suprématie sur des « territoires ». Pour le moment, l’OCT en tête de liste de Cartel de Jalisco Nouvelle génération (CJNG). Ses sicarios sont présents dans toute l’Amérique latine où ils épaulent des cartels locaux. Il n’y a que le Brésil qui résiste à son emprise ayant sa propre criminalité autochtone très puissante (Commandement Rouge, Commandement de la Capiale, etc.).

 

Mafias russes

Les organisations criminelles les mieux organisées semblent être les mafias russes. Elles ont un long héritage qui date de la période impériale des années 1720, mais sa réputation de violence date de l’ère soviétique. C’est là que sont apparus les Vory v Zakone (Bandits dans la loi) qui constituent une « élite » du crime organisé slave. Ces mafias sont surtout spécialisées dans le racket, le trafic de drogues et le marché noir. La plus connue est la Solntsevskaya Bratva de Moscou. Suite à l’invasion de l’Ukraine, la mise en place d’un nouveau « rideau de fer » entre l’Europe occidentale et la Russie et la Biélorussie est une opportunité pour toutes les OCT dont les mafias russes. En effet, cela ouvre la voie à de nouveaux marchés de contrebande (matérielle et humaine.)

Mafia géorgienne

La criminalité dite russe s’étend à toutes les anciennes Républiques d’URSS particulièrement à la Géorgie. Là, les groupes criminels sont partagés entre les deux principales villes Tbilissi et Kutaisi. Plus largement les OCT « périphériques » (arméniennes, azéries, tchétchènes, etc.) se livrent – sans s’y limiter – à la traite des êtres humains, au blanchiment d’argent, au racket. Une spécificité de leurs spécificités : la fourniture de tueurs à gages.

Mafia serbe

Au début des années 2000, la mafia serbe aurait été plus riche le gouvernement. Son capital considérable a été gagné grâce à la contrebande à travers toute l’Europe.

Criminalité organisée israélienne

Composée de d’environ vingt familles criminelles et également connue sous le nom de mafia israélienne, cette OCT est largement développée en Israël en particulier à partir de migrants issus d’ex-URSS (d’où un trafic de faux certificats de judaïcité.) Mais l’organisation a aussi des liens en dehors du pays. La mafia israélienne s’est tristement sortie avec un record de braquage de bijoux à New York. En outre, elles est très active sur le continent américain.

Les cinq familles de New-York

Entre 1930 et 31, une guerre des gangs a amené le regroupement des « cinq Familles » : Bonanno, Colombo, Genovese, Gambino et Lucchese. Elles sont aussi présentes au Québec via le clan Rizzuto (dit la « sixième famille »), en Floride et dans le New Jersey… Elles sont toujours actives aujourd’hui malgré les condamnations de nombreux « boss » et autres « soldats. ».

Bandes de motards

Formé pendant le boom de l’après-guerre des vétérans américains de retour, le Hells Angels Motorcycle Club a acquis une réputation qui a inspiré de nombreuses autres organisations du même genre (Bandidos, Outlaws, Mongols …) Elles sont présentes dans de nombreux pays avec une grande volonté d’expansion. Leur notion de « territoire » est donc plus vague et les guerres opposent surtout les clubs.

Fraternité aryenne

La Fraternité aryenne s’est constituée dans les pénitenciers américains provoquant des émeutes raciales dans les prisons. Elle a ensuite étendu son influence au dehors. Il y aurait plus de 20.000 membres. Elle constitue le plus grand gang de prison américain.

Latin Kings

Bien que les Latin Kings aient pris naissance à Chicago, ils se sont étendus à l’Équateur, à l’Italie et au Canada. Alors que l’organisation était à l’origine destinée défendre les hispano-américains contre les gangs de prison (dont la Fraternité aryenne), elle s’est considérablement développé comptant désormais rien que dans la région de Chicago plus de 30.000 membres actifs. Ce groupe est impliqué dans toutes les activités criminelles depuis la distribution de drogues à l’homicide.

Les Crips et les Bloods

Les Crips ont été fondés à la fin des années 1960 comme un groupe unifié de jeunes afro-américains désabusés confrontés à des difficultés urbaines à Los Angeles. Ils sont finalement devenus l’un des principaux gangs de rue en Amérique avec un total estimé de 35.000 membres actifs. Peu de temps après leur fondation, les Bloods se sont constitués comme un contre-pouvoir aux Crips conduisant à une guerre de plusieurs décennies. Reconnus par divers signaux de la main et leurs couleurs opposées, les Crips (en bleu) et les Bloods (en rouge) ont acquis une réputation d’extrême violence urbaine et maintiennent une présence menaçante sur les territoires qu’ils contrôlent.

Compagnie D

La D-Company est un syndicat criminel violent indien qui se livre au racket, aux fraudes à grande échelle et à des activités à caractère terroriste. Dawood Ibrahim en est le parrain depuis les années 1970. La D-Company entretient des liens suspects avec l’industrie cinématographique florissante de Bollywood.

La criminalité grecque se fait remarquer

Le 14 janvier vers 02 H 00 du matin, un meurtre dans le plus pur style des films de gangsters a eu lieu dans une station-service dans le sud d’Athènes mettant en lumière le crime organisé grec non cité plus avant.

