La police albanaise a effectué le 20 juin une descente dans le camp d'« Ashraf 3 » situé près de la ville de Manëz dans la région de Durres qui accueille des milliers de membres du MEK ('Organisation des Moudjahidines du peuple d'Iran, OMPI), des opposants au gouvernement de Téhéran. La police a déclaré dans un communiqué avoir agi sur ordre de la justice albanaise en raison de la « violation des accords et engagements » pris par les dirigeants de l’OMPI « lorsqu'ils se sont installés en 2013 en Albanie uniquement à des fins humanitaires ».

Les médias locaux ont indiqué que l’opération policière faisait partie d’une enquête sur la cybercriminalité et que des ordinateurs ont été saisis. Il est probable que les cibles de l’OMPI étaient en rapport avec le régime iranien.

Selon ces mêmes médias, lorsque la police est arrivée au camp, des centaines de membres de l’OMPI ont tenté de repousser les policiers ce qui a entrainé des heurts. De son côté, l’OMPI a accusé la police d’avoir utilisé du gaz au poivre tout en prétendant qu’une personne était décédée et qu’une dizaine de ses membres avaient été blessés lors des affrontements. La police albanaise a catégoriquement démenti en ces termes : « pendant l’opération, la police n’a fait aucune victime et n’a utilisé d’armes en aucune circonstance ». Une enquête a tout de même été diligentée pour vérifier les allégations de l’OMPI.

En 2013, sous la pression du gouvernement irakien, l’OMPI avait dû quitter le camp d’Ashraf en Irak. Ses membres avaient principalement été réinstallés en Albanie sous la supervision de l’ONU et de Washington. Le nombre de réfugiés dans ce camp retranché atteindrait les 2.800 – mais peut-être plus car les autorités albanaises ont beaucoup de mal à le contrôler -.

La présence permanente de membres de l’OMPI a attiré les foudres du régime iranien. En 2022, Tirana a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran accusant l’Iran de mener des cyber attaques massives contre l’Albanie.

La situation en France

L’OMPI a exprimé le même jour sa colère après que la Préfecture de police de Paris ait refusé d’autoriser le grand rassemblement traditionnel de l’organisation qui devait se tenir le 1er juillet. Le motif invoqué est que cette manifestation est « susceptible de générer des troubles à l’ordre public en raison du contexte géopolitique » mais aussi que «  le risque terroriste ne doit pas être négligé et la tenue d’un tel évènement rendrait la garantie de sa sécurité, mais aussi celle des invités sensibles, extrêmement complexe. » Ce rassemblement devait accueillir des dizaines de milliers de partisans venant de France mais aussi de toute l’Europe.

Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) la coalition qui coiffe l’OMPI a allégué que l’interdiction du rassemblement était le résultat d’une «pression» exercée sur Paris par le gouvernement iranien.

Attentat déjoué en 2018

Le 30 juin 2018, les autorités avaient déjoué une préparation d’attentat contre ce même rassemblement qui se tenait à Villepinte. Le Mossad aurait fourni les renseignements concernant cette opération. Ces informations ont été exploitées par les services allemand, français et belge. Un diplomate iranien, Assadollah Assadi, en poste an Autriche avait été arrêté en Allemagne (où il n’était pas accrédité) puis extradé en Belgique pour y être jugé. Il aurait remis une charge explosive à un couple d’Irano-Belges qui devait ensuite se rendre à Villepinte pour mettre en œuvre cette charge. Reconnu coupable d’infractions terroristes par un tribunal belge, il a été condamné à vint ans de prison en 2020 mais il a été échangé en mai 2023 contre un travailleur humanitaire belge détenu par Téhéran. En fait, trois irano-Belges ont aussi été jugés. Nasimeh Naami a été condamnée à dix-huit ans de prison et son compagnon, Amir Saadouni, à quinze ans de réclusion. L’ex-dissident Mehrdad Arefani présenté comme un agent du renseignement iranien agissant depuis la Belgique, a été condamné à dix-sept ans d’emprisonnement. Tous trois ont été déchus de leur nationalité belge. Il sera intéressant de voir si Téhéran demande leur rapatriement, ce qui prouverait la réalité du complot.

De nombreuses interrogations sur cette affaire demeurent dont la première est pourquoi le couple porteur de la charge a été interpelle à Woluwe-Saint-Pierre près de Bruxelles à 03 h 35 de Paris le matin même du rassemblement ? Cela dénote au minimum un certain « amateurisme » de la part du « commando ». Pour mener une action de ce type, que les exécutants soient sur place en avance et, en aucun cas, qu’ils n’arrivent « à la bourre ».

