La tension entre l’OTAN et la Russie continue à s’exacerber, non seulement en Ukraine mais aussi tout le long de ce qui peut être qualifié de « nouveau rideau de fer » en Europe - sauf qu’il a reculé jusqu’aux marches de la Russie englobant les anciens alliés du Pacte de Varsovie -. D’autres théâtres sont envisageables. Déjà, une grande partie de l'Afrique subsaharienne est soumise aux combats entre les forces gouvernementales appuyées au Mali, au Burkina Faso et au Niger par Moscou, les milices et les groupes extrémistes. Le Myanmar et le Soudan sont ravagés par la guerre civile. Quant à Gaza et plus globalement au Proche-Orient, les affrontements sont quasi quotidiens...

Des dirigeants militaires et politiques des pays de l’OTAN ont demandé aux populations à se préparer à l’éventualité d’un affrontement direct contre la Russie.

Ainsi, l’amiral Rob Bauer, président du Comité militaire de l’OTAN a prévenu que la Russie pourrait lancer une attaque dans les deux prochaines décennies.

Le secrétaire britannique à la Défense, Grant Shapps, est allé encore plus loin, prédisant d’éventuelles guerres impliquant la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran au cours des cinq prochaines années. Pour lui, la situation évolue d’un « monde d’après-guerre à un monde d’avant-guerre.»

De son côté, le général Sir Patrick Sanders, chef de l’armée britannique, a réitéré cette sombre prédiction. Il a décrit la population britannique comme une « génération d’avant-guerre » qui devrait se préparer à un conflit avec une Russie de plus en plus agressive.

S’il convient de modérer ces déclarations animées par des arrière-pensées politiques et la volonté d’augmenter les budgets militaires, ils sont néanmoins à prendre avec sérieux. Ces autorités détiennent des informations non connues du grand public.

À l’avenir, des affrontements avec la Russie pourraient se déclencher au milieu de la calotte glaciaire du pôle Nord. En effet, l’Arctique qui constitue un centre d’intérêt militaire et économique vital pour la Russie pourrait constituer le lieu du début d’une guerre majeure avec l’OTAN.

La région arctique subit des changements sans précédent en raison du réchauffement climatique qui provoque la fonte de la glace. Cela ouvre de nouvelles perspectives d’exploitation d’un trésor de ressources naturelles auparavant inexploitées. De nouvelles routes commerciales commencent tout juste à être exploitée. En une phrase, cette région est à gagner pour obtenir une supériorité stratégique et la Russie est la mieux placée pour cela.

Les autres grandes puissances militaires et économiques, Chine, États-Unis mais aussi d’autres nations arctiques tente aussi d’influer sur la situation sur zone.

 

Les richesses convoitées de l’Arctique

Las calotte glaciaire en recul a laissé entrevoie de vastes réserves de ressources vitales. Ainsi, l’US Geological Survey estime que l’Arctique détient environ 90 milliards de barils (environ 15 %) des ressources pétrolières non découvertes dans le monde et quelque 40 milliards de barils (environ 30 %) de ses ressources de gaz naturel non découvertes.

La région est également riche en minéraux de terres rares nécessaires à la production des technologies modernes : batteries, puces …

D’autre part, les conditions arctiques sont idéales pour maximiser le captage des énergies renouvelables. Les vastes étendues désertiques permettent la construction de champs de panneaux solaires, d’éoliennes et les immenses mers offrent aux turbines marines des possibilités de produire de l’énergie hydroélectrique.

Des pays comme l’Islande et la Finlande exploitent déjà l’énergie hydroélectrique, éolienne et géothermique pour satisfaire la quasi-totalité de leurs besoins énergétiques aux côtés de l’énergie nucléaire.

Enfin et à court et moyen termes, l’accessibilité croissante des routes commerciales existantes telles que la route maritime du Nord (Northern Sea Route, NSR) ou le potentiel de nouvelles voies navigables transpolaires – pourrait réduire considérablement les délais de transport de fret et aussi la consommation de carburant.

Il serait même possible d’avancer que la prochaine guerre mondiale pourrait être provoquée par les défis écologiques…

La distance d’un port européen au nord-ouest de l’Extrême-Orient par la NSR est inférieure de près de 40 % à celle transitant par le canal de Suez.

Et la fonte de la glace arctique signifie que plus de brise-glaces et même des navires à coques renforcées, pourront traverser des régions qui étaient jusque là inaccessibles par les routes transpolaires.

Ainsi, le transport maritime via l’Arctique constitue un avantage économique très attractif pour tous les pays concernés.

La Russie est largement en avance

Alors que l’Occident est confronté à de nombreux défis pour affirmer ses intérêts dans le Grand Nord, la Russie s’est stratégiquement positionnée en tête de la course à la domination de l’Arctique. Géographiquement elle possède plus de 53 % des côtes de l’océan Arctique.

L’un des domaines clés où la Russie a pris la tête est la technologie des brise-glaces.