Vangelis Zambounis, a été abattu par plus de 90 coups de feu tirés au fusil d’assaut de type Kalachnikov puis achevé à l’arme de poing.

Zambounis âgé de 44 ans était considéré comme un des principaux caïds du monde criminel grec. Il se livrait à des activités de racket, de contrebande de cigarettes et d’hydrocarbures. Dans le film tiré d’une caméra de vidéoprotection, Zambounis est vu entrer dans une BMW blindée garée devant une station-service dont il est le propriétaire dans la banlieue de Neos Kosmos à Athènes.

Une voiture Lexus avec de fausses plaques d’immatriculation volées en Italie il y a des mois s’arrête derrière la BMW. Deux hommes en descendent et l’un s’approche de la BMW et tire à bout portant avec un fusil d’assaut sur la fenêtre du conducteur s’arrêtant même pour changer de chargeur. Le tireur sort ensuite une arme de poing de sa veste, ouvre la porte de la voiture et tire à nouveau sur l’occupant. Le deuxième arrose également de plusieurs rafales le véhicule. Les deux tueurs repartent ensuite à bord de la Lexus qui a ensuite été retrouvée à la périphérie d’Athènes.

Les médias grecs rapportent qu’une Kalachnikov aurait été retrouvée dans le coffre de BMW et que Zambounis portait une arme de poing dans un holster de ceinture.

Il avait déjà échappé à une tentative de meurtre en 2018 lorsque l’arme du tueur qui le visait s’était enrayée.

L’enquête en cours s’intéresse aux assassinats des caïds Yiannis Skaftouros en mai 2022 et Vassilis Roubetis en juin 2023 dans lesquels trois individus liés au crime organisé ukrainien seraient liés. Depuis ces disparitions, Zambounis tenait le haut du pavé au sein du crime organisé grec. Pour l’instant, la police ne semble pas savoir qui a commandité quoi.

Les groupes criminels organisés autochtones sont bien implantés dans les plus grands centres urbains grecs, notamment à Athènes. Comme ailleurs, ces OCT ne doivent pas être confondues avec les petits gangs qui se livrent à des délits de rue de moindre envergure.

En plus des organisations criminelles grecques, Cosa Nostra, la Camorra et les groupes mafieux albanais, roumains et serbes opèrent en Grèce. La position géographique du pays en fait un carrefour intéressant pour tous les trafics, surtout pour les migrants clandestins (domaine qui relève souvent du « trafic d’êtres humains ».)

Les OCT internationale qui ne peuvent pas les gérer depuis le point de départ jusqu’à la destination finale ont tout intérêt à se partager la tâche même si cela les oblige à aussi partager les bénéfices.

Les patrons du crime organisé grec sont appelés localement les « Parrains de la nuit ».

Opérant en grande partie en tant que propriétaires de boîtes de nuit, ils dirigent leurs activités illégales à partir de ces lieux.

Les autorités estiment à 217 le nombre de « boss » (appellation italienne) du crime national dans le pays.

En dehors des centres urbains, l’île de Crète est connue pour abriter des clans criminels familiaux impliqués dans la culture et le trafic de marijuana aux niveaux national et international.

Les enlèvements et le trafic d’armes sont également des activités de choix, souvent en collaboration avec la mafia albanaise.

L’importante flotte navale civile grecque permet au milieu d’exploiter à plein cette compétence pour acheminer clandestinement des stupéfiants et des hydrocarbures depuis les ports maritimes locaux vers des centres de distribution importants tels que Naples ou Anvers.

À noter que la marijuana cultivée principalement sur l’île de Crète et dans la péninsule du Péloponnèse est expédiée chaque année vers toute l’Europe. Les Pays-Bas qui ont une législation très permissive sont une destination privilégiée car le transport de stupéfiants restant un délit, cela encourage la contrebande vers ce pôle d’aspiration…

Une spécificité du crime organisé grec est constituée par les jeux de hasard au même titre que les courses de chevaux, les cartes, les casinos et les transactions au marché noir.

Selon le quotidien grec Kathimerini, plus de vingt meurtres sur contrat ont été commis depuis 2017 en Grèce au sein du crime organisé.

À l’international

En plus de Chypre, des familles criminelles chypriotes grecques opèrent au Royaume-Uni et en Afrique du Sud.

Comme pour les mafias italiennes qui sont à l’origine de leurs homologues italo-américaines, le crime organisé grec s’est développé sur le continent nord-américain, des organisations gréco-américaines et gréco-canadiennes prenant de relai.

Certains de ces groupes criminels peuvent n’être que vaguement connectés ou même totalement indépendants de leurs homologues grecs en Europe, mais d’autres ne sont que des extensions américaines de groupes grecs.

À noter que les gangs grecs ne peuvent être qualifié de « mafia » car ils ne remplissent pas les conditions nécessaires (traditions, recrutement, hiérarchie rigide, etc.)

 

1. Voir : « LE CRIME PEU CONNU : L’IRLANDAIS » du 11 septembre 2023.

Publié le

Texte

ALAIN RODIER