Pour revenir à l’interdiction de sa manifestation en France, le CNRI a déclaré : « l’interdiction du rassemblement iranien représente un acte honteux contre la démocratie, la liberté d’expression, la liberté de réunion et la soumission à l’extorsion et à la prise d’otages par la dictature religieuse au pouvoir en Iran ». Il a ajouté qu’il « emploierait toutes les voies légales et politiques pour contester et porter plainte contre cette interdiction injustifiable. » dénonçant également « la pression du régime [iranien] sur la France ».

L’OMPI espérait utiliser l’élan créé par les manifestations dirigées  contre les dirigeants religieux en Iran qui ont éclaté en septembre 2022 après la mort de Mahsa Amini qui avait été arrêtée pour avoir « enfreint les règles vestimentaires » strictes pour les femmes. Les protestations à l’intérieur de l’Iran se sont atténuées mais se poursuivent encore sporadiquement.

L’OMPI

L’OMPI se considère comme le groupe d’opposition iranien le plus important. Organisation controversée considérée comme une secte par ses détracteurs, elle est loin de bénéficier d’un soutien de la population iranienne, même exilée.

D’ailleurs, l’’organisation a été est placée sur la liste officielle des organisations terroristes des États-Unis de 1997 à septembre 2012, de l’Union européenne de 2002 à janvier 2009. Mais ses soutiens de haut niveau américains ( Mike Pence, John R. Bolton, Rudy Giuliani, etc. ) et européens sont parvenus à faire tomber cette qualification.

Le Conseil national de la résistance iranien (CNRI) – la branche politique de l’OMPI – est présidé par Maryam Radjavi, l’épouse de Massoud Rajavi, le fondateur du mouvement mystérieusement disparu en 2003. Elle partage son temps entre son bureau parisien, New York et l’Albanie.

Ce mouvement – dont l’idéologie est un mélange d’islamisme et de marxisme-léninisme – après s’être opposé au Shah, s’est affronté aux mollahs qui ont pris le pouvoir à Téhéran en 1979. Lors de la guerre Irak-Iran, ses activistes ont combattu aux cotés des forces irakiennes, épisode qui les fait considérer comme des « traîtres à la Patrie » par la majorité des Iraniens, même par ceux qui ne sont pas favorables au régime actuel.

L’invasion américaine de l’Irak en 2003 a provoqué la chute de leur protecteur, Saddam Hussein. Depuis, ils n’étaient plus les bienvenus au camp d’Ashraf où ils étaient cantonnés. Placés sous la protection des Américains, ces derniers ont transmis la responsabilité du camp à Bagdad le 1erjanvier 2009. De nombreux incidents sanglants sont survenus dont le plus meurtrier a eu lieu le 1erseptembre 2013 (52 tués). C’est un commando des pasdarans qui aurait attaqué le camp appuyé par une milice chiite irakienne. Un petit nombre de membres de l’OMPI a ensuite été déménagé au « camp Liberté » situé près de Bagdad. Sur le plan sécuritaire, l’OMPI ne pouvait plus rester en Irak.

L’organisation a donc acheté en 2013 en Albanie 34 hectares de terrain où elle a fait construire des bâtiments d’allure militaire.

Ce mouvement a connu son heure de gloire en 2002 en dévoilant le programme nucléaire secret iranien.

Ses soutiens financiers restent plus qu’opaques. Des fondations et des politiciens américains soutiennent l’OMPI car Washington verrait d’un bon œil le remplacement des mollahs à Téhéran par les membres de cette organisation qui dispose déjà une structure type « gouvernement fantôme. » Peu importe son obédience philosofico-politique.

L’affirmation comme quoi l’OMPI n’entretiendrait aucune relation avec les services secrets étrangers – américains, israéliens et saoudiens – semble hautement discutable car ce mouvement bénéficie de sponsors discrets sans lesquels sa survie serait hasardeuse.

D’ailleurs, curieusement, les dernières mésaventures que connait l’OMPI surviennent juste après que Riyad ait repris ses relations diplomatiques avec Téhéran – ce qui déplait au plus haut point à Washington – et que Mohammed Ben Salmane ne soit venu en France…

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Texte

Alain Rodier