Selon Nicolas Jouan, expert de la RAND Euope : « la Russie dispose d’un avantage significatif au niveau de l’Arctique avec des dizaines de brise-glaces actifs, y compris des variantes à propulsion nucléaire […] Le Royaume-Uni et les États-Unis ont respectivement un et deux brise-glaces opérationnels. C’est probablement le principal écart de capacité entre l’OTAN et ses concurrents en ce moment. »

Depuis 2014, Moscou a également investi des sommes colossales dans le développement des infrastructures militaires sur zone.

La Russie possède déjà 30 % de bases militaires de plus dans l’Arctique que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN.

Le président Vladimir Poutine envoie désormais des troupes, des brise-glaces, des navires de guerre et des sous-marins dans la région, et mène également des exercices dans l’Arctique pour tester ses missiles hypersoniques.

Dans le détail, plus de 50 bases arctiques de l’ère soviétique, y compris des aérodromes, des stations radar, des ports de fret, des rampes de lancement de missiles et des chantiers navals, ont été rénovées, tandis que d’autres – dont des dizaines d’aérodromes dans la péninsule de Kola, à environ 320 kilomètres à l’est de la Finlande ont été agrandies pour accueillir des forces plus importantes, y compris des bombardiers et des missiles à capacité nucléaire.

La principale composante de l’arsenal nucléaire de la Russie est servie par  flotte du Nord dont le siège est situé à Severomorsk, une ville du cercle arctique.

 

Non seulement la Russie renforce ses capacités technologiques et militaires au nord, mais elle est à l’offensive en tentant de déstabiliser les opérations d’autres nations arctiques par le biais d’un mélange de cyber attaques et de campagnes de désinformation.

L’Alaska, la Norvège, le Canada et la Finlande ont tous souffert d’une série de cyber attaques au cours des trois dernières années. Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, même les pacifiques Islande et Groenland ont fait part d’une augmentation notable d’un «trafic Internet suspect».

Il est également possible que Moscou puisse déployer des sous-marins (tout le monde pense au fameux Belgorod (1)) ou des drones maritimes pour couper des câbles sous-marins à fibres optiques infligeant des perturbations sans précédent à l’infrastructure, à la logistique et aux communications occidentales dans un contexte d’escalade des tensions.

En ce qui concerne le commerce et l’extraction des ressources, la Russie revendique la propriété et le contrôle de la majeure partie de la route de la mer du Nord, le chemin de transport maritime arctique le plus accessible qui pourrait devenir une nouvelle voie d’accès pour le commerce international.

La route maritime du Nord (NSR) longe la côte arctique de la Russie et se situe donc dans la zone économique exclusive de la Russie, ce qui permet à Moscou d’assumer le contrôle des activités de transport maritime, de navigation et d’exploitation des ressources, conformément à l’article 234 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM).

Les navires étrangers doivent donc demander l’autorisation de naviguer dans ces eaux et sont aidés par les brise-glaces russes – en payant des droits aux autorités russes -.

Il s’agit là d’un point de discorde majeur pour de nombreux pays, en particulier pour les États-Unis, qui ont fait valoir – jusqu’à présent sans succès – que de vastes parties de la NSR devraient être considérées comme des eaux internationales.

Et au milieu de relations tendues avec l’Occident, la NSR offre à la Russie un moyen d’expédier ses exportations vers la Chine, l’Inde et d’autres acheteurs sans possibilité pour l’OTAN de contrôler quoique-ce-soit.

À mesure que les glaces continuent à s’éloigner et que d’autres routes maritimes deviennent plus accessibles, l’accent mis depuis longtemps par la Russie sur la stratégie et l’infrastructure de l’Arctique lui donnera une influence considérable dans la définition de l’avenir du commerce mondial.

La Chine essaie d’entrer dans le jeu

La Chine (avec les États-Unis) se décrit comme un « État pré-Arctique. »

Bien qu’elle n’ait aucun droit à la souveraineté sur les eaux arctiques ou les plateaux continentaux, la Chine est classée comme un « observateur » au Conseil de l’Arctique – le groupe de huit États arctiques composé du Canada, du Danemark (via le Groenland), de la Finlande, de l’Islande, de la Norvège, de la Russie, de la Suède et des États-Unis.

Les réclamations de la Chine concernant le « Grand Nord » sont totalement injustifiées aux yeux de beaucoup d’États.

Mais Pékin a les moyens et la motivation de devenir un acteur majeur dans le développement de l’Arctique et la course à l’accès à ses ressources naturelles et à ses routes commerciales.

La Chine est à l’avant-garde de la recherche sur le permafrost et de la technologie polaire, car de grandes parties du pays – en particulier le plateau tibétain – sont recouvertes de glace toute l’année.

Cela signifie que Pékin a beaucoup investi dans le développement d’infrastructures conçues pour fonctionner dans des conditions de froid extrême. Elle construit de nouveaux brise-glaces pour les ajouter à sa flotte déjà en plein essor.

Et il est possible que Poutine, compte tenu de la dépendance du Kremlin à l’égard de la Chine en tant que partenaire économique et commercial et principal allié politique, puisse chercher à offrir au président Xi Jinping  des accords favorables pour l’accès à cette région où il n’a aucun droit officiel.

La culture de l’influence dans le Grand Nord et l’accès au développement des voies navigables arctiques sont essentiels pour Beijing, qui est actuellement contraint de mener l’essentiel de son commerce par une série de points d’étranglement clés qui ne sont pas sous son contrôle.

L’un de ces endroits est le détroit de Malacca – un goulet d’étranglement stratégique bordé par l’Indonésie, la Malaisie et Singapour, qui sont tous associés aux États-Unis.

Le directeur du programme de politique étrangère de la Brookings Institution, Bruce Jones, a déclaré: « La Chine est extrêmement dépendante du flux de ressources par les voies navigables critiques… en ce moment, les États-Unis dominent tous les principaux points d’étranglement qui coulent dans la mer de Chine méridionale […] C’est une énorme vulnérabilité pour la Chine. »

Pour lui, le développement de la puissance navale et le fait d’être à l’avant-garde du développement de l’Arctique pour garantir des passages commerciaux favorables font partie aujourd’hui des priorités clés du Parti communiste chinois.

Comme la Russie, la Chine a racheté des biens immobiliers dans les pays arctiques et entretient également une série de bases satellites et de réseaux d’antennes. Ceux-ci sont ostensiblement à des fins de recherche, mais ont probablement un double usage militaire.

La Chine soutient également, avec d’autres pays, qu’elle devrait être impliquée dans des discussions au plus haut niveau sur l’impact écologique du développement de l’Arctique en raison du préjudice potentiel de l’élévation du niveau de la mer pourrait faire face à des villes côtières massives comme Shanghai.

Les nations arctiques peuvent-elles se rassembler ?

Bien que la Russie et, dans une moindre mesure, la Chine aient manifestement l’intention de s’emparer de la domination de l’Arctique, il n’y a pas de véritable conflit, ni même de concurrence manifeste, dans le Grand Nord à l’heure actuelle.

Alors que les relations entre l’Est et l’Ouest sont sur le recul, la coopération arctique s’est également réduite, les pays occidentaux du Conseil de l’Arctique  publiant le 8 juin 2022 une déclaration affirmant leur intention de reprendre la coopération sur un nombre limité de projets précédemment approuvés qui n’impliquent pas la direction ou la participation de la Russie.

Avant cela, les experts estiment qu’il est possible pour d’autres nations arctiques – qui sont toutes des pays alignés sur l’Occident – de travailler ensemble et de contrebalancer efficacement toute menace qui pourrait venir de l’Est.

Avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, sept des huit nations arctiques seront membres de l’Alliance.

Cela pourrait considérablement renforcer la capacité du Conseil de l’Arctique de définir une approche de sécurité multilatérale plus rigoureuse pour s’attaquer à la domination technologique et militaire russe.

Chaque membre du Conseil de l’Arctique a des droits souverains sur son territoire et sur la zone économique exclusive. Mais selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et le droit international, toutes les parties de l’Arctique en dehors des zones économiques exclusives sont classées comme eaux internationales ou en haute mer.

Une vaste partie du territoire autour du pôle Nord – y compris une grande partie de la route maritime transpolaire qui pourrait devenir une future artère du commerce mondial – est donc ouverte à la libre navigation, à la pêche, à l’exploration des ressources et au survol par toutes les parties, laissant la porte entrouverte à un conflit potentiellement violent pour le contrôle et l’influence dans ces régions au fur et à mesure qu’elles deviennent accessibles.

En conséquence, de nombreux experts plaident en faveur de la mise en place de structures de gouvernance plus concrètes dans l’Arctique afin de fournir un cadre juridique et règlementaire pour régler les conflits futurs et décourager les tentatives de conquête de terres et de ressources.

Bien que le Conseil de l’Arctique soit le principal forum de la gouvernance de l’Arctique, son mandat du Conseil est purement consultatif, dépourvu de pouvoir juridique capables de faire appliquer les règlements ou régler les différends.

Il reste à voir si les membres du conseil peuvent s’entendre sur un cadre renforcé pour promouvoir la bonne gouvernance de l’Arctique et se prémunir contre l’exploitation gratuite du Grand Nord.

Pour l’instant, il est probable que les adversaires s’observent avec des moyens discrets : imagerie satellite, veille technologique, écoutes et surtout patrouilles sous-marines. Pour une fois, ce sont les sous-mariniers qui sont en première ligne.

1. Voir : « Russie : essais à la mer du ‘cuirassé’ sous-marin Belgorod K-329 (Projet 09852) » du 12 février 2021.

Publié le

Texte

Alain Rodier