Dans ce qui deviendra probablement un moment décisif pour l’Arctique, la Russie a envoyé le tout premier pétrolier conventionnel sur sa Route Maritime du Nord (Northern Sea Route – NSR -). Le Leonid Loza a quitté le mouillage de Mourmansk aux premières heures du 11 septembre 2023 à destination du port de Ningbo en Chine. Compte tenu de sa vitesse actuelle et de sa direction, le pétrolier de taille Aframax - capable de transporter jusqu’à un million de barils de pétrole brut - entrera à la mi-septembre sur la route maritime du Nord de la Russie, au nord de l’archipel de Novaya Zemlya.

Conformément aux annonces des responsables russes faites début 2023, Moscou donne suite à son projet d’envoyer des convoyages de pétrole brut via sa Route Maritime du Nord dans des pétroliers non certifiés « polaires ».

Jusqu’à présent, les expéditions de pétrole se faisaient uniquement à bord de navires spécialement adaptés à l’ambiance polaire. Le Leonid Loza est le premier pétrolier conventionnel à tenter de traverser la NSR.

L’opérateur NS Breeze Shipping (Dubaï) du navire battant pavillon libérien a reçu l’autorisation du Russe Rosatom, l’administrateur de la NSR, le 1er septembre 2023 (c/f photo ci-dessous).

Le permis confirme que le navire ne possède aucune classification « polaire ». Il est autorisé à naviguer sans aide dans les eaux libres de glaces et avec une escorte de brise-glaces dans des conditions de « glace légère ».

Déroutement suite aux sanctions

Le marché pétrolier européen étant interdit en raison des sanctions, la Russie a redirigé une partie de son brut de l’Arctique et de l’Oural vers la Chine.

Tout au long des mois de juillet et août, elle a expédié une douzaine de pétroliers de classe « polaire » depuis Primorsk et Ust-Luga dans la Baltique ainsi que Mourmansk dans la mer de Barents.

Les conditions difficiles des glaces dans la mer de Sibérie orientale ont retardé les expéditions initiales cet été de plus d’une semaine, car les pétroliers dotés d’une classification « polaire » plus légère ont dû attendre une configuration plus favorable et des escortes de brise-glaces (la Russie en possède une quarantaine dont plusieurs à propulsion nucléaire).

La dernière carte des glaces disponible par l’Institut russe de recherche sur l’Arctique et l’Antarctique continue de montrer des conditions de glace modérées le long de certaines parties de la NSR potentiellement incompatibles avec le permis de Leonid Loza.

L’étendue minimale annuelle de la glace de mer se produit traditionnellement au cours de la seconde quinzaine de septembre.

Vendre du pétrole à la Chine via l’Arctique

Michael Byers, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique mondiale et droit international à l’Université de la Colombie-Britannique explique : « les pays désespérés font des choses désespérées. Au moins, le pétrolier est à double coque, grâce aux modifications juridiques apportées à l’Organisation maritime internationale après l’accident de l’Exxon Valdez […] La Russie est évidemment en guerre et soumise à de sévères sanctions. Le Kremlin fera tout son possible pour livrer du pétrole aux pays encore disposés à l’acheter, comme la Chine, afin de maintenir l’économie russe en vie […] Cela soulève la question suivante : un État voyou peut-il changer la pratique générale des États arctiques ? Je ne m’attends pas à voir d’autres pays suivre la Russie sur ce point ».

Sur sa route vers la Chine, le Leonid Loza passera également par le détroit de Béring, adjacent à la côte ouest de l’Alaska.

Les pétroliers traversant le détroit étaient rares jusqu’à cette année. Avec la mise en service en 2024 du projet d’exploitation pétrolière Vostok sur les côtes de la mer de Kara en Arctique, les expéditions de pétrole en transit à travers ces eaux saisonnièrement couvertes de glace sont vouées à augmenter.

L’impact de l’invasion russe de l’Ukraine a des conséquences jusque dans l’Arctique. La principale région du monde couverte par des accords diplomatiques internationaux et aujourd’hui devenue une zone où les tensions militaires s’accentuent. Lorsque la Suède et la Finlande auront rejoint l’OTAN, tous les pays de l’Arctique, à l’exception de la Russie, seront membres de l’alliance dirigée par les États-Unis.

Pour l’instant, la guerre n’a pas porté atteinte aux principaux intérêts économiques et sécuritaires de la Russie dans la région, mais elle a eu un certain impact sur sa préparation militaire à court terme, notamment en termes de capacités terrestres, voire maritimes ou aériennes.

En outre, certains éléments préliminaires indiquent que les sanctions et les contrôles à l’exportation pourraient diminuer dans une certaine mesure la capacité de la Russie à déployer des armements supplémentaires en Arctique.

Dans le même temps, le recours par la Russie à des tactiques hybrides dans la région semble augmenter à la fois en fréquence et en gravité.

Les États-Unis et l’OTAN devront faire le point sur ces évolutions dans une région à laquelle ils n’ont pas toujours accordé la priorité, alors qu’ils commenceront à mettre en œuvre leurs nouvelles stratégies respectives.

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Texte

Alain Rodier