L’« Horloge de l’Apocalypse » qui indiquait minuit moins 100 secondes depuis 2020 est passée le 23 janvier 2023 à minuit moins 90 secondes. Pour mémoire, cette « Horloge de l’Apocalypse » est un concept créé en 1947 au début de la Guerre froide.

Depuis, elle est régulièrement mise à l’heure les directeurs du « Bulletin of Atomic Scientists » de l’Université de Chicago. Minuit représente la « fin de monde ».

La crainte que la guerre en Ukraine puisse dégénérer en un conflit nucléaire est la raison de la perte de ces dix secondes.

Une étude chypriote polémique

Ioannis W. Kokkinakis et Dimitris Drikakis, deux chercheurs scientifiques de l’Université de Nicosie (Chypre) ont publié une étude à la fin janvier intitulée : « Impact d’une explosion nucléaire sur les humains à l’intérieur ». Grâce à de puissants ordinateurs, ils ont particulièrement analysé la vitesse de l’onde de choc d’une explosion nucléaire afin de déterminer les endroits qui seraient les plus « sécurisés » dans une habitation en cas d’une frappe nucléaire.

Pour réaliser cette étude, ils se sont fondés sur une bombe atomique de 750 kilotonnes (les têtes nucléaires stratégiques ont une puissance qui va de 300 kilotonnes à plusieurs mégatonnes ; la Tsar Bomba larguée par les Soviétiques le 30 octobre 1961 a atteint le record de 57 mégatonnes).
Ils ont pris comme hypothèse une explosion survenant à environ trois kilomètres d’altitude, ce qui est également une moyenne pour armes nucléaires actuelles.
Selon les résultats avancés dans l’étude chypriote, toutes les structures et infrastructures situées dans le périmètre de cinq kilomètres de l’onde de choc s’effondreraient. Les premières victimes pourraient donc être celles se trouvant sous les bâtiments devenus décombres. Par contre, les bâtiments en béton armé ne devraient pas s’effondrer.
Concrètement, l’onde de choc provoquerait la destruction des fenêtres et portes, puis s’infiltrerait (voir les couleurs sur l’image) projetant violement tout au sol. Les chercheurs préconisent en conséquence de se cacher dans les coins des pièces et à l’opposé de l’explosion. Toutefois, les survivants devraient se garder des ondes radioactives, des incendies et plus aucun appareil électrique (dont les téléphones portables) ne fonctionnerait.

Publier une telle étude est une erreur fondamentale sur le plan psychologique. En effet, elle peut laisser croire qu’une partie des populations pourrait survivre à une guerre nucléaire et donc accepter que leurs dirigeants en prennent le risque. La dissuasion serait alors mise en défaut.

La réalité des faits

Pour les citoyens américains, il était déjà très à la mode dans les années 1950 – 60 de construire des abris dans leur jardin (qui pouvaient servir aussi en cas de catastrophe naturelle comme des tornades). Les Soviétiques plus « collectivistes » bâtissaient des abris collectifs destinés aux membres de la Nomenklatura et à leurs familles dans l’Oural.
Bien sûr, les PC, les silos de missiles stratégiques – cibles dument répertoriées par l’adversaire – étaient protégés.

Lorsque les missiles stratégiques sont devenus très précis, les uns et les autres ont cru pouvoir se livrer à une « première frappe » qui neutraliserait le dispositif nucléaire ennemi en lui détruisant ses silos lors d’une première frappe.
Mais cette théorie s’est heurtée aux sous-marins nucléaires stratégiques lanceurs d’engins qui étaient quasi indétectables. Beaucoup se dissimulent sous les glaces polaires et peuvent réapparaitre des semaines après une frappe ennemie pour « venger la Patrie »… Pour les Américains, il était difficile de repérer les missiles soviétiques emmenés sur des véhicules porteurs-érecteurs voire sur des trains d’autant que le territoire de l’URSS est immense et les leurres nombreux….

L’illusion de survie possible d’une partie de la population a donc peu à peu disparue d’autant que, point fondamental, le tir de missiles stratégiques (et même tactiques) se fait toujours par salves. De plus, les missiles stratégiques actuels sont « mirvés » (multiple independently targeted reentry vehicle, « vecteur à rentrée multiple et ciblage autonome »), c’est-à-dire qu’ils emportent une dizaine de têtes nucléaires(1) sans compter les leurres destinés à saturer la défense anti-missiles adverse.
Quand une ville est touchée, il n’y a aucune chance d’en réchapper. Pour le reste du pays ayant fait l’objet d’un bombardement nucléaire, il sera ensuite contaminé par la radioactivité donc invivable.
Les rares qui auront échappé aux effets initiaux des armes nucléaire connaitront le chaos et la guerre civile, un peu dans le style du film « “Mad Max »).

Les populations des pays non ciblés (Amérique latine, Extrême-Orient, Afrique, etc.) pourraient théoriquement survivre sauf si les armes stratégiques utilisées en nombre suffisant pour créer un nuage mondial qui recouvrirait le globe et créerait l’hiver nucléaire.

L’hiver nucléaire

Les scientifiques supposent que de nombreuses explosions d’armes nucléaires (c’est ce qui est prévu actuellement) pourraient endommager la couche d’ozone et créeraient ensuite un nuage opaque : les émissions de nitrogène, les panaches de fumées et les énormes quantités de poussières et de suie soulevées par les explosions, les gigantesques incendies provoqués dans les villes et dans la nature pourraient former une importante couche de nuages toxiques au bout de quelques semaines.
Cette « ceinture de particules » voyagerait dans l’atmosphère bloquant les rayons du soleil pendant des mois. Une partie du monde se trouverait plongée dans une semi-obscurité, faisant chuter les températures de -10° à -30°, le tout avec un fort niveau de radiation.
Cette modification du climat et l’accroissement exponentiel de la pollution bloqueraient la photosynthèse des plantes et anéantirait toute vie végétale et animale sur les zones les plus touchées.
Dans l’eau des océans serait également impactée et les conditions pourraient rester invivables pendant des centaines d’années.

Selon le chercheur Ivan Lavallée, professeur à l’Université Paris 8, une guerre nucléaire utilisant seulement 1 % des arsenaux existants (pour les Russes, un peu moins de 6.000 têtes nucléaires – dont 2.000 opérationnelles – et pour les USA, 5.500 américaines – dont 1.500 opérationnelles -) produirait déjà un « hiver nucléaire » (il y a un peu d’exagération, le chiffre 10% semble plus juste à l’auteur).
En effet, l’explosion d’une centaine de têtes d’une puissance similaire à celle d’Hiroshima (12 kilotonnes) suffirait à déclencher cet « hiver nucléaire » : quatre millions de tonnes de carbone seraient propulsées dans la stratosphère et une partie de la couche d’ozone serait détruite : certaines régions subiraient des rayons UV destructeurs pour la vie. Ce refroidissement pourrait alors durer plusieurs mois pour ensuite s’atténuer au fil des ans.

Il ne faut pas laisser croire qu’une guerre nucléaire générale (c’est une autre chose pour les armes « tactiques ») est possible. Cela pourrait pousser des décideurs à prendre des décisions catastrophiques.

1 . Voir : « La Russie dévoile quelques caractéristiques du missile intercontinental ‘Satan’ » du 25 novembre 2022.

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

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