La criminalité albanaise qui peut être assimilée à des mafias(1) est l’une des plus importantes d’Europe rivalisant avec toutes les autres.

À la fin du XXème siècle, elle a eu l’intelligence de ne pas tenter de s’opposer par la force au crime ouest-européen, turc et originaire des pays de l’ex-URSS mais, au contraire de nouer des alliances profitables de type « gagnant-gagnant. » Ainsi, elle a peu à peu gangréné tout le continent européen et ouvert de nouveaux marchés vers les trafiquants latino-américains et afghans.

Comme toutes les autres criminalités, ses membres apprécient au plus haut point l’Espagne(2) pour son climat et parce que c’est un carrefour pour les drogues entrant en Europe occidentale depuis les continents américain et africain.

Cela dit, les forces de sécurité espagnoles ne restent pas inactives et lèvent parfois de belles affaires.

Ainsi, le 12 avril 2023, la Garde civile espagnole soutenue par Europol, a démantelé le « clan Farruku », une des Organisation criminelle transnationale (OCT) albanaise très importante présente en Albanie mais aussi en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et dans le port belge d’Anvers(3). Elle a profité du fait que l’opération policière européenne « Kompania Bello » a démantelé un réseau international de trafic de stupéfiants fort de quatorze « familles » albanaises en 2020 pour remplir le vide ainsi créé.

Cette famille originaire de Durrës a comme parrain Reshit Farruku (le père) et ses fils, les frères Kreshnik, Roland et Erniu. Ce clan s’est longtemps opposé dans une guerre sanglante avec le clan Kërtalla de Shijak. Deux frères Farruku avaient alors été assassinés.
Cette OCT est aussi présente en Équateur et au Pérou, ces deux pays devenant des chasses gardées pour les mafias albanaises. Le clan Farruku y représente non seulement ses propres intérêts, mais aurait reçu délégation par la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise actuellement considérée par Washington comme l’une des cinq OCT les plus puissante mondialement.
Mais la famille Farruku est loin d’être seule sur le marché du crime albanais.

Un « baron de la drogue » albanais, Dritan Rexhepi, est en fuite depuis 2022. Arrêté en Équateur en 2015 et condamné à treize ans de prison pour trafic de cocaïne, il avait bénéficié d’une libération probatoire en 2021 et devait rester dans le pays jusqu’en juin 2027. Utilisant les pseudonymes Mutaraj Lulezim et Edmir Kraja, il a échappé depuis 2006 à plusieurs reprises aux polices belge, italienne et espagnole. Ces trois pays ont lancé des mandats d’arrêt contre lui…
Il entretenait des relations avec le trafiquant équatorien Cesar Emilio Montenegro Castillo alias « Don Monti » (arrêté en 2011) lui-même lié au cartel colombien Norte del Valle mais aussi avec Joaquín Guzmán Loera alias « El Chapo » le boss du cartel de Sinaloa arrêté en 2016 et condamné aux USA à la perpétuité plus 30 ans… Dritan Rexhepi est un expert dans le transfert d’argent sale concurrençant même les triades chinoises dont c’est une spécialité.

Il y a également le trafiquant et véritable tueur en série Domart Konjari qui est toujours dans la nature (voir plus loin).

Le clan Farruku est apparu sur les écrans radar de la police espagnole en 2017 (mais il était déjà « bien connu » en Albanie et en Italie depuis 2007) serait très actif depuis 2018. Sa principale activité serait le trafic de drogues et les vols avec violences. Sa méthode consistait à échanger de la cocaïne contre du haschich avec des cartels latino-américains.

Le 16 avril 2023, 17 suspects ont été appréhendés dans les provinces de Cadix, Malaga, Madrid, Barcelone et Tolède. Vingt autres ont été convoqués dans le cadre de l’enquête.

Parmi les personnes arrêtées figure Kreshnik Farruku-Budla (le nom de son épouse) alias « Nico ». Il est connu pour ses relations étroites avec la ‘Ndrangheta.
« Niko » se faisait passer pour un inspecteur de la police albanaise avec des pouvoirs de recherche dans toute l’Union européenne. Les perquisitions ont permis de trouver des photos où il apparaissait en uniforme de la Garde civile.
Cela ne l’avait pas empêché d’être arrêté avec un de ses frères et un membre du clan en mai 2019…
Il était déjà un fugitif s’étant évadé de prison en 2014 après avoir été arrêté en 2010 à Barcelone pour trafic de drogue vers l’Italie.

Il est globalement accusé de trafic de cocaïne, de vols avec violences et de deux meurtres commis en Espagne en 2008 (un de ses lieutenants) puis 2010 (son boss). Le dernier aurait été exécuté par un certain Devi Kasmi assassiné à son tour en janvier 2018 à Tirana à la demande d’une figure du crime albanais, Domart Konjari recherché en Albanie, en France (où il a été condamné à quinze ans de prison en 2015), aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne, en Italie et en Allemagne…

Ce coup de filet a été la conclusion d’une vaste opération policière dans toute l’Europe mais aussi en Amérique latine au cours de laquelle près de dix tonnes de cocaïne et dix tonnes de haschisch ont été saisies.

Le point de départ de l’enquête avait été la découverte en janvier 2022 de deux tonnes de cocaïne dissimulées dans une cargaison de poisson congelé à bord d’un container au port d’Algesiras. Ce dernier provenait de Guayaquil en Équateur. Vraisemblablement une conséquence de cette prise, Ergys Dashi, un Albanais lié à l’organisation avait été assassiné par balles le 23 janvier 2022 dans un restaurant en Équateur.

À ce jour, 39 suspects sont sous les verrous, 25 véhicules et 22 biens immobiliers ont été saisis pour une valeur approximative de plus de 4,2 millions d’euros et les comptes de 14 particuliers et de 30 entreprises ont été bloqués.

Selon les forces de l’ordre espagnoles, les chefs et donneurs d’ordres du clan familial Farruku étaient installés sur la Costa del Sol, ainsi qu’à Madrid et Barcelone.
Les personnes qui stockaient puis transportaient la drogue étaient des Espagnols vivant à Gibraltar et sur la Costa del sol.
Mais comme toujours, la pieuvre renaît de ses cendres et d’autres clans devraient rapidement prendre le relai. Elle ne fait pas la « une » de l’actualité car elle préfère agir dans l’ombre profitant de toutes les opportunités que les situations chaotiques mondiales lui offrent.
Son but : faire de l’argent ; son moyen privilégie (bien avant la violence qui n’est selon elle que l’« arme des imbéciles ») est la corruption.

1. Les organisations criminelles albanaises sont considérées comme des mafias parce qu’elles ont un code dit d’« honneur » (le Kanun), un recrutement communautaire et une « initiation » pour ses nouveaux membres.
2. 2. L’Espagne est depuis longtemps une « zone neutre » où toutes les organisations criminelles mondiales peuvent se retrouver sans se massacrer. Les villes de Madrid, Barcelone et surtout de la Costa del Sol sont particulièrement appréciées.
3. 3; Anvers est une plaque tournante pour l’entrée des différentes drogues en Europe. Presque toutes les OCT y sont présentes et se partagent le pactole. L’une d’entre-elle tient tout de même le haut du pavé : la Mocro-Maffia.

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Texte

Alain Rodier